Chapitre sept : Rébellion


Une semaine... Une semaine complète. Crystal enrageait intérieurement, tentant de garder son calme autant que possible tandis que les gardes l'escortaient jusqu'à sa chambre. Mais ceux-ci n'étaient pas aveugles. Ils voyaient bien que leur princesse aurait été capable d'un meurtre si elle avait croisé Kélénia dans les minutes suivant sa sortie du cachot. Son séjour à l'ombre ne lui avait pas fait du bien. Pâle de nature, la jeune fille était désormais cadavérique et l'obscurité prolongée l'obligeait maintenant à garder les yeux à demi-fermés pour ne pas que la lumière les brûle.

Tout aurait pu bien se passer si, au quatrième jour, un des gardes de la marâtre n'avait pas remarqué l'assiette vide et le bougeoir encore chaud dans sa cellule. Il en avait immédiatement informé sa maîtresse, qui avait formellement interdit aux gardes originaires d'Amao d'approcher Crystal. Résultat, elle n'avait mangé que deux fois au cours des trois derniers jours et avait passé son temps dans le noir.

Les soldats la quittèrent à la porte de sa chambre, après avoir appelé Sélène. Quand celle-ci arriva, son beau visage était déformé par la colère.

- « Non mais quelle ganache, celle-là ! Je lui ferais avaler sa couronne, moi ! »

La jeune fille ne put retenir un petit rire face à la détermination de sa servante. Devant l'état misérable de sa princesse après une semaine de cachot, elle s'empressa de lui faire couler un bain, puis décida de lui frotter vigoureusement le dos..

- « Je ne comprends pas comment le Roi a pu choisir une compagne aussi détestable ! C'est incompréhensible !

- Ça fait longtemps que j'ai arrêté de chercher à comprendre, tu devrais faire de même, Sélène » soupira la jeune fille avant de plonger la tête sous l'eau.

Ses cheveux blancs flottaient autour d'elle, retombant mollement sur ses épaules.

- « À ton avis, quelle tête ferait le prétendant choisi par mon père si j'arrivais au mariage avec le crâne rasé à blanc ?

- Vous n'y pensez pas Princesse, il risquerait de faire un malaise sur place ! pouffa la servante.

- C'est une idée à garder en tête alors...

- Vous voilà entièrement propre Princesse, je vous conseille de ne pas rester trop longtemps dans l'eau, vous risquez de prendre froid.

- J'y veillerais, merci Sélène ! » lui répondit-elle gentiment.

Après avoir vérifié que la jeune fille disposait bien d'une serviette et ne manquerait de rien, Sélène prit congé et disparu dans les couloirs. Crystal suivit son conseil et sorti assez rapidement. Elle se sécha énergiquement et se rhabilla aussitôt, évitant de regarder son reflet dans le miroir.

Elle avait toujours eu du mal à se regarder, mais après ce séjour prolongé dans les cachots, ce serait pire que d'habitude. Elle regagna sa chambre en traînant des pieds. Derrière la fenêtre, l'aube se dessinait. D'ici une heure, il lui faudrait retourner dans la salle à manger, s'asseoir à la même table que Kélénia, à la même table que son père qui l'avait laissée enfermer, à la même table de son frère qui s'était contenté de regarder. Elle les détestait, tous les trois. Enfin pas tout à fait. Même si elle exécrait le comportement d'Onyx, elle savait aussi qu'il devait s'en vouloir. En l'empêchant de se comporter comme il le voulait, son statut de prince héritier lui pourrissait la vie. À peu près autant que ses cheveux blancs pourrissait la sienne.

Trop jeunes encore pour comprendre ce qui se passait, seules les jumelles échappaient à sa rancœur. L'envie de commettre un massacre lui vint d'un seul coup. Elle ne pourrait pas faire face une nouvelle fois sans perdre son sang-froid, elle le savait. Pleine de rage, elle frappa le mur le plus proche avec un cri rauque. Tout son bras fut agité de tremblements et immédiatement, elle ressenti une douleur qui fit monter ses larmes. Mais cela ne suffit pas à la calmer. Instinctivement, elle frappa le mur, encore et encore, alternant poing droit et poing gauche, les larmes ruisselant sur ses joues sans qu'elle puisse les retenir. Bientôt, un craquement sec se fit entendre. Crystal poussa un profond hurlement lorsque l'onde de choc atteignit son cerveau. Gémissante, elle glissa au sol en se tenant la main droite. Sous les coups répétés, une de ses phalanges avait cédé et déjà, son doigt commençait à gonfler. Ses deux mains étaient ouvertes et ensanglantées. Désespérée, elle se releva à la recherche de quelque chose pour bander ses plaies. Elle finit par trouver l'un des longs rubans dont elle se servait parfois pour attacher ses cheveux, et l'utilisa pour couvrir tant bien que mal ses blessures.

