01.

TW: viol


A vous qui trouverez mon corps.


Une ordure, un connard, un détraqué, un monstre.

Demain, ça fera un an que ces mots tournent en boucle dans ma tête. Un an de cauchemars enfiévrés dont je m'extirpe en hurlant. Un an à tourner en rond comme un lion en cage, à penser sans m'arrêter à ce soir là, à ce putain de soir-là.

Un an que je croupis en cellule.

Pense. Pense, ou crève.

Un an à méditer sur l'avant et sur l'après, à ressasser cette fameuse matinée où j'ai été condamné, à la déception dans les yeux de mes parents et au dégoût dans le regard de ma sœur, et non non, impossible monsieur le juge, elle est folle, elle était d'accord, je n'ai pas fait ça, je n'ai pas pu faire ça !

Une putain d'année que j'essaie de me convaincre que je suis le gentil de l'histoire. Que quand bien même j'aurais fauté, ce serait sa faute, qu'elle m'a allumé, qu'elle n'aurait pas dû se promener si tard seule dans la rue.

Mais maintenant, ça suffit. La vérité, l'obscène vérité est là,
crue,
immonde sous la lumière blafarde des néons de la prison.

J'ai violé. Trois mots qui trottent et tournent dans ma tête en ronde infernale. Obsédants.

J'ai violé.

Une ordure, un connard, un détraqué, un monstre et un violeur. Voilà ce que je suis désormais.

Elle... C'était sans conteste la plus belle créature que j'avais jamais vue. Un long cou à la pâleur extrême dans lequel des mèches folles échappées de son chignon allaient se lover, de grands yeux verts un peu flous, papillonnants, une bouche pleine et rouge à la moue légèrement boudeuse, et un charmant chemisier aux premiers boutons ouverts qui laissait entrevoir la courbe délicieuse de ses seins ronds et fermes...

Nous étions dans le métro, terminus Châtelet les Halles.
Les gens avaient l'air malheureux, chiants, tout puait et tout était laid, mais elle, elle, elle était vêtue de fraîcheur et de lin blanc, comme une bouffée d'air frais dans la moiteur étouffante du mois d'août.

Les portes se sont ouvertes.
J'ai croisé son regard, elle m'a souri, j'ai chaviré, elle est sortie, je l'ai suivie.

C'est sans aucun doute ce sourire qui causa notre perte. Je ne cherche pas à me justifier, mais seulement à expliquer pourquoi et quand est-ce que j'ai basculé.

Je la suivais donc. Nous marchions, elle devant, moi derrière, nous marchions dans l'infinie nuit parisienne, et c'était, si vous saviez, c'était tellement charmant, tellement enivrant, tellement excitant de marcher derrière une si belle femme, de pouvoir observer sa démarche ondulante et caressante sans être vu.

C'est à ce moment précis que je me suis rendu compte de mes pensées.

Je la voulais.

C'était un désir ardent, enragé, un de ces désirs qui vous brûle et vous consume, un désir inextinguible qui vous fait perdre la tête. Voilà, c'est ça : je ne raisonnais plus. Toutes mes valeurs, toute ma morale s'était envolée pour ne laisser plus place qu'à cette envie brûlante, dévorante.

Je la voulais, je l'ai eue. Et ça me bouffe, ça m'anéantit chaque jour un peu plus.

Pense. Pense, ou crève.

Nous avancions toujours, et je cherchais le moyen de l'aborder. N'importe lequel, pourvu que je puisse toucher sa peau veloutée, pourvu que je puisse l'effleurer, l'effeuiller, un prétexte pour qu'elle me regarde de ses grands yeux clairs et qu'elle me sourisse de nouveau.

Au bout d'une dizaine de minutes, elle a fini par s'arrêter devant la porte de son immeuble.

Sa main fine sur la poignée, et mon salaud de cœur qui se serre. La perdre déjà sans l'avoir possédée ?

Impossible.

« Je peux vous aider ? »

Je n'ai pas répondu, non, j'ai bondi et je l'ai poussée.

Personne dans le hall sombre.

Personne pour m'arrêter.

Cris, suppliques, non, s'il vous plaît non !!

Personne pour l'entendre.

Personne pour l'aider.

Et moi, je l'ai violée.

Pense. Pense, ou crève.

Le lendemain matin, trou noir. Je me suis réveillé seul dans mon petit appartement, la tête lourde de culpabilité refoulée.

Le soir même, flics devant la porte, menottes aux poignets et conduite au poste de police.

Motif : viol.

Et puis la suite, comme un mauvais rêve. Le procès, la plaidoirie désespérée de mon avocat pour sauver ma misérable peau, moi qui nie et qui lutte avec ma conscience, le témoignage du voisin qui n'a même pas été foutu de descendre voir ce qu'il se passait en bas, et surtout, surtout, son regard. Son regard si clair et si... Si vide.

Je ne comprendrai probablement jamais pourquoi j'ai agi comme ça. Pourquoi, le temps d'une soirée, le temps d'une seconde, toute ma morale s'est envolée. Pourquoi la brutalité du désir a pris le pas sur l'homme que j'étais.

Un fils doux. Un frère aimant. Un homme respectable, aimé, droit dans ses bottes...

Pourquoi.

J'ai brisé la vie de cette femme, et toutes les condamnations du monde ne pourront rien y changer.

Et c'est trop dur à porter.

Je suis tellement désolé. Ce soir, le détraqué, le monstre, peu importe, ce soir le violeur se balancera au bout d'un drap dans sa petite cellule humide.

Que justice soit rendue,
et que je cesse enfin de penser.

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