H - 13

« - Jasma, on y va !

- Ouais, j'arrive.

- Ça fait un quart d'heure que tu dis ça !

- Seulement ?

Aujourd'hui, un piquenique avec des amis est prévu. Nous allons tous aux pieds des montagnes, et même si je ne suis pas très motivée, je pourrais toujours me dissimuler dans le réseau souterrain de couloirs et grottes aux entrées bien dissimulées.

J'ai un autre souci. Mon rêve de cette nuit. Je n'arrête pas d'y penser, et il me perturbe. Qu'est-ce qu'il signifie ? Dois-je y comprendre quelque chose ?

- Jina, prends au moins une veste ! Il peut faire froid là-bas.

Soupir dépité, yeux levés, puis nous partons. Je prends un panier rempli de différentes viandes prêtes à cuir.

- Miam, des grillades. Avec qui ?

- Je te l'ai déjà dit.

- J'étais pas attentive.

- J'avais remarqué.

- Avec qui, maman ?

- Les Cherubd.

Je m'arrête net. Hors de question que je fasse un pas de plus dans leur direction, et ça, ils le savent tous très bien.

- Jasma, viens ! Tu ne vas pas rester plantée là indéfiniment.

- Oh que si.

- De toute manière, quoi que tu puisses faire, il aura lieu. De gré ou de force, ça tu choisis.

Je crois qu'il vous faut quelques explications.

Notre famille est celle du chef, qui gouverne le village. Les Cherubd, eux, sont les chasseurs. Depuis leur plus tendre enfance, ils apprennent à se servir de toute les armes qui existent, et tuent leur premier animal dès qu'ils en sont capables.

Notre statut de dirigeant (si on peut vraiment « diriger » un village de huit cents personnes) oblige nos parents à faire des alliances, des promesses et des mariages. Ma sœur se mariera donc avec le futur « chef » du village voisin, mon frère est libre (pour le moment) et j'épouserai (normalement) Jerem, le fils des chasseurs.

N'importe quelle autre fille du village aurait sauté de joie, mais pas moi. Il est grand, musclé, bronzé, a un visage anguleux, des cheveux bruns foncés, et des yeux d'un vert intense et perturbant. En plus, il est sympa, et doué dans son métier. Je suis vraiment la seule à penser qu'il doit cacher quelque chose ?

Jux passe son panier à ma sœur, se dirige à grands pas vers moi, me prends par la taille et me jette comme un sac de farine sur son épaule. Je me débats, mais rien n'y fait : Mon frère m'amène à ce fichu piquenique.

Un bon quart d'heure plus tard, il s'arrête, sans pour autant me lâcher.

- Tiens, je te la passe.

- Tu l'as portée tout le long ?

La voix est douce, grave, agréable.

- Ouais. Elle voulais pas venir.

Cette fois, Jux se penche en avant pour me laisser glisser par terre. J'atterris en douceur, puis, tandis que mon frère s'éloigne, me retourne, pour me retrouver nez à nez avec la personne que je voulais précisément éviter.

- Comment vas-tu, Jasma ? Pas trop... secouée ?

- Non, tout va bien. Et toi, Jerem ? Tu es là depuis longtemps ?

- Pas vraiment. J'étais en train de chercher du bois pour le feu quand je vous aie vu arriver.

- Eh, les tourtereaux, venez nous aider à préparer le repas !

Je tourne brusquement. Comme on pouvait s'y attendre, c'est mon frère qui nous a interpelés. Je lui lance un regard noir, puis rejoins ma mère, Jina et Hélène, la mère de Jerem, pour m'occuper.

- Jasma ?

- Oui ?

- Depuis quand tu te teins les cheveux ?

- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes, Hélène ?

- Tu as des mèches blanches. Trois, il me semble.

Je prends une assiette bien propre et brillante, afin de m'observer. Résultat : Je hoquète de surprise, saisis une des mèches, laisse tomber l'assiette qui heureusement ne se casse pas, pour examiner sans intermédiaire mes cheveux. Qui sont bel et bien couleur de neige.

- Qu'as-tu fait, Jasma ?

- Rien !

- Ne me mens pas, je suis ta mère.

- Je sais, je te ressemble. Sauf dans la couleur des cheveux maintenant... Jina, tu sais comment faire partir ça ?

- Non, pas la moindre idée. Mais ne t'inquiètes pas, ça te va très bien ! Mais pourquoi n'en as-tu fait que trois ?

- Je n'ai rien fait !

- Jasma ?

- Papa ?

- Peux-tu m'expliquer cette teinte nouvelle ?

- Je ne l'ai pas faite ! Je ne sais même pas d'où elle vient, et je veux l'enlever !

- Vraiment ? Pour ça, il faut déjà savoir les plantes utilisées pour colorer. C'était lesquelles ?

Je les regarde tour à tour, effarée. Ils le font exprès ou pas ? Parce que là, ce n'est vraiment pas drôle, je ne sais pas comment m'en débarrasser, et je commence à ne plus les supporter. S'ils font encore un commentaire...