Son souffle était erratique alors que peu à peu, la colère disparaissait, la laissant horrifiée par son acte. Elle n'avait rien contrôlé, ses émotions avaient totalement pris le dessus. Elle allait en payer les conséquences. Le père Langelier, le seul qui acceptait de s'occuper d'elle sans en informer d'abord son père, n'était pas au château. Elle allait donc devoir se présenter à table blessée, et demander à son père d'intervenir auprès des guérisseurs du palais. Elle jeta un regard paniqué à ses mains. Ses bandages sommaires commençaient déjà à s'imbiber de sang.

La semaine qu'elle venait de passer enfermée lui revint en mémoire et son regard se durcit. Peut-être était-ce l'occasion de faire comprendre à son père que laisser Kélénia l'enfermer n'était pas une bonne idée..

Assise sur son lit, elle regardait par la fenêtre, attendant l'heure fatidique où elle devrait affronter sa famille. Alors qu'elle passait ses mains sur les draps, elle sentit quelque chose sous ses doigts. Surprise, elle souleva la couverture et trouva la boîte à musique en forme d'étoile. De sa main valide, elle la posa sur ses genoux avant de l'activer. Les premières notes résonnèrent dans l'air et la jeune fille ricana en reconnaissant la mélodie.

- « Le chant de la nymphe, tiré de l'opéra Guerre antique, annonçant le début des problèmes... Vous avez un sacré humour, Comte... » marmonna la jeune fille en laissant la mélopée envahir la chambre.

Elle aurait pu rester là des heures, allongée sur son lit à écouter à l'infini les notes de la petite boite à musique, mais la lumière du soleil qui inondait maintenant la chambre la rappela à l'ordre. Remettant un semblant d'ordre dans sa tenue, Crystal se dirigea vers la salle à manger.

Son entrée fut aussi fracassante qu'à l'accoutumée et à peine fut-elle assise que Kélénia ouvrir les hostilités.

- « J'espère que ton séjour au cachot t'aura appris à te tenir jeune fille ! »

Pour toute réponse, elle posa ses mains bandées sur la table, fixant sa belle-mère d'un regard amer. Le mouvement de recul autour de la table fut unanime et Kélénia retint de justesse un cri d'horreur. À ses côtés, ses filles se cachèrent les yeux avec effroi.

- « Orio, faites quelque chose ! Elle est complètement folle ! Regardez l'état de ses mains ! hurla Kélénia à l'intention de son mari.

- Crystal, par Kreatos, qu'est-ce qui t'a prit ? » paniqua le Roi en regardant les mains de sa fille avec effroi.

Elle ouvrit la bouche, articulant dans le vide, mais aucun son ne sortit. Sa propre respiration semblait l'étouffer. Elle avait envie de craquer, d'éclater en sanglot. C'en était trop pour elle.

- « Une semaine... Dont trois jours dans le noir... Et tu l'as laissée faire, finit-elle par articuler.

- Il fallait au moins ça pour que tu retiennes la leçon. Tu crois que c'est facile de t'éduquer ? s'indigna la mage verte.

- Ca suffit ! intervint Orio. Je sais que vous ne vous appréciez pas, mais ce n'est pas une raison pour vous acharnez l'une sur l'autre !

- Parce que je m'acharne sur elle ? Je ne l'enferme pas dans les cachots à chaque fois qu'elle fait quelque chose qui me déplaît, que je sache ! explosa Crystal, les larmes aux yeux.

- J'ai dit : il suffit ! Cela n'a plus d'importance de toutes façons. J'ai choisi ton futur mari. Encore une petite semaine pour finaliser l'accord commercial et tu quitteras ce château, l'informa-t-il.

- Quoi ? Déjà ? s'exclama la jeune fille, paniquée.

- Oui, déjà. Tu devrais être contente, tu ne verras plus Kélénia.

- Mais je ne veux pas me marier ! s'exclama Crystal qui commençait à perdre son sang-froid. Je ne sais même pas à qui tu m'as vendue !

- On dit "fiancée", jeune fille. Et si tiens à le savoir, il s'agit d'Aloys Ad Avior. »

Instantanément, le visage du mage rouge lui revint en mémoire, la faisant pâlir un peu plus.

