J - 27
« - Jasma, debout ! Allez, lève-toi, c'est l'heure !
Vivement, je saisis une branche d'arbre, prends un peu d'élan, puis saute pour passer habilement par la fenêtre de ma chambre. J'ai juste le temps de gagner mon lit et de me glisser sous les couvertures avant que ma mère n'entre d'un pas décidé.
C'est une femme grande, élancée, qui a un nez délicat, des yeux brun foncé légèrement en amande, une bouche avec des lèvres pleines et des dents naturellement blanches, sans oublier ses longs cheveux d'un roux presque noir qui n'arrêtent pas de s'échapper de son chignon vite fait.
Je grimace. Ronchonne, râle, me plains. Jusqu'à ce qu'elle s'en aille.
Une fois ma porte bien fermée, je me lève, fais mes ablutions puis change rapidement de vêtements. Un court instant, je m'observe dans mon miroir mural, pour constater encore une fois que je ressemble comme deux gouttes d'eau à ma mère. Si elle n'avait pas de fines et discrètes pattes d'oie au coin des yeux, on nous prendrait pour des jumelles.
Je quitte ma chambre pour rejoindre la salle à manger et retrouver ma famille. Je vous la présente ? Mon père la fougère, ma mère la primevère, mon frère la vipère et ma sœur la sans-cœur. Ça peut paraître n'être pas très gentil, et je tiens à préciser que mon point de vue reste objectif, mais ceci est la vérité.
Mon père, maigre, avec de nombreux problèmes de santé, passe le plus clair de son temps cloué au lit. Ses cheveux sont gris (enfin, ceux qui reste), sa peau parait vieillie avant l'heure, ses yeux sont fatigués lorsqu'ils ne sont pas fermés, son nez est rouge la plupart du temps (je ne sais toujours pas si c'est un rhume ou du rhum...), ses oreilles m'apparaissent comme étant petites, et son ouïe est plus proche de celui d'un serpent que de la nôtre. Je tiens à préciser que les reptiles serpentant sur le sol se repèrent grâce à leur langue et non pas à leurs oreilles. Il a le seul avantage d'être plutôt grand, ce qui ne se voie pas puisqu'il est presque toujours couché.
Ma mère, je vous l'ai décrite précédemment. J'ajouterai juste qu'elle fait se tourner les têtes sur son passage. Ce n'est pas une personne que l'on peut ignorer, tant dans la beauté que dans l'aura qu'elle dégage. C'est comme si elle vous donnait le pouvoir d'être qui vous vouliez, de faire des actions importantes, de changer le monde. Par sa seule présence, elle redonne du courage à tous en imposant en même temps le respect. Telle une fleur, sa prestance semble éclore à tout instant.
Mon frère... Jux, vipère qui se sert avec aisance des mots, tant pour aider que pour faire mal. Il blesse pour le plaisir, ayant des amis aussi sadiques que lui et toujours une ribambelle de filles lui courant après. Bon, c'est vrai qu'avec sa grande taille, sa fluidité de mouvements, ses talents de chasseur, ses cheveux brillent de la même blondeur que ceux de notre père autrefois, ses yeux d'un bleu profond, captivant, son visage avec des traits anguleux et harmonieux, il a tout pour plaire. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, on s'entend bien, et il me taquine souvent. Il est clair que je le lui rends bien.
Ma sœur, Jina, qui est le portrait craché de notre mère si on omet les dix centimètres de moins, joue avec les sentiments comme on jouerait avec des balles. Toujours un nouveau petit ami, qui se fait jeter le lendemain, le cœur brisé. Une seule fois, cela a duré quatre jours ; nous pensions que c'était le bon, enfin, mais non... Il est reparti encore plus dépressif que les autres. J'ai ensuite compris que la sœur de ce dernier avait insulté la mienne.
Contre toute attente, je m'entends bien avec la sans-cœur. Elle s'est souvent montrée compatissante suite à ce que mon frère m'avait dit ou fait quand il était de mauvaise humeur, alors même que nos parents n'étaient pas au courant.
