3. Intrus
Malheureusement, comme les ennuis ne viennent jamais seuls... Matt fut soudain envahi d'un mauvais pressentiment. Il jeta un coup d'œil à son patron qui s'envoya le reste de son verre cul sec et le posa avec fracas dans le porte-gobelet. Chose qu'il ne faisait jamais. Pas de le poser avec fracas. Le poser tout court.
- Tu as senti ça ?
Matt acquiesça. Pour la première fois depuis qu'il avait épousé sa femme, il y a cent ans de cela, il n'avait pas ressenti cette absence, cette solitude : le lien qui les unissait venait de rompre.
Soudainement.
Son regard s'obscurcit, craignant le pire. Pourtant, il aurait su si elle était morte, pour de bon, cette fois. Non, c'était autre chose, mais quoi ?
- Je ne les sens plus, lui avoua son Roi, perplexe.
Une première pour lui aussi. D'habitude, il avait presque du mal à se concentrer tellement les pensées de ses sujets le parasitaient non-stop, puisque chaque vampire était intimement lié à son Suzerain. Ils n'avaient qu'à bien se tenir...
Et maintenant qu'il avait rêvé plus d'une fois de se retrouver à nouveau seul dans sa tête, sans personne pour l'emmerder, il espérait que son royaume ne s'était pas réduit considérablement.
- Méfie-toi de tes souhaits, se murmura-t-il, en jetant un coup d'oeil par la fenêtre.
Son meilleur ami, qui lui manquait, éternua à des kilomètres de là.
Surpris de trouver ses poings serrés, Matthew s'obligea à se détendre avant d'ordonner à Dylan, le conducteur de tête, de passer à la vitesse supérieure.
Ça sentait mauvais et ils ne savaient même pas à quel point lorsqu'ils passèrent dix minutes plus tard devant le poste de garde, positionné à l'entrée du parking du cimetière. Cimetière qui donnait accès aux Souterrains d'Epsilon et accessoirement le domicile des Êtres de la Nuit. Du moins, plus pour longtemps.
- Chef ? Demanda Dylan, une fois la surprise passée, au niveau du poste.
De mémoire du Colonel, troisième dans la chaîne de commandement et le conducteur du pickup de l'avant, il n'avait jamais eu affaire à un cas de figure similaire. Maxime et Curtis, les deux vampires de garde, assis dans le poste de surveillance, le regardaient sans le voir, comme figés dans le temps et l'espace. Pire encore, chacun d'eux arborait sur leur visage une absolue terreur.
- Je crois qu'on a un problème, continua Dylan, la gorge nouée.
Sebastian, sans attendre qui que ce soit, contrairement au protocole de sécurité, descendit de la limousine à même la rue, suivi de près par son fidèle garde du corps. Il traversa la distance qui le séparait du poste en un battement de cil, fit sortir la porte en acier de ses gonds et pénétra dans la cabine.
Doucement, avec toute la retenue dont il pouvait faire preuve, il frôla, de ses longs doigts fins et pâles, la joue de l'un de ses sujets, Curtis.
Le voir ainsi, brisa quelque chose en lui, et le monstre qui se cachait devant la façade du monarque surgit des profondeurs de son coeur noircit par les ténèbres. Son pouvoir se déversa dans l'air ambiant, épais, piquant et si furieux que même Matt s'empressa de s'éloigner.
L'homme revendiqua son appartenance et le charme fut rompu. Curtis, Maxime et tous les autres dans les confins de la ville se réveillèrent et seul la puissance déversée dans la nuit empêcha les deux gardes de sauter à la gorge de leur Roi par mégarde.
Aussitôt, Sebastian perçut un flot de sensations, un flot de sentiments qui l'envahirent et l'informèrent par la même occasion. D'une simple pression, il interrompit les explications de ses hommes, réactiva son oreillette et ses ordres fusèrent, tandis qu'il se déplaçait vers l'entrée avec Matt.
Parfaitement cachée jusqu'à aujourd'hui, elle était dissimulée dans le caveau familial de l'ancien Roi Vampirique, tout proche du mur d'enceinte du cimetière.
- Kysten, Syk, Dylan, allez garer les voitures. Brady, Bill reprenez la garde du poste. Curtis, Maxime, vous venez avec nous. Le reste avec moi. Alcide, remet en marche le réseau. Nausicca, Dean débarquez, armer avec votre équipe dans mon bureau et mettez en joue ses deux connards.
Personne ne répondit, mais tout le monde s'activa, sans vraiment comprendre. Ils avaient une fois aveugle en leur Roi et ils savaient tous que les explications arriveraient plus tard.
Mais pas pour Matt, et tandis qu'ils descendirent les escaliers en colimaçon, aux marches inégales et irrégulières qui empêchaient quiconque d'utiliser la magie pour aller plus vite, il osa demander :
- Serait-il probable que cela soit une réponse à votre demande ?
Sebastian jeta un regard derrière son épaule en retirant ses lunettes.
- Plus que probable, en effet, opina le Roi, impassible.
***
Nausicaa se réveilla d'un bond, ne se souvenant même pas de ce qu'il s'était passé. L'instant d'avant, elle discutait avec Marina dans la pièce qui servait de va-et-vient, l'instant suivant, son Roi lui braillait des ordres dans son oreille active h24, 7j/7. Elle avait vraiment l'impression de se réveiller d'un cauchemar, chose qui ne s'était pas produite depuis un siècle. Pas parce qu'elle n'en faisait jamais, mais surtout parce qu'un vampire ne dormait pas, donc ne pouvait pas rêver et encore moins cauchemarder.