- Si tu veux que je t'aide, petite sœur, il va vraiment falloir que tu me dises comment tu as... Hé, reviens !

Oui, je sais, c'est malpoli, ce qui ne m'a pas le moins du monde empêchée de partir en courant. Je longe la montagne, m'engage dans une faille qu'il faut connaître pour voir, avant de plonger au cœur des souterrains, jusqu'à un lac intérieur surmonté d'une cascade.

Je me laisse tomber à genou sur le sol rocailleux. L'eau presque immobile reflète mon visage, et mes cheveux. Comme si c'était prévu, je constate qu'il n'y a pas trois, mais quatre mèches qui sont blanches. Non, cinq.

N'y comprenant plus rien, je songe à mon rêve. C'est comme s'il y a un lien évident entre les deux, que je n'arrive pas à voir. Bon, reprenons depuis le début : Je suis allongée par terre, sur de l'herbe. Il y a un courant d'air froid. Le ciel est bleu, le soleil brille quoiqu'il y aille quelques nuages. J'oublie un élément important... Le bracelet. Il flotte dans les airs, au-dessus de moi. Et il change de couleur, passant du brun au blanc. Attendez une minute... C'est ça ! On est en été, il fait beau. Au pied de la montagne, il y a parfois de l'air froid. Mes cheveux se transforment, tout comme le bijou l'a fait, et je doute que ce soit une simple coïncidence. Mais alors, quelle en est la signification ?

- Jasma ?

Je me relève vivement. Il n'y a personne, ça doit être l'écho. La voix me parait familière, sans pour autant que je puisse l'identifier. Je quitte le lac, allant rechercher l'individu qui m'a appelée avant qu'il ou elle se perde.

J'ai découvert ces souterrains lorsque j'avais sept ans, par hasard. Depuis, j'en ai mémorisé tous les coins et recoins, les salles, les cours d'eau, le lac, les montées, les descentes, les impasses, les virages, les entrées, les sorties, et même deux escaliers.

- Jasma !

- Ne bouge pas, j'arrive.

Je cherchais la sérénité, un endroit calme où être seule avec mes pensées, et voilà que je me retrouve déjà à cours de temps. Ne pourrais-je décider moi-même de quand j'aimerais avoir de la compagnie ?

À gauche, puis à droite. Je traverse une pièce pleine de stalactites et de stalagmites, puis prends un couloir légèrement en pente. Un dernier tournant et je suis derrière lui.

- Jerem, pourquoi es-tu ici ?

- Je te cherchais.

- Et tu t'es perdu.

- Non, pas du tout. Je sais parfaitement comment sortir de là.

- Je te suis, alors.

Il part. Commence à prendre beaucoup trop de virages. Tourne en rond. Comme il a l'air sûr de lui, je ne dis rien. Puis il prend un passage, s'arrête au bout, s'asseye par terre, dépité.

- Je croyais avoir mémorisé le chemin.

- Tu es entré par où ?

- Je sais plus !

- Calme-toi. Réfléchis calmement. Dis-moi à quoi ressemblait l'entrée.

- Hem, je longeais la montagne, une main posée contre la paroi.

- Quelle direction ?

- Le nord.

Je suis partie vers le sud. Il a dû m'appeler pendant vraiment longtemps.

- J'ai senti un courant d'air froid. Ensuite, j'ai écarté des plantes grimpantes...

- Du lierre ?

- J'en sais rien, je ne m'y connais pas, en botanique. Donc, j'ai écarté les plantes, et j'ai vu une ouverture. Je m'y suis engagé. La suite est facile à deviner.

- Je passe devant.

Il se lève, puis nous repartons. Nous ne marchons qu'un peu moins de cinq minutes avant que j'écarte le lierre et sorte.

En me retournant, je vois la mine effarée de Jerem, et je ne peux m'empêcher de sourire.

- Comment tu as... Depuis quand tu... Ça t'arrive souvent de...

- Cela fait plusieurs années que j'emprunte régulièrement ces passages. J'ai tout mémorisé, même si ça m'a pris du temps. Bon, on rejoint les autres ?

- Oui, bien sûr.

Tout en marchant, nous discutons de tout et de rien. Il est vrai que je ne veux pas l'épouser, et que je fais tout pour ne pas lui donner de faux signes, mais cela ne veut pas dire que je ne l'apprécie pas. Au contraire, Jerem est vraiment quelqu'un d'intéressant, de sympathique, presque parfait, qui n'hésite pas à dire ses torts, n'aime pas le mensonge et aide volontiers les autres. Cela dit, il manque souvent de tact et d'instinct, ne sachant pas quand laisser les autres se débrouiller seuls.

- C'est pas trop tôt.

- Jux, on a dit pas de commentaires. D'aucune sorte.

- Ouais, il n'empêche, j'ai faim. Pas toi, Jina ?

- Si. Hélène, c'est bientôt prêt ?

- Oui. Je suppose que les assiettes et les services sont mis ?

- Hem... Presque ?

- Allez, je vais t'aider, ça ira plus vite.

Dix minutes plus tard, nous entamons avec appétit ce délicieux piquenique (bien mérité, à mon avis). »

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