La brume vineuse

Blanc baignait à présent dans un environnement vermillon totalement indistinct. Il semblait flotter au milieu de vapeurs vineuses qui s'enroulaient autour de ses membres comme des serpents. Le jeune homme avait beau se savoir parfaitement inconscient, il ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Quelque-chose ne tournait pas rond dans ce rêve et le sentiment tenace qu'il n'était pas à sa place le taraudait.

À sa gauche, un mouvement vif et léger comme un froissement de tissu attira son regard. Il se redressa et tenta d'en percevoir l'origine.

Une forme s'agitait non loin de lui, mais les vapeurs vineuses la cachaient en partie, il fallait qu'il s'approche pour mieux voir.

Tremblant, le jeune homme se leva, cherchant son équilibre dans cette masse de coton couleur sang. Pourquoi se sentait-il si oppressé d'ailleurs ? Ses propres pas lui paraissaient aussi lourds qu'étrangers.

À sa gauche, la forme légère s'agitait toujours. Il s'approcha d'elle dans un effort surhumain, puis resta figé lorsqu'il l'aperçut enfin.

C'était Astrid, vêtue d'une robe d'amazone de couleur claire et richement brodée, le teint hâlé et beaucoup plus jeune. Elle riait comme face à un ami invisible, une gaieté innocente de jeune femme qui fondit soudain comme neige au soleil lorsque deux autres formes apparurent. L'une d'elle, lourde et maladroite, découvrit bientôt un homme à l'air maladif. La seconde laissa apparaître la reine Rashi, également beaucoup plus jeune mais avec l'air fier et rusé que Blanc lui connaissait.

La jeune Astrid tremblait à présent, une quatrième forme apparut devant elle, révélant bientôt un homme qui portait beau mais la regardait d'un œil désapprobateur. Elle s'effondra lorsqu'il se matérialisa entièrement.

Des voix déformées et métalliques se mirent à résonner, comme portées par la brume. Des « Espèce de sale traîtresse ! » « Allumeuse ! » « Tu n'as jamais été digne de confiance ! Tu es comme tous ceux de ta race ! » « Elle n'est pas humaine, c'est une nymphe, elle n'a pas nos valeurs ! » « Tu ne devrais même pas exister ! » « Je ne veux plus jamais te voir ». Et au milieu, un long et terrible hurlement retentissait.

Si cette brume rouge, à présent de plus en plus foncée, portait les voix dans toutes ses volutes, le hurlement provenait du corps d'Astrid. Celui-ci était prostré sur le sol et les relents vineux s'enroulaient autour comme ils commençaient à s'enrouler autour des poignets de Blanc et de ses chevilles ainsi qu'autour des deux autres hommes.

Seule la reine Rashi était épargnée par les assauts de la fumée qui semblait même s'éloigner d'elle.

Non, comprit soudain Blanc, la fumée émanait de la reine Rashi elle-même et submergeait Astrid dont le corps hurlait toujours et dont la robe claire avait pris à présent une teinte sang de bœuf. Elle contaminait également les deux autres hommes ainsi que lui-même.

Blanc regarda ses mains et remarqua la coloration écarlate des veines et des plis apparents.

Soudain, l'homme maladif s'effondra et disparut dans le sol. La fumée se concentra sur le second homme qui bondit sur Astrid et la saisit à la gorge pour la forcer à se redresser. Blanc voulut intervenir mais ses jambes lourdes comme du plomb se mouvaient difficilement. La reine Rashi au contraire se déplaçait avec sa souplesse habituelle et Blanc ne put l'empêcher de refermer solidement sa main sur son propre poignet. Il ouvrit la bouche pour protester, mais elle fut plus rapide que lui :

- Personne ne doit la défendre, lui dit la reine d'une voix acide. Elle va disparaître et ce sera comme si elle n'avait jamais existé dans nos vies.

Blanc essaya de se débattre, en vain. L'homme qui tenait Astrid au dessus de lui resserra brutalement sa prise. La jeune femme disparut alors dans une déflagration aux reflets sanglants. Puis tout devint noir.

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