Les sept tisserandes

Blanc s'était endormi sur le fauteuil, déserté par un chat compréhensif qui était allé faire un tour dehors. Le jeune prince était tombé d'épuisement mais, encore secoué par les événements de la nuit, son sommeil agité s'entrecoupait de courtes phases de réveil et de sursauts d'angoisse.

Une secousse assez rude le tira soudain de sa torpeur, il perçut d'abord un grommellement puis, ouvrant les yeux, eut la vision floue de plusieurs personnes en face de lui.

Sept femmes ou jeunes filles le contemplaient d'un air pensif et intrigué. Blanc se redressa précipitamment et porta une main sur son cœur, un instant il avait cru qu'il s'agissait d'Amazones venues en finir avec lui...

- Bonsoir, murmura t-il d'une voix un peu étranglée.

La femme la plus proche de lui était forte et arborait un air plutôt sévère. Derrière elle, une jeune fille toute fine et pâle l'observait à travers ses yeux embués et son air fiévreux. La troisième semblait des plus joviales et lui lançait des signes d'encouragement, une quatrième, encore assez jeune jeune et brune, lui tournait presque le dos et le peu qu'on voyait de son visage était fermé. Les trois autres se tenaient en retrait, l'une d'elles à l'air austère, portait des lunettes et lisait un livre, la petite vieille à côté semblait si terne que Blanc avait failli ne pas la voir. Derrière elles, une adolescente blonde contemplait le coucher du soleil par la fenêtre d'un air rêveur, sans faire attention à lui.

- Que nous voilà donc? Demanda la femme forte d'un air intrigué en dévisageant Blanc. Qui est-tu toi?

- Je m'appelle Blanc de Terrae. répondit le jeune homme d'une voix hésitante.

- Tu ferais bien de dire que tu en es le prince, dans ce cas, répliqua la femme brune en tournant vers lui son visage marqué de rancœur. Cela nous éviterait de longs et fastidieux interrogatoires.

- Cela suffit! Répliqua la première femme. Cesse de cracher ta colère à la face du monde entier!

- Êtes-vous Matrone? Lui demanda Blanc d'une petite voix.

La femme forte sourit et lui répondit:

- C'est moi en effet, de qui d'autre connais-tu le nom?

Blanc observa les six autres femmes en tentant de se souvenir des noms sur les dossiers des chaises. Celui de la femme brune s'imposa aussitôt dans son esprit:

- Vous êtes Ire, lui dit-il. Vous c'est Joyeuse, et vous c'est Souffrante.

Ire, la joviale et la fille à l'air malade acquiescèrent tandis que le jeune homme se tournait vers les trois femmes un peu plus en retrait:

- Et vous, vous êtes Lunaire, Cultivée et Discrète.

L'adolescente blonde à l'air rêveur, la lectrice austère et la petite vieille aux habits gris lui répondirent d'un sourire.

- Voilà un garçon plutôt intelligent, fit remarquer Cultivée d'une voix égale et s'adressant à ses compagnes. Mais qu'allons-nous faire de lui?

- Et bien, dit Matrone. Comme il a bien commencé en faisant quelques tâches, nous pourrions le garder avec nous, il nous aiderait.

- Le garder!? As-tu perdu l'esprit?!

Ire, s'avançant à grands pas, vint se placer face à Matrone et la réprimanda vertement:

- Nous ne savons rien sur ce gamin! Et puis d'abord, il ne veut peut-être pas rester!

À ce moment-là, Discrète toussota un peu et prit la parole:

- Il y a du vrai dans ce que dit Ire, nous ne connaissons pas ce jeune garçon Mat'.

- Et bien, répondit l'intéressée. Cela ne durera pas.

Elle se tourna vers Blanc et rajouta:

- Raconte-nous donc ton histoire.

- Et bien, répondit le jeune homme. Je rentrais chez moi quand.

- Commence par le début, lui dit Lunaire. Autrement ce ne sera pas intéressant!

- Le début?

- Et bien oui, tout le monde naît un jour.