Voilà pour ma famille, qui vient de finir de déjeuner autour d'une conversation totalement inintéressante. Je n'attends pas plus longtemps pour me lever, ranger mes affaires et sortir sur les mots de ma mère m'intimant de rentrer avant la nuit.
Notre village se trouve dans la forêt, dissimulé pour tout œil qui ne sait pas où regarder. Il y a ici une petite vingtaine de familles qui habitent, et ce depuis bien des années. Nous, nous sommes les Teul, nommés chefs du village il y a cinquante ans. Ma sœur, si tout se passe comme prévu, devrait épouser le fils du dirigeant du village voisin, situé à une demi-journée de marche. Ainsi, nous serons unifiés, quoique les fréquents contacts et le commerce abondant se font depuis déjà plus de vingt ans.
Sur la place centrale, il y a la plupart du temps des enfants qui jouent, comme en ce moment. Un puit, seule source du village, abrite bien des conversations entre les femmes du village, qui en profitent pour se désaltérer et surveiller leurs bambins riant aux éclats.
De mon côté, je me rends aux abords des bâtisses, rejoignant mes deux meilleurs amis.
- Jasma, tu en as mis du temps !
- Daï-Daï, je te signale qu'elle, elle doit passer du temps avec sa famille.
- Bon, vu comme ça...
- Merci. Jasma, tu croiras jamais ce qu'on a découvert !
- Hé, Haï-Haï, c'était à moi de lui dire !
Je les dévisage tour à tour. Ah, et pour information, leur vrai nom c'est Jacob (Haï-Haï) et David (Daï-Daï). Avec eux, la bonne humeur et les surprises sont abondantes.
- Les gars, je voudrais pas vous interrompre, mais vous voulez pas plutôt y aller ?
- Mouais...
- C'est moi qui vais devant !
- Tu rêves, Daï-Daï, ce sera moi ! »
Comme ça, vous connaissez un peu mieux ma vie d'avant. Vous vous dites que c'est pour cela que je suis remonté autant dans le passé ? Vous n'y êtes pas du tout. C'est simplement parce que ce jour-là, bien que je n'en avais pas encore conscience, je fis la pire découverte possible, celle qui conduirait le monde à sa perte...
« La forêt, imposante, gigantesque, cache mille et un secret. Nous trois, nous imaginons parfois que notre devoir est de tous les percer à jour. Ainsi, nous passons le plus clair de notre temps à explorer, comme aujourd'hui.
Haï-Haï s'arrête devant une vieille souche de sapin, soulève cette dernière afin de découvrir une sorte de pierre plate taillée habilement de nombreux symboles. Daï-Daï le rejoint, je les aide à déplacer l'encombrant rocher. Une entrée donnant sur un escalier apparaît. Avec deux torches diffusant une lumière suffisante, nous pénétrons dans cette partie oubliée des bois...
Interminable. Je pense que c'est le mot qui convient parfaitement. Puis c'est un couloir. Interminable également. Encore plus que les marches.
Je ne me sens pas bien, comme épiée, sondée, jugée. Puis arrive une bifurcation, juste au moment où j'allais me perdre dans mes pensées.
- Gauche ou droite ?
- Les deux !
- Jasma, on est trois !
- Alors j'irai seule d'un côté.
Encore un trait de caractère chez moi. Je suis rebelle, obstinée et déteste être considérée comme peureuse. C'est pour ça que les garçons ne mettent pas longtemps à décider de me laisser partir seule avec une torche sur le chemin de gauche.
Pourquoi, au grand pourquoi, suis-je aussi inconsciente ? Tout est-il qu'un quart d'heure plus tard, j'atteins une salle circulaire de taille modeste. Sur les murs, des inscriptions, un mélange d'anciennes langues, comme le tibèt, le rimoß et le rhinuð. Vous ne connaissez pas ? C'est tout à fait normal ! Ma mère peut se comparer à une philologue, ce qui est utile puisqu'elle m'a forcé à apprendre les langues mortes.
