Chapitre 2
Alors que nous dépassons la grille menant directement à la cours, j'aperçois des enfants s'amuser, rigoler et courir.
– Pourquoi jouent-ils ? je demande à Michael en analysant les lieux.
– Parce que les cours commencent à huit heures pile et il est sept heures cinquante-cinq, il répond naturellement.
J'acquiesce et continue d'avancer jusqu'à ce qu'il se mette face à moi, il semble sérieux :
– Écoute, tu ne fais ou ne dis aucun truc bizarre, aies juste l'air... normal, comme moi.
J'hoche la tête, comprenant ce qu'il veut signifier. Pour le rectifier, il ne veut pas dire "bizarre" mais "normal" et ne veut pas dire "l'air normal" mais plutôt "l'air pauvre".
– Pas de problème, je ne fais aucun truc normal, je dois juste avoir l'air pauvre comme toi, je répète en inspirant et expirant profondément.
Michael me fixe un instant en fronçant les sourcils puis abandonne et se remet à marcher.
Face aux inconnus, ils s'arrêtent tous nettement et nous regardent insistants. Après réflexion, ce n'est pas "nous" mais "me".
– C'est qui cette blanche ? une personne du groupe demande à mon acolyte.
"Blanche" ? Je ne vois pas le rapport. Je suis blanche et ils sont tous noirs.
– Bonjour à tous et à toutes, je suis Shanna Jonas. Je viens dans une durée limitée pour comprendre ce qu'est la pauvreté. Tout simplement parce que moi, je suis riche.
Je finis ce dernier mot en souriant. Je pense avoir été claire et j'espère qu'ils ne poseront plus de questions stupides.
À priori, ils continuent leur fixation et ne veulent pas changer de sujet. Ils paraissent deux fois plus en colère que tout à l'heure, sans compter Michael qui a sa main posée sur son visage, désespéré pour un rien.
– C'est toi qui nous l'as ramenée Michael ? Pour quoi faire ? en demande un autre.
Une professeure nous interrompt avec une cloche qu'elle laisse retentir. C'est donc l'heure d'aller en cours. Et contrairement à ce que j'aurais pu penser, cette professeure est blanche.
Tous assis, j'ai préféré me mettre derrière pour ne plus sentir de regards gênants sur moi.
– Bonjour à tous, Shanna Jonas, tu peux venir ? elle me propose en souriant.
Je me lève et m'avance vers elle, un peu embarrassée.
– Je vous présente Shanna Jonas, accueillez-la comme il se doit.
"M'accueillir comme il se doit", tu parles. Au lieu de recevoir des fleurs, des confettis et tout ce qui va avec, j'ai eu droit à des coups d'œil qui me jugeaient et à une nomination péjorative.
Je retourne à ma place dans le silence jusqu'à ce que j'entende "sale blanche, retourne dans ta ville de riche". Je ne dis rien, ne voulant pas me faire remarquer dès mon premier jour.
•
– Ça s'est plutôt bien passé ! il lance.
– Tu plaisantes ?
– Hum, il y a pire comme accueil, je peux te l'assurer.
– Pourquoi ils sont comme ça avec moi ?
Il avait ses yeux sur ses pieds mais les relèvent pour les poser sur moi et me dit, étonné :
– Tu ne sais pas ?!
Je secoue la tête, toujours dans l'incompréhension.
– Si je te dis Rosa Parks, ça te dit rien ?!
C'est à mon tour de froncer les sourcils. Je ne comprends pas où il veut en venir.
– Explique-moi plus clairement.
– Oh non... il réalise, toujours choqué. Viens.
Il fait demi-tour et se dirige à l'opposé de son habitation.
Dix minutes après, alors que je n'arrête pas de lui demander où nous allons car nous passons par des endroits insolites, je comprends enfin : nous rentrons dans une petite bibliothèque bien cachée puis me fait asseoir sur le sol. Il part un instant et revient avec deux livres assez imposants.
Il s'installe à côté de moi et en ouvre un sur une page précise. Le titre est nommé Ségrégation raciale.
Intriguée, je me mets à le lire et comprends enfin où il veut en venir : le racisme des blancs envers les noirs. Je ne savais même pas que tout un système politique avait été créé par rapport à ça.
Puis, il me tend l'autre livre qui concerne cette fois-ci l'Afrique du Sud et l'apartheid. C'est encore pire qu'ici.
– C'est pour ça que cette bibliothèque est cachée ?
– Oui, le gérant, je le connais bien. Si l'autorité la trouve, il ira probablement en prison. Et en gros, c'est à cause des riches blancs que nous sommes dans cette situation. Et tu t'es clairement jetée dans la gueule du loup en disant que t'étais riche tout à l'heure.
– Pourquoi à cause de riches blancs ?
– Du gouvernement quoi !
– Ils me détestent ?
– Je crois pas, il marque une pause. Détester est un faible mot, il se met à rire.
Ça fait déjà deux heures que nous sommes ici et la nuit tombe.
– Et toi, pourquoi tu ne me détestes pas ?
– Ça c'est toi qui le dis ! À vrai dire, au début si, puis j'ai remarqué que t'étais juste une fille aveuglée par l'argent de tes grands-parents. Bref, on doit y aller maintenant.
•
– Vous étiez où ?! s'énerve son paternel.
Nous avons tous les deux la tête basse, les mains derrière le dos. À vrai dire, j'essaye juste de faire comme le bouclé. D'ailleurs, ce dernier semble tétanisé, comme la première fois quand on s'est vus. Est-ce à cause de son père ?
– Je t'ai posé une question, il me semble, il hausse le ton.
Michael relève la tête pour le regarder droit dans les yeux, mais je les coupe dans leur jeu de regards, décidée à mettre fin à cette mascarade :
– Nous étions à la bibliothèque, il m'expliquait ce qu'était l'apartheid et tout ça.
Cette fois-ci (et encore une fois), tous les yeux sont posés sur moi. Si je me fie à ceux de Michael, j'ai apparemment dit une chose qu'il ne fallait pas avouer.
– T'étais encore dans cette bibliothèque ?! Je t'ai dit que tu n'avais plus le droit !
Aussitôt, sans que je ne le voie venir, il se prend une gifle.
– Si la police t'attrape, tu iras très certainement dans un endroit que je ne voudrais pas te décrire.
Je regarde le brun du coin de l'œil et découvre des larmes discrètes sur ses yeux. Moi, la dernière fois que j'ai pleuré, c'est quand Charles m'a annoncé que je devrai vivre loin de ma zone de confort.
– Permettez-moi de couper ce dialogue familial mais... je ne