Blanc déglutit avec difficulté tandis que la jeune fille lissait les plis de sa jupe bleue en lui jetant un regard pénétrant. Il remarqua que toutes semblaient habillées en fonction de leur caractère: Matrone était vêtue de toile brune et safran, Joyeuse de jaune et vert vif, Ire de velours noir avec des rubans de cape rouges et violets, Souffrante d'une robe pastel clair avec un châle gris, Discrète tout de gris, Cultivée portait une robe vert foncé, une cape brune et Lunaire une robe de lin au corsage blanc et à la jupe bleue. Cela donnait un tableau assez inhabituel.

Devant l'insistance de ses hôtesses, Blanc commença son récit, qui lui prit tant de temps que, lorsqu'il s'arrêta enfin, la nuit dehors était noire. Ire contemplait le ciel par la fenêtre d'un air indifférent, son visage n'était pas plus ouvert qu'au début du récit. Discrète en revanche semblait avoir été accrochée, Joyeuse était plus joviale que jamais, Cultivée semblait plutôt intéressée et Matrone relativement bienveillante.

- Drôle d'histoire, dit-elle. Mais pour te renseigner, la femme que tu as rencontrée et qui t'a épargné est bien une Amazone. Elle vit depuis très longtemps dans le coin avec son mari, nous la croisons parfois. Lui est un grand sorcier et les monstres n'obéissent qu'à lui. Tu as eu beaucoup de chance de te tirer d'une telle embuscade jeune homme.

-Reste qu'il faut que cela dure, répliqua vertement Ire. Ce garçon est pourchassé par quelqu'un de puissant, et nous sommes sur le point de nous mettre en travers de sa route.

- La ligne n'est pas loin pour toi, gronda soudain Souffrante à l'adresse de sa congénère. Je crois qu'il est temps que tu te taises!

Le silence éloquent qui accueillit ces paroles intrigua Blanc, mais il n'en demanda pas plus:

- Tu ne peux repartir immédiatement en tout cas, intervint Cultivée à son adresse. Le monstre qui te pourchasse n'abandonnera pas ta trace avant plusieurs jours. Et même au delà, s'il la repère il reprendra la chasse.

- Ici on est en sécurité, compléta Joyeuse. Les monstres n'osent jamais venir ici. Auparavant, une sorcière vivait là et sa magie les effraie encore.

- Je ne peux pas me permettre de rester, répondit Blanc. Je dois rentrer chez moi au plus vite, mon peuple m'attend!

- Tu ne peux repartir avant plusieurs jours en tout cas, lui dit Matrone. Ce serait signer ton arrêt de mort.

- Mais le temps presse! La reine des Amazones ambitionne d'envahir le royaume de Terrae.

- Malheureusement mon garçon, tu n'as guère le choix si tu veux rester en vie. Il va te falloir attendre un peu. La pleine lune est dans dix jours, et souvent à ce moment-là les monstres ne sortent pas, nous pourrons alors essayer de te remettre sur le chemin de chez toi. Mais tu devras être très prudent. Ire et Discrète te feront sortir de la forêt, après cela, tu devras continuer seul...

Blanc choisit de s'en remettre à leurs arguments, il n'avait guère le choix au de toute manière et ne se faisait guère d'illusions sur ses chances de survie lorsqu'il se retrouverait en face du monstre, ou en face de ses maîtres...

Pendant que Blanc faisait la connaissance de ses hôtesses, Ivan Garain le représentant des éleveurs, se croyant seul rescapé de la terrible attaque, se présentait en tremblant devant la reine Sylvestrine IV. Il était arrivé en fin de journée dans la capitale, totalement épuisé après avoir parcouru seul le chemin qui descendait la montagne. Il s'était présenté au palais la peur au ventre et avait obtenu, après quelques difficultés, d'être reçu par la jeune souveraine.

Lorsqu'il lui eut raconté ce qui s'était passé sans qu'elle ne l'interrompe une seule fois, Ivan attendit avec terreur le verdict. Et si la jeune reine décidait qu'il était coupable?

- Pouvez-vous me conduire précisément là où l'attaque a eu lieu? Demanda t-elle cependant d'une voix douce. Vous dîtes que c'est à deux journées de marche environ?

- Oui Majesté, il s'agit de la plus proche frontière de la capitale. J'ai redescendu la montagne aussi vite qu'il m'a été possible et emprunté un cheval sur la route.

- Emprunté ?

Le représentant des éleveurs devint encore plus rouge :

- Attaché devant une auberge, murmura t-il d'une petite voix. Mais j'ai gardé l'adresse.

