Chapitre quatre : Le gala royal
Quand Crystal atteignit l'immense salle de bal, elle fut frappée par certains... « détails ». Pour commencer, à peine entra-t-elle que toutes les conversations se turent. Ensuite, il y avait beaucoup plus de monde qu'elle ne l'imaginait et c'était donc plusieurs dizaines de personnes qui la dévisageait avec intérêt, ou mépris selon leur origine. Heureusement, beaucoup reprirent leur conversation très vite et elle pu continuer d'avancer pour rejoindre son père qui lui faisait signe depuis l'autre bout de la salle. Près de lui, un homme d'une cinquantaine d'années semblait lui présenter un jeune homme à la chevelure rouge. Grâce à ses cours de diplomatie, la jeune fille n'eut aucune difficulté à identifier l'emblème des deux sabres croisés appartenant à Allister Ad Avior, un puissant propriétaire terrien d'Amao qui s'était récemment offert le titre de Seigneur. Le jeune homme devait être son fils aîné et fatalement, un de ses prétendants.
- « Laissez moi vous présenter ma fille, Crystal.
- « Enchanté, Princesse ! » s'exclama le seigneur en trévilien.
La jeune fille retint un haussement de sourcil en entendant sa langue natale, ne sachant pas comment en interpréter l'usage. Le mage rouge venait-il de la saluer dans sa langue natale parce qu'il voulait lui montrer qu'il était cultivé, ou parce qu'il s'imaginait qu'elle ne maîtrisait pas l'unifié, la langue commune à tous les royaumes ? Il était pourtant de notoriété publique que la jeune fille parlait couramment une demi-douzaine de langues. Généralement, Allister passait au mieux pour quelqu'un d'arrogant et au pire pour quelqu'un d'extrêmement arrogant. Lui faire une remarque publiquement n'étant pas envisageable, elle retint de justesse la réplique acerbe qui lui vint aux lèvres.
- « Tout le plaisir est pour moi, Seigneur, souria-t-elle en le saluant en amaen.
- « Ta fille ne manque pas d'esprit Orio ! s'esclaffa le seigneur en la dévisageant. Princesse, je vous présente mon fils aîné, Aloys, déclara-t-il en désignant le jeune homme d'un mouvement de la main.
- Je suis ravi de faire la connaissance d'une si jolie demoiselle ! » dit celui-ci en la fixant de ses yeux verts, tout en lui prenant la main pour le baise-main d'usage,
Crystal senti le rouge lui monter aux joues et effectua une nouvelle révérence pour cacher sa gêne. Il fallait dire qu'à part Keven, elle n'avait guère l'habitude des contacts avec la gente masculine. Heureusement, son père reprit sa conversation avec le seigneur Avior à propos d'un nouvel accord commercial, et elle put s'éclipser discrètement, disparaissant au milieu des invités.
La soirée fut interminable et sa robe, bien que magnifique, était aussi inconfortable que longue. Elle devait veiller en permanence à ce que personne ne marche dessus. Malgré sa fatigue, les nombreux prétendants et la musique ennuyeuse à mourir, elle se plia à toutes les règles de bienséance qu'elle avait apprises, et dansa avec beaucoup trop de jeunes hommes à son goût. Sous la douleur, elle manqua de perdre son sang-froid la cinquième fois que son dernier cavalier lui écrasa le pied. Elle le planta sans un mot sur la piste de danse et sortit sur le balcon. Peu de gens s'y trouvaient, préférant la chaleur du palais aux vents froids d'Eolis. Elle s'assit sur l'un des bancs de pierre qui longeaient la balustrade et retira ses chaussures pour masser ses pieds endoloris, agacée par l'incapacité de son cavalier à retenir les pas de la valse ivalyrienne.
Au-dessus d'elle, les étoiles parsemaient le ciel et la lune éclairait la ville comme en plein jour. Perdue dans sa contemplation, Crystal n'entendit pas que quelqu'un approchait et sursauta lorsqu'il se posta devant elle.
- « Je n'avais pas pour but de vous effrayer, votre Altesse, souria le jeune homme en la regardant poser sa main sur son cœur.
- Vous avez l'habitude de vous déplacer discrètement ou étais-je trop perdue dans mes pensées pour vous entendre ? » l'interrogea-t-elle en souriant à son tour..
Elle l'observa rapidement , essayant de se rappeler si elle lui avait parlé au cours de la soirée. Le jeune homme avait beau se tenir à contre-jour, elle distinguait néanmoins les reflets roux de ses cheveux, si caractéristiques des mages cristalliseurs. Elle n'avait croisé la route d'aucun d'eux pendant la soirée, elle en était sûre.
- « Sans vouloir me vanter, je suis plutôt discret de nature.
- Et quel est donc votre nom, Monsieur Discret ? ? »
- Comte Vur Mekhanik, pour vous servir ! » annonça-t-il en se relevant pour effectuer une légère courbette.
Le nom aux sonorités sèches sonna à l'oreille de la jeune fille et elle réfléchit à toute vitesse pour situer le royaume d'où venait son interlocuteur. Sa tenue était sobre, sans broderies extravagantes, exhibant l'emblème du territoire. Même si elle trouvait l'ensemble beaucoup plus agréable à l'œil que les tenues des autres prétendants, à ce moment précis elle aurait préféré que le jeune homme exhibât son blason avec fierté.
De son côté, le jeune comte la regardait chercher son origine avec un regard amusé. Elle eut soudain un éclair de génie :
- « Foirnéise ! Vous venez de Foirnéise !
- Peshtta. Je préfère Peshtta... » grimaça-t-il.