Une charade. Je cite : Mon premier est surmonté, mon deuxième t'appartient, mon troisième est couché lorsque tu es debout et debout lorsque tu es couché, mon tout est un endroit.
Bon. Primo, c'est l'adverbe « sous ». Le dernier... Le soleil ? Non. La lune ? Non plus. Plus petit peut-être. Un chapeau ? Toujours pas... Mes pieds ? Bien sûr, ils correspondent tout à fait ! Et le deuxième, c'est « tes ». Mon tout est un endroit : Sous tes pieds !
Je baisse les yeux. Tape sur le sol pour voir. Me penche. Pose ma main par terre.
Une secousse me fait tomber sur les fesses. J'observe, tandis que le sol tremble, une partie de celui-ci d'ouvrir dans le but de faire monter un piédestal. Puis les secousses s'arrêtent comme elles ont commencé.
Je me mets debout, puis me rapproche du nouvel élément de la pièce.
Une sorte de cloche en pierre cache sans doute quelque chose. J'enlève difficilement cette première, la posant au bord de la pièce, contre un mur. Ensuite, j'observe attentivement l'objet sur le socle.
Il a une forme circulaire, doit faire environ un centimètre de haut et deux millimètres d'épaisseur. Au total, je dirais qu'il fait vingt-cinq centimètre de pourtour. On constate assurément qu'il a été tressé avec quatre bandes de cuir souple, de couleur brun clair. Un mince crochet discret laisse à penser que je ne suis pas la première à le voir... ni à l'essayer. Quoi ? Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais laisser sans le toucher un pareil bracelet ! Et d'ailleurs, sa taille me va parfaitement, avec juste ce qu'il faut de jeu pour se sentir à l'aise.
Lentement, en faisant bien attention à tout, j'effectue un dernier tour de la salle. Il me semble n'avoir rien omis, alors je quitte la pièce, rejoignant d'un pas vif la bifurcation. J'y retrouve un bout de papier, vestige récent du passage de mes amis. Il y est écrit qu'ils ont déserté, préférant rejoindre leur pauvre famille plutôt que de vivre une interminable guerre statique...
Je ne peux m'empêcher de rire. Ils en font toujours trop, et personne ne pourra jamais les changer.
Je finis par quitter les lieux, découvrant Haï-Haï et Daï-Daï dehors, postés à l'entrée du passage, riant à une blague comme des enfants. Ce qu'ils sont encore, d'ailleurs.
- Hé, Jasma, ça fait septante heures qu'on est là.
- Tu veux dire dix-sept minutes.
- Quoi, Haï-Haï, t'es pas d'accord avec mes heures ?
- Si tu disais vrai, ça ferait un peu moins de trois jours.
- Les garçons, vous avez trouvés quelque chose à l'intérieur ?
- Non, absolument rien. Juste une impasse. Et toi ?
Je jette un coup d'œil à mon poignet gauche. Puis décide de ne rien dire, pour voir s'ils le remarquent seuls.
- Le dernier au village est une poule mouillée !
Et voilà, manière efficace en toutes circonstances pour changer de sujet. En effet, Jacob et David s'élancent sans plus de cérémonie.
En marchant, je les suis. Non, vraiment, je ne me sens pas d'humeur à courir aujourd'hui. Résultat : j'atteins les premières maisons largement derrière les autres.
- T'as perdu !
- Faux. J'ai dit le dernier, pas la dernière.
- Alors là, tu t'es fait avoir sur toute la ligne, Haï-Haï.
- N'importe quoi !
- Il est quelle heure ?
- Aucune idée, mais le soleil se couche. Tu ferais mieux de rentrer. Après tout, ta mère t'attend...
- Hé, pourquoi tu prends ce ton accusateur ? C'est pas ma faute !
- Ah ben si, t'aurais dû choisir une autre famille.
Je lui tape dans l'épaule, puis m'en vais. Je rentre sans problème chez moi, ne reçois pas de réprimandes (pour une fois) et me fais en un temps record accepter dans les bras de Morphée.
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