Elle faillit hurler de frustration et briser sa carapace, chose qu'elle ne pouvait en aucun cas se permettre. Résultats des courses, ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes, la faisaient saigner.
Sa seconde pensée cohérente fut pour son Roi. Elle l'avait entendue : il allait bien. La suivante fut pour son mari, Matt. Elle ne se souvenait pas d'avoir entendu son nom, mais son lien avec lui assurait qu'il allait bien.
Sans perdre de temps, elle s'appliqua à obéir. Sortant son téléphone, elle sauta de canal et ouvrit celle de son équipe. Le sang macula automatiquement son écran tactique sans que cela la gène plus que cela. Quand le sang faisait partie intégrante de son alimentation, on faisait fi de ces choses-là comme un être humain verrait de l'eau. Quoique de l'eau sur un téléphone en hérisserait plus d'un...
- Vous avez entendu les filles ? Je vous attends toutes dans le Vestibule.
Puis sans perdre une seconde, elle détala à une vitesse redoutable, tout droit dans l'endroit en question. Dean, qui était déjà affublé à la surveillance de l'entrée du bureau, l'attendait avec les hommes et les femmes de leur équipe qui n'étaient pas loin au moment de l'incident, alors que les autres continuaient d'affluer à vitesse grand V.
Quelques secondes plus tard, au complet, tous l'arme au poing, ils entrèrent dans le bureau, sécurisant la zone, mettant en joue les deux intrus.
Assis sur le bureau du Roi, Erik sourit avec arrogance alors que pas moins d'une vingtaine d'armes à feu le mettait en joue, lui et son frère.
Malheureusement, il en avait connu d'autres et il était toujours de ce monde, n'en déplaise à la jeune femme blonde qui le fixait de ses yeux aussi noirs qu'un ciel sans lune.
Jeremy avait eu la décence de s'assoir sur l'un des fauteuils réservés normalement aux invités, bien que sa posture était d'un naturel négligé : le talon de sa jambe de gauche sur le genou de celle de gauche, les coudes sur les accoudoirs dont les mains se joignaient par les doigts qui se touchaient à peine. Bref, tout criait en lui que ses lieux lui appartenaient, comme tout en ce bas monde. Muais.
- Bouh ! cria d'un coup Erik.
Et pendant une seconde le silence se fit pesant avant qu'il n'éclate d'un rire lugubre, sous les yeux éberlués des vampires.
Ce mec est fou à lier !
Nausicaa se rembrunit. Bien sûr qu'il était fou : il avait fait preuve d'un sortilège interdit chez le Roi des Vampires d'Epsilon, en plus de se taper l'incruste sur son bureau tout en prenant la pose.
Le rire se transformant en fou rire, si bien que l'homme brun presque blond à la mâchoire carrée, souligné par sa longueur de cheveux et son pull à col roulé sombre, mais si près du corps, qu'il moulait le moindre de ses muscles, pleura en se tenant les côtes.
Puis soudain, comme si quelqu'un avait pris la télécommande pour faire pause, l'homme s'arrêta de rire et redevenait aussi stoïque qu'une pierre, affichant de nouveau son sourire d'une arrogance qui donnait envie à quiconque de lui foutre une balle en pleine tête, Naus la première.
Une pensée affreuse germa dans son esprit : pour une fois, elle aurait aimé que l'une des personnes se trouvant avec un flingue faillisse à sa tâche, paniquant et tirant sur cet étrange personnage qui faisait hurler ses tripes et sonner toutes ses sonnettes d'alarmes, secouant ses plus bas instincts.
Et comme pour l'en dissuader de commettre une bêtise ou de confirmer ses dires, son Roi choisit ce moment-là pour apparaître d'un pas mesuré, suivi de Matt.
Dans toute sa splendeur, Sebastian fit comme si de rien était : il entra dans son bureau et se servait tout naturellement un verre de whisky à quelques centimètres d'Erik.
Celui-ci sourit davantage, chose que Naus aurait crue impossible deux secondes plus tôt.
Son mari lui jeta un coup d'oeil et évalua rapidement la situation. En apprenant du plus grand, son visage resta lui aussi sans aucune trace d'émotion.
Sebastian occulta la présence d'Erik et se tourna vers Jeremy :
- Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il d'un ton passablement ennuyé alors qu'il n'en était rien.
Nausicaa aperçu la lueur verte de son regard d'obsidienne, signe de sa curiosité, voire de son excitation, et si elle pouvait le voir, elle espérait comme toujours qu'elle était la seule à l'avoir vue.
- En fait, c'est moi qui peux faire quelque chose pour vous, répondit l'homme dans le fauteuil.
Maintenant que toute son attention n'était plus accaparée par le psychopathe, elle remarqua quelque chose qui sautait pourtant aux yeux : les deux hommes se ressemblaient comme deux gouttes d'eau.
Sebastian sourit : comme toujours, Matthew avait vu juste, c'était juste une question de business. Même s'il n'approuvait pas la méthode, et cela était un euphémisme, il savait reconnaître la témérité quand il la voyait.
D'un ordre mental, il incita ses troupes à se rétracter : un Roi savait quand une partie d'échec se présentait et quand avancer ses pions.
Surtout qu'il avait hâte d'en connaître la teneur.
Tous furent congédiés sauf Matt : le Roi se savait aisément à faire le poids contre deux abrutis de ce genre, ce n'était pas la première fois qu'il avait affaire à cette sombre espèce.
La jeune femme disparut alors avec les autres, prenant soin de refermer derrière elle.
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