Aussitôt, la jeune fille porta la main à sa bouche au vu de l'énorme gaffe qu'elle venait de commettre. Ce qu'elle avait appelé Foirnéise était en fait une ancienne région du territoire de Trévileos, qui avait récemment obtenu son indépendance. Malheureusement, les larmes et le sang de plusieurs milliers de Foirnéisiens en avaient été le prix à payer... Depuis, le territoire avait été renommé Peshtta, qui signifiait également « Fournaise », mais dans la langue d'origine. Si sa mémoire était bonne, et elle l'était, le petit territoire était spécialisé dans la construction de mécanismes semi-magiques.
- « Veuillez m'excuser, je suis désolée, je n'ai pas encore l'habitude... Je ne voulais pas être offensante...
- Aucun problème, je ne suis pas rancunier et vu votre âge, je doute que vous ayez participé à cette malheureuse guerre, l'excusa-t-il en souriant légèrement. Que diriez-vous d'une danse ?
- Seulement si vous me promettez de ne pas m'écraser les pieds ! plaisanta la jeune fille en remettant ses chaussures.
- Je ne promets rien, hormis d'être moins mauvais que votre précédent partenaire. » ironisa-t-il en la prenant par la main.
Les deux adolescents regagnèrent la salle de bal et presque immédiatement, une valse commença. Sur la piste de danse, la vive lumière permit à Crystal de voir complètement le visage de son nouveau prétendant. Elle faillit sursauter violemment en découvrant la balafre qui courait sur la joue gauche de son cavalier. Pour ne pas froisser le jeune homme, elle aurait préféré faire comme si de rien n'était. Mais elle croisa son regard et comprit qu'il avait vu sa réaction. Son sourire chaleureux la rassura et elle se concentra sur les pas de valse. Elle soupira de soulagement en constatant que le jeune comte savait parfaitement danser et, pour la première fois, apprécia vraiment cette danse. Quand la musique s'arrêta, le jeune homme attira Crystal dehors et sorti quelque chose de sa poche, éveillant sa curiosité. Paume ouverte, il lui présenta un petit objet en forme d'étoile composé de minuscules rouages.
- « Qu'est-ce que c'est ?
- Une boîte à musique peshttienne. C'est un cadeau de mon pays en votre honneur, jeune princesse. »
La jeune fille prit délicatement l'objet entre ses doigts, détaillant ses magnifiques gravures, et le remercia chaleureusement. Il l'observait avec malice à travers ses mèches rousses. D'une voix désolée, il déclara qu'il devait malheureusement se retirer, mais qu'il apprécierait vraiment de la revoir pour faire davantage connaissance. Elle répondit qu'elle en serait enchantée. Puis le mage orangé disparut dans la foule et elle se retrouva de nouveau seule.
Pas très longtemps cependant, puisque le fils aîné du seigneur Avior vint rapidement la rejoindre pour lui proposer une danse. Il dansait lui aussi très bien, mais après quelques minutes, Crystal se sentit fatiguée et s'en excusa. Le jeune homme insistant pour rester encore un peu à ses côtés, elle lui proposa de la raccompagner à ses appartements en passant par les jardins du château... Ce qu'il accepta avec empressement.
À l'entrée des jardins, la jeune fille retira ses chaussures pour marcher pieds nus sur l'herbe humide, sous le regard amusé de son compagnon.
- « Vous me paraissez bien peu conventionnelle pour une princesse ! s'exclama-t-il en la regardant marcher ses sandales à la main.
- C'est ce qui fait mon charme, paraît-il... » murmura-t-elle.
Elle aurait bien voulu prendre part à une vraie conversation, mais la fatigue l'accablait et bientôt, elle commença à bailler. Remarquant sa fatigue, Aloys réagit en compagnon modèle, lui offrit son bras pour monter les escaliers et se contenta de lui baiser la main sur le pas de la porte avant de retourner dans la salle de bal.
Exténuée, Crystal tira la sonnette qui lui permettait d'appeler Sélène à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Elle évitait généralement de le faire, mais la fatigue l'emporta sur son désir de ne pas la réveiller, et quelques minutes plus tard, la jeune femme toquait à sa porte. Crystal s'empressa de lui ouvrir et avec son aide, retira sa robe et enfila des vêtements de nuit nettement plus confortables. Quand Sélène quitta finalement la chambre, la jeune fille utilisa ses dernières forces pour ranger dans sa coiffeuse les deux petits tubes de composants chimiques volés le matin même, et la magnifique boîte à musique offerte par le comte.
De tous les prétendants, c'était sans aucun doute celui qui lui avait le plus plu. Et même si elle n'avait aucune envie de l'épouser, ni personne d'autre d'ailleurs, si elle devait faire un choix, ce serait certainement sur lui qu'il se porterait. De tous, c'était celui qui lui avait parut le moins intéressé et le plus franc dans sa façon de parler et de se comporter. À l'inverse, Aloys lui semblait moins vrai et même s'il était charmant, cultivé et d'agréable compagnie, elle sentait derrière chacun de ses gestes une précision froide et calculée. Comme si chaque mouvement qu'il effectuait était parfaitement planifié et réfléchi de façon à la séduire.
Chassant de ses pensées les deux jeunes hommes, Crystal s'approcha de la fenêtre pour la fermer. Elle glissa un dernier regard sur la cour centrale dans laquelle les invités en partance attendaient leur calèche. Près de la grande porte, elle remarqua un mage orange qui regardait dans sa direction.
De loin, elle ne pouvait être sûre qu'il s'agissait bien du jeune comte, mais elle n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage. Elle avait détourné le regard à peine une seconde et il avait disparu. Elle ferma la fenêtre et se laissa aller sur son lit. Le crépuscule était tombé depuis fort longtemps et sa fatigue commençait à l'empêcher de réfléchir correctement. Doucement, elle glissa dans le sommeil avec l'intime conviction que cette nuit, ses cauchemars la laisseraient tranquille.
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