chapitre 1 - Elwin
J’ai toujours su que j’étais unique en mon genre, mais ce n’est pas pour autant que je me faisais remarquer. Quand j’étais plus jeune, oui, ça se remarquait, mais maintenant que j’ai quatorze ans, où la mode est les cheveux violets pour les filles et verts pour les gars, je passe assez inaperçue, car je suis née avec des mèches naturellement bleues bien visibles dans mes cheveux blonds. Même, si l'on prend la peine de chercher, on peut trouver quelques poils bleus sur mes bras. Mais bon, on en a rien à foutre de la couleur de mes cheveux, ou de mes yeux – qui sont aussi bleus -, ou de mon âge, de mon sexe, de mon orientation sexuelle, on le nom de mon chien. Tout ce qui importe, c’est ce qui s’est passé cette nuit-là. C’est ça, entre autres, qui fait de moi quelqu’un de vraiment unique.
Cette journée-là, c’était un vendredi, et à l’école, ça avait été merdique. Un examen de math en avant-midi, un examen de français en après-midi. Je n’avais pas encore eu la note, mais j’étais sûr de les avoir coulés tous les deux. Et le pire, c’est que, ces deux dernières semaines, je n’avais fait rien d’autre qu’étudier, au point de négliger mes amis qui me proposait constamment des sorties, mon chien qui me jappais dessus à longueur de temps, mon grand frère qui voulait que je l’aide à préparer le cadeau d’anniversaire de maman (c’est bon, il me reste encore trois jours, de toute façon), et ma petite amie qui disait que le temps était venu de me présenter à ses parents. Mais là, tout juste après avoir coulé mes examens, j’étais maintenant trop en colère pour accorder de mon temps à qui que ce soit.
Puis, après l’école, je jugeais préférable de me changer les idées. J’étais peut-être en train de gâcher mon avenir, il valait mieux, au moins, essayer de faire quelque chose de bon du moment présent. Alors, après avoir appelé Suzie (ma petite amie pas si petite que ça), je suis allé chez elle. Autant pour la rendre contente quand j’aurais enfin rencontré ses parents, autant pour qu’elle me contamine par la suite avec sa bonne humeur.
Son père s’appelait Martin, sa mère Sasha. Ils étaient très gentils. Je fis de mon mieux pour être gentil en retour, mais j’étais, étrangement, encore plus en colère qu’en sortant de mes examens.
Puis, enfin, je pus visiter la chambre de Suzie. Sa chambre avait tout pour me rappeler le jour où nous nous étions rencontrés pour la première fois ; les livres partout, sauf un coin où il y avait des films, et des murs bleus tapissés d’affiches des meilleurs films des cinq dernières années. Sur l’un des murs, il y avait un babillard, accroché des photos d’elle-même, la grande et jolie fille aux cheveux noirs et aux grands yeux, accompagnée de ses amis. Sur la photo du milieu, c’était elle et moi, elle souriant pour la photo, moi l’embrassant sur la joue.
- Jolie chambre.
Suzie baissa la tête et s’avança vers l’une des piles de livres qui trainaient près de son bureau. En passant à côté de moi, elle m’entra délibérément dedans et sous la surprise, je l’attrapai par les épaules pour qu’elle ne tombe pas, mais ce fut moi qui glissai et tombai assis sur le lit qui était derrière moi. Suzie releva la tête pour me montrer son grand sourire, me prouvant que c’était planifié.
- Pardon, madame, dis-je en riant.
- Pardon à vous, monsieur, répondit-elle avec un semblant de sérieux, sans pouvoir s’empêcher de sourire elle aussi.
Elle se releva et continua son chemin vers la pile de livres et prit le premier dans ses bras, puis s’adossa à son bureau en me faisant un clin d’œil tout sauf subtil.
- Là, tu m’aides à ramasser les livres, et je te dis que j’aime le bleu.
Cette fois, je ne pus m’empêcher d’éclater de rire.
- Moi aussi, j’y avais pensé ! La première fois qu’on s’est vu. Tu m’étais rentré dedans. C’était tellement cliché...
- Sauf que la raison pourquoi je t’étais rentré dedans, c’était parce que quelqu’un d’autre m’était entré dedans d’abord. J’avais trébuché, et finalement, c’était toi qui étais derrière.
- Bon, si personne t’était entré dedans d’abord, j’aurais toujours pu te faire un crochepied, dis-je en haussant les épaules.
- Non merci, je vais m’en passer, dit Suzie avec un petit sourire en coin.
Elle remit le livre sur sa pile et vint s’assoir à côté de moi sur le lit.
- Merci à toi, dis-je, j’ai eu une journée merdique, et t’es la seule qui est arrivée à me faire sourire.
- Il faut bien que je serve à quelque chose. Pas vrai, Elwin ?
Puis, sans rien ajouter, elle m’embrassa. Je l’embrassais en retour, elle se coucha dans le lit, moi au-dessus d'elle. Puis j’entendis les pas derrière la porte, et je m’éloignais aussitôt, de peur que ses parents entrent dans la chambre. Suzie me prit l’épaule et me repoussa pour que je me couche.