- « Pas lui ! Il est faux ! Son comportement est calculé au millimètre près !

- Il a le comportement dû à son rang et cela ne te fera pas de mal de le côtoyer ! intervint Kélénia.

- Pourquoi pas le comte Vur Mekhanik de Peshtta ? Cela permettrait d'apaiser les tensions entre Trevileos et Peshtta ! paniqua la jeune fille.

- Je n'ai rencontré aucun comte de Peshtta lors du gala. S'il tenait tant que ça à faire la paix entre les deux royaumes, il serait venu me voir, je pense », répondit Orio.

Non, c'était impossible, elle ne pouvait finir mariée avec ce... avec cette imposture !

- « Je refuse !

- Grandis, bon sang, Crystal ! Tu es princesse, comporte-toi comme telle ! intima son père.

- Je suis une princesse ? Alors comportez-vous avec moi comme si j'en étais une ! Pas comme si j'étais une malédiction !!! Peut-être que ça m'adoucirait le caractère !

- Silence ! Le diadème sur ta tête est déjà de trop pour une abomination telle que toi ! Tu es princesse qu'on le veuille ou non, alors maintenant tu vas baisser les yeux, écouter sagement et faire ce qu'on te dit de faire. Sinon ce n'est pas une semaine que tu vas passer aux cachots, mais un mois !!! » hurla Kélénia en se levant brusquement, les yeux exorbités par la rage.

Un silence pesant s'abattit sur la salle tandis que la jeune fille affrontait du regard chaque personne présente. Ses yeux croisèrent ceux d'Onyx et elle comprit qu'il anticipait déjà une action suicidaire de sa part. Il avait totalement raison.

- « Donc c'est ce diadème qui vous permet de me traiter comme une moins que rien et de me marier de force ? » demanda Crystal, le ton bizarrement calme.

Voyant que toute l'attention était portée sur elle, la jeune fille se leva doucement, prenant garde à ne pas faire de bruit en reculant sa chaise. D'un pas qu'elle voulait léger, elle se dirigea vers la porte. Elle avait la main sur la poignée lorsqu'elle se retourna vers sa famille qui l'observait, médusée par son attitude. D'une main, elle enleva le diadème de sa tête et avec la seconde, le tordit de toutes ses forces, grimaçant sous la douleur de ses blessures.

Puis le lâcha.

Le tintement du métal contre le sol en marbre résonna dans toute la pièce, se répercutant dans les oreilles de chacun.

- « Dans ce cas, reprenez-le. Je n'en ai jamais voulu. »

Puis, avec un calme olympien, elle quitta la pièce sans attendre de réponse. Après une scène comme celle-ci, il ne lui restait qu'une chose à faire : quitter le château avant que son père se remette du choc de voir sa fille se révolter à ce point. Cette fois-ci, elle ne prit même pas la peine d'être discrète. Elle courut dans les couloirs les plus fréquentés, évita de justesse plusieurs escouades de soldats et réussit à sortir de l'enceinte du palais.

Mais sa course ne s'arrêta pas là et elle dû utiliser toute sa connaissance des rues de la capitale pour échapper aux gardes de son père. Elle rejoignit le port des chars à voile et, près de l'un des quais, vit celui de Kilaï et Keven qui commençait à démarrer. Instinctivement, elle se remit à courir, faisant de grands signes à ses amis. Heureusement, la petite mage bleue l'aperçut et cria à son frère de ralentir. Au même moment, une patrouille surgit derrière elle, lui sommant de s'arrêter. Ignorant totalement les appels virulents des gardes, Crystal continua de courir. Elle pouvait entendre leur pas jderrière elle et pendant une demie-seconde, crut qu'elle ne réussirait jamais à atteindre le bout du ponton. Sur le sable, le char des faux-jumeaux continuait d'avancer et, si elle n'accélérait pas, elle n'arriverait pas à monter à bord. Elle puisa dans ses dernières ressources pour effectuer un ultime sprint, et le bout du ponton se dessina sous ses pieds alors qu'elle effectuait un bond fabuleux. Un instant, elle se sentit flotter dans les airs avant que ses doigts n'accrochent ceux de Keven et qu'il la tire avec force à l'intérieur du char. Elle avait réussi.

Alors qu'il la maintenait toujours contre lui, le mage télékinésiste détacha la corde qui retenait la voile. Le vent s'y engouffra et l'embarcation accéléra brusquement. Dans le soubresaut qui secoua le char, Kilaï se jeta sur son amie, l'entourant de ses bras.

Et soudain, tout disparut.

Littéralement.

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