- Votre choix a été le bon, répondit Sylvestrine IV en balayant l'incident d'un revers de main. Nous partirons dès l'aube à la recherche du prince Blanc. Vous allez prendre une nuit de repos pendant que mes hommes et moi préparerons l'expédition.

La jeune souveraine tapa dans ses mains et un serviteur se présenta:

- Installe cet homme pour la nuit et veille à ce qu'il ne manque de rien. Gardes!

Tandis que le serviteur à la livrée gris perle faisait signe au représentant des éleveurs de le suivre, deux gardes entrèrent dans la salle d'audience et s'inclinèrent devant Sylvestrine IV.

- Allez me chercher le général Danton immédiatement. Leur ordonna t-elle.

- Majesté, répondit un garde, il vient justement de demander audience.

- Et bien, qu'il entre tout de suite.

- Bien Majesté.

Les deux gardes sortirent de la pièce et on annonça aussitôt le général Danton.

- Majesté, dit l'homme en s'inclinant devant la reine.

- Général, le Prince Blanc de Terrae a été victime d'une attaque près de la frontière. Je veux qu'une expédition pour partir à sa recherche quitte la capitale dès l'aube, j'en prendrai personnellement la direction.

- Bien Majesté.

- Vous avez demandé audience général. Pour quel motif?

L'homme lui répondit sur un ton assez grave:

- Majesté, la reine des Amazones a vaincu le clan des Brumes aujourd'hui.

- Elle pourchasse donc les brigands? S'étonna la reine qui ne s'y attendait pas.

- Nous avons toutes les raisons de penser que la situation est beaucoup plus compliquée, et ce malgré ses assurances. Le chef du clan des Brumes, un Comte d'Amazo qui a tout perdu dans l'éruption, a été capturé. Mais je sais par mes informateurs que la reine Rashi l'a épargné et l'a nommé à un poste de commandement, il est gouverneur de la province que sa troupe occupait.

- Cela ne me dit rien qui vaille général Danton, répondit Sylvestrine IV. Il nous faut retrouver le prince Blanc au plus vite, ou à défaut, savoir ce qui lui est arrivé. Envoyez immédiatement un messager à Terrae afin qu'il s'assure qu'il n'y soit pas rentré. Quant-à notre expédition, elle partira dès qu'elle sera prête.

- Bien Majesté, mais permettez-moi de vous imposer deux cent soldats.

- Ils seront trop lents général, réduisez de moitié les effectifs et envoyez des messagers à tous les postes de garde sur le chemin, nous voyagerons léger. Le Duc Castaneus prendra la régence durant mon absence.

À contrecœur, le général Danton se soumit à la décision de la reine:

- Bien Majesté.

- Lorsque vous aurez rassemblé l'expédition, présentez-vous à mon cabinet, accompagné des capitaines que vous aurez choisi. Et je vous demanderai de choisir les unités les plus sûres pour cette mission.

Le général s'inclina et sortit, la jeune reine ne tarda pas à l'imiter et rejoignit la petite pièce où elle avait l'habitude de travailler et où elle avait reçu Blanc de Terrae et la Reine Rashi. Elle se dirigea immédiatement vers sa bibliothèque murale, attrapa la carte du continent la plus fiable qu'elle puisse trouver et l'étala sur la grande table pour la contempler quelques instants.

-L'invasion de Terrae viendra du défilé de Malsourel, marmonna t-elle pour elle-même.

Elle s'assit à sa place habituelle après avoir saisi une plume et un parchemin, afin de rédiger plusieurs lettres à donner à des messagers. La première était pour le royaume de Terrae, afin que des troupes soient mobilisées le plus vite possible.

On frappa à sa porte et un garde lui annonça la venue d'un message de la part de la Reine Rashi:

- Donnez-le moi, répondit Sylvestrine IV, à qui l'anxiété tordait soudain l'estomac.

Elle saisit la missive que lui tendait le soldat, en vérifia le sceau et l'ouvrit. Le simple fait de parcourir la missive, écrite de la main de Rashi, lui mit un tel coup qu'elle dut s'asseoir quelques instants.

- Pauvre folle ! Gémit-elle à l'adresse de son amie, bien que celle-ci ne puisse absolument pas l'entendre.

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