- N'aie pas peur, mes parents sont bien conscients que je vais les tués s’ils entrent dans ma chambre. Et ils sont bien conscients qu’on n'ira pas plus loin que ça, de toute façon !
- Ouais, bien sûr.
Suzie éclata de rire devant mon manque d’entrain, puis m’embrassa à nouveau avant d’ajouter ;
- Tant qu’ils seront dans le coin. Mais mon père travail de nuit, et ma mère a prévu de passer la soirée chez sa sœur. Ça va nous laisser un peu de temps ! Mais il faudra que tu repartes avant que ma mère revienne, sinon ce sera louche. Alors, neuf heures au plus tard, tu pars. On aura deux heures. À partir de...
Suzie tourna la tête vers le réveille-matin qu’elle avait sur sa table de chevet, juste à côté du lit. Il indiquait 6 :43.
- Acte naturel, me souffla-t-elle à l’oreille.
Puis Suzie s’éloigna pour aller s’assoir dans la chaise de son bureau, prit le livre de Guillaume Musso qui y était et l’ouvrit où était le signet.
- Et puis c’est là qu’il a dit... tu pourras jamais deviner... il à dit : Luke, je suis ton père !
Quelqu’un cogna à la porte et l’ouvrit, laissant voir Martin le père de Suzie, alors même que j’éclatais de rire, toujours couché dans le lit. Martin nous regarda tour à tour, puis sourit de toutes ses dents, visiblement contant de la distance qui nous séparait, Suzie et moi.
- Lewis, dit Martin en me pointant du doigt, je m’en vais. Je peux compter sur toi pour prendre soin de ma fille ?
- Je m’appelle Elwin, monsieur, dis-je avec difficulté alors que j’étais toujours à rire. Et je prendrais soin de votre fille comme si c’était la mienne !
Suzie éclata de rire à son tour devant le ridicule de la situation. Pour ce qu’on prévoyait de faire, s’il fallait que je sois son père, ça en devenait vraiment bizarre.
- Mouais, marmonna Martin en plissant les yeux. Bon, amusez-vous bien ! Mais pas trop, quand même...
Puis Martin sortit de la pièce, et Suzie et moi éclatèrent d’un rire deux fois plus fort que le précédent.
- Je suis ton père ?! répétais-je d’une voix grave.
- Oh, bon sang, c’était pas naturel du tout, dit Suzie.
- Il faut l’avouer, les effets spéciaux étaient à chier, mais ça en restait toujours très convaincant !
- Oh, El, tais-toi !
Il fallut près de dix longues minutes pour retrouver un peu de sérieux. Entre temps, la mère aussi partie chez sa sœur, et Suzie et moi avions pour sûr deux heures de tranquillités.
C’était notre première fois à tous les deux, aussi nous étions allés à fond dans les stéréotypes ; musique romantique, lumière basse, une ou deux chandelles sur la table de chevet. J’avais proposé d’aller voler quelques fleurs dans la cour, mais Suzie préférait ne pas toucher aux fleurs de sa mère, alors on trouva une image de pétale de rose sur Google qu’on imprima sur plusieurs feuilles et laissa trainer dans le plancher. À fond dans le stéréotype, comme j’ai dit ! Puis, nous passâmes à l’action.
Et non, bande de petits cochons, je ne donnerais aucun détail. De toute façon, les gros problèmes vinrent après.
Suzie et moi nous étions endormies, ayant totalement oublié que sa mère allait revenir d’un moment à l’autre. Et, comme de fait, ce fut elle qui nous réveilla en hurlant, après l’incroyable surprise de retrouver sa petite fille de quatorze ans au lit avec un mec. Mais là, elle hurlait fort, elle n’arrêtait plus de hurler, elle allait réveiller les voisins et puis tout le quartier, elle allait éclater toutes les vitres de la maison, rendre sourd tous les habitants du pays – pas rien quand même, nous étions au Canada. Puis elle sortie de la pièce et accouru vers le téléphone, n’appuyant que sur quatre boutons, le 911 et talk ?
- Elle est un peu maboule, ta mère, non ?
Je tournais la tête vers Suzie, qui n’avait pas bougé d’une miette. Elle dormait encore. Wow ! Et moi, alors, j’étais dans le plancher, comme je venais tout juste de le remarquer, j’avais dû tomber dans mon sommeil. Et puis...
C’est là que je le remarquais. Suzie n’était pas une incroyable dormeuse pour ne pas s’être réveillée après le hurlement de sa mère, comme elle n’était pas sujette au saignement de nez, ni de partout ailleurs sur son corps... car elle était bourrée de sang, et moi aussi. Surtout, elle était ouverte de partout, exactement comme si je lui aurais enfoncé un couteau dans le ventre et un marteau sur la tête. Comme si un meurtrier avait profité du moment que nous dormions pour venir la tuer. Mais pas moi.
Tout le sang qu’il y avait, c’était le sien, uniquement le sien.
Pourtant, si quelqu’un d’autre était entré pour la tuer... j’aurais au moins pu le remarquer.
Il n’y avait que moi...
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