Chapitre dix-neuf : Alerte !
Cela faisait trois jours maintenant qu'ils avaient quitté la capitale. Trois jours que Crystal Akaraï n'existait plus. Elle s'appelait Elh désormais. Cela faisait partie des changements auxquels elle avait dû s'habituer très vite. La présence des mercenaires en faisait partie. Ces derniers avaient été surpris de la découvrir aux côtés de Loreis, ils lui avaient jeté quelques regards suspicieux mais ça s'était arrêté là. Aucun ne lui avait posé de questions même si elle en avait vu un ou deux se rapprocher de Nieru, le seul au courant de la situation. Pourtant, lors de ces entrevues, ce n'était pas vers elle que les regards étaient tournés mais bien vers le rouquin...
En parlant de lui, son air sérieux et professionnel qu'il avait adopté dans les souterrains laissait peu à peu place à ce qu'elle avait pu voir lors du gala royal. Le mage orange se révélait être le comique de service et avait décidé de ne pas la lâcher d'une semelle. Cela ne la dérangeait pas tant que ça, au contraire, elle retrouvait dans son comportement la spontanéité de ses échanges avec Sélène ou les faux-jumeaux. C'était... Rassurant.
Alors qu'elle était plongée dans ses réflexions, le rouquin vient s'asseoir à côté d'elle à l'intérieur de la cale. Ils avaient atteint les abords du canal la veille dans la matinée, signe qu'ils étaient désormais bien loin de la capitale. Cela avait soulagé tout le monde sur le char et c'était compréhensible. Les canaux étaient à l'abandon à cette période de l'année car le vent créait une forte houle qui rendait la navigation impossible. Les chances de croiser quelqu'un était donc presque nulles.
D'une main distraite, elle attrapa la nourriture que lui tendait Loreis et mordit dedans. Ça aussi ça faisait parti des changements. Elle avait dû revoir à la baisse son régime alimentaire dès le premier repas mais elle était sûre qu'elle n'aurait pas de mal à s'y faire à la longue. Et puis les rations avaient un petit goût de... liberté ? pensa-t-elle en mordant dans le morceau de pain sans réelle conviction. Bon elle s'en persuadait comme elle pouvait...
- "Nieru a commencé à sentir entendre les signes vitaux de la télépathe de la deuxième équipe. C'est encore très léger mais il peut déjà affirmer qu'on les rejoindrait d'ici un quart d'heure au plus tard."
La jeune fille acquiesça en jetant un regard au mercenaire. De là où elle était, elle n'avait qu'à regarder dans sa direction pour avoir un gros plan sur sa cicatrice. Elle ne savait toujours pas d'où elle venait, même si elle en avait une vague idée à présent. Un comte avec une cicatrice, c'était bizarre, alors qu'avec un mercenaire, c'était déjà plus logique.
Loreis du sentir son regard curieux puisqu'il tourna ses iris écarlates vers elle, un sourire au coin des lèvres.
- "Je rêve ou tu fais de l'œil à ma cicatrice ? Je suis bien plus beau, tu sais ? s'esclaffa-t-il.
- Je préfère la cicatrice, répliqua la jeune fille avec humour..
- Tu es offensante, jeune fille.
- Tu aurais pu le remarquer avant de m'embarquer, ricana-t-elle avant de continuer avant de faire un signe dans la direction de la blessure. Comment tu t'es fait ça ?
- "Un liongarde m'est tombé dessus lors d'une patrouille et comme j'ai un goût absolument fabuleux, il était pas vraiment d'accord pour me laisser m'échapper."
L'explication fit frémir Elh. Les liongardes étaient une véritable menace pour les voyageurs. Ces prédateurs à l'allure très féline pouvaient atteindre des proportions dantesques. On avait déjà enregistrer des individus de plus de six mètres de longs pour deux mètres au garrot. Leurs crocs faisaient facilement la taille d'un avant bras et passaient à travers n'importe quoi comme dans du beurre. Comme si ce n'étais pas assez, ils étaient aussi des rois en matière d'adaptation, on retrouvait partout. La seule différence était la couleur des pierres qui dépassaient de leur dos. Transparentes dans les glaciers, jaunes dans le désert, noires et moussues dans les forêts... Pour couronner le tout, ils étaient durs à abattre, extrêmement durs.
- "Comment tu t'en es sorti ?
- Une de nos équipe a réussis à me sortir de là... grogna le mercenaire, visiblement contrarié.
- Tu as eu de la chance...
- Si j'avais eu de la chance, une autre équipe serait venue m'aider... Maintenant je me retrouve avec une dette envers l'enflure qui dirige cette équipe..." grimaça-t-il en jouant avec la pierre noire qui lui servait de collier.
Elh n'osa pas insister, Loreis semblait déjà suffisamment en colère et finalement les deux adolescents finirent leur repas dans le silence.
Le ventre plein, la jeune fille commençait à somnoler, bercée par les mouvements du char quand ce dernier fit une brusque embardée qui l'envoya rouler de l'autre côté de la cale en même temps que Loreis. Ce dernier fut bien plus réactif qu'elle, il servit de la paroi pour se remettre sur pieds et se projeter sur l'échelle qui menait au pont en appelant Nieru.
- "Qu'est-ce qu'il se passe ?! cria-t-il.
- On a sous-estimé la garde royale ! Ils nous ont rattrapé et ont sorti les grappins ! Restez pas dans là dedans !"
Le mage orange jura entre ses dents avant de se tourner vers Elh.
- "T'as entendu ? On remonte !"
Comme pour appuyer ses dire, un affreux craquement de bois retentit dans la cale. Il n'eut pas besoin de se répéter, Elh sortit de la cale juste derrière lui. Sur le pont, la panique était totale, tout le monde courrait dans tous les sens, essayant de se stabiliser plus de deux secondes pour pouvoir tirer une flèche en direction de l'un des trois chars de combat de l'armada royale.
Cette dernière semblait d'ailleurs bien décidée à transformer leur embarcation en bois de cheminée à en viser par le bastingage arrière qui s'était déjà fait arraché par les grappins et la voile lacérée sur la longueur, certainement par une volée de flèches.
- "Comment ils ont fait pour s'approcher aussi près sans qu'on les remarque ? s'époumona Loreis.
- Je compte une dizaine de mages invisibles sur chaque chars, mais leur présence mentale est très faible. Il doit y avoir plusieurs mages de contrôle mental à bords ! lui répondit Niéru depuis l'autre bout du char.
- Fais chier !"
Malgré la panique ambiante, Elh regarda autour d'elle pour essayer d'analyser la situation. Sur les trois chars, deux les talonnaient de près et le dernier les poussait vers le canal. En face d'eux, se dressait une dune gigantesque au point ou même Keven qui était un excellent pilote aurait fait le choix de la contourner. Sauf que dans leur cas, la manœuvre allait s'avérer compliquée...
Ses mains, crispée autour de la rambarde qui menait à la cale lui permettait de maintenir son équilibre et heureusement. Un grappin, mieux placé que les autres, arracha leur roue gauche dans un choc si violent qu'il manqua de l'éjecter. Leur embarcation, privée de d'une de ses roues motrices s'affaissa sur le flanc. L'équipage, déstabilisé par le changement de position, glissèrent sur les lattes et bois. Les soldats royaux en profitèrent pour lancer une nouvelle volée de flèches et Elh écarquilla les yeux lorsque l'une d'elles vient toucher le conducteur. Sous la douleur, il relâcha sa prise sur la barre et glissa vers les autres mercenaires plaqués contre les rambardes de sécurité. Sauf que sans pilote pour assurer la direction, le char se mit à dévier jusqu'à se retrouver parallèle à la dune qui se dressait devant eux.
Et si il y avait bien une chose que la jeune fille avait retenu de ses leçons avec Keven, c'était qu'un char, aussi rapides et aérodynamique qu'il soit, ne pouvait pas franchir une dune par son flanc, encore moins avec une roue en moins. S'ils tentaient le coup, ils finiraient juste par s'arrêter dans un choc qui projetterait tout l'équipage en dehors de l'embarcation.
Il fallait éviter ça à tout prix. Alors Elh s'élança vers la barre et réussit à l'atteindre sans trop savoir comment. Elle mit toute sa force pour essayer de redresser le char mais rien n'y faisait. Dans un dernier recours, elle chercha Loreis du regard et le trouva, à quelques pas d'elle, occupé à faire des trous dans les voiles ennemis et couvert par Niéru.
- "Loreis ! J'ai besoin d'une roue ! Vite !" hurla-t-elle, tout son corps contracté pour retenir l'embarcation alors qu'elle voyait la dune se rapprocher à toute vitesse.
Le rouquin se retourna vers elle, stoppant quelque secondes ses mouvements avant de tendre la main vers l'essieu et immédiatement, ce dernier se recouvrit de cristal orangé jusqu'à prendre la forme de roue. Sous leurs actions combinées, l'embarcation se redressa, juste à temps pour entamer la pente ensablée.
- "Accrochez vous !" hurla la jeune fille lorsque ses pieds décollèrent du sol.
L'ascension fut rapide, trop rapide. Au bout de quelques secondes à peine, ses doigts commencèrent à glisser et alors qu'ils n'avaient même pas atteints la moitié de la dune, ses mains lâchèrent la barre.
La jeune fille se sentit tomber avec horreur, ses bras battants dans le vide pour essayer de se raccrocher à quelque chose. Et alors qu'elle s'attendait à passer par dessus bord, son dos s'écrasa contre une surface dure et deux bras l'attrapèrent pour la maintenir en place.
Encore sous le choc de la chute, l'adolescente mit un moment à comprendre que Loreis l'avait rattrapé en reconstruisant le bastingage arrière pour pouvoir s'en servir de point d'appuis et qu'il venait certainement de lui éviter une chute potentiellement mortelle. Lorsqu'elle se retourna pour le remercier, elle le vit, le teint livide, le visage crispé par l'effort. Et pour cause, en plus de la roue gauche et du bastingage, le mage cristalliseur avait recouvert la deuxième roue et la voile d'une fine couche de cristal pour les protéger des coups ennemis. Même pour un excellent mage de stade trois, la manœuvre restait exténuante.
Les dents serrées, la jeune fille vit le haut de la dune s'approcher. Ce n'était pas tant la montée ou le vol plané qu'ils allaient faire qui la terrifiaient. Non, sa plus grande crainte c'était l'atterrissage. Avec leur vitesse et la hauteur de la dune, il allait être plus que violent.
Elh ferma les yeux et l'embarcation s'envola. Leur corps suivirent le mouvement et se retrouvèrent à flotter à quelques centimètres du plancher du char. Cela dura moins d'une fraction de seconde avant que Loreis ne parvienne à attraper la barre et à les y tirer. Cela eu au moins l'avantage de permettre à l'adolescente de mettre la main sur la poignée contrôlant les roues pour les remonter le long de la coque. C'était une mesure obligatoire lors d'un saut puisque les laisser baissées les condamnaient à être brisées lors de l'atterrissage. Toujours dans son dos, elle pouvait sentir que Loreis faiblissait, il avait beau continuer à la maintenir proche de la barre, ses yeux étaient clos et sa peau transpirait à grosses gouttes. Il était à deux doigts de tout lâcher.
Si cela n'échappa pas à l'ex princesse, cela n'échappa pas non plus aux gardes royaux. Après tout, Loreis était le seul mage orange sur l'embarcation, si il était mis hors d'état de nuire, les protections du char se briseraient au moindre coup. C'est dans ce but qu'une volée de flèche fusa vers eux. Si une bonne partie se plantèrent dans le bois, une, plus habile que les autre atteignit le mercenaire en plein dans les côtes. Le cri de douleur qu'il poussa vrilla les oreilles de la jeune fille.
Avec horreur, elle vit tout le cristal autour d'eux voler en éclat, détruits par les projectiles ennemis. Les mains de Loreis la lâchèrent avant que ce dernier ne soit éjecté de l'embarcation toujours en vol. Mue uniquement par son instinct, Elh parvint à accrocher le poignet du mage orange, mais en contrepartie sa main qui se tenait à la barre lâcha prise. En une fraction de seconde, les deux jeunes passèrent par dessus bord. Entre ses cheveux, la jeune fille vit le sol se rapprocher à toute vitesse. Aussi vite qu'elle le pouvait, elle s'accrocha à l'adolescent et se prépara mentalement au choc de l'impact. Plus que quelques secondes... cinq... quatre... trois... deux...
Les deux corps s'écrasèrent sur le sable avant de se mettre à rouler le long de la dune. Les yeux fermés pour les protéger du sable, Elh tentait tant bien que mal de se remettre du choc qui avait manqué de la faire sombrer dans l'inconscience. Elle avait déjà fait ce genre de chute, mais aucune n'avait été aussi violente. La jeune fille remercia intérieurement la tenue fournie par les mercenaires qui avait encaissée une grande partie du choc et de la pente qui les avait fait rouler plutôt que de s'écraser. Toujours accrochée au corps inconscient du rouquin, elle ne vit pas le bord du canal se rapprocher et manqua une crise cardiaque en se sentant tomber une nouvelle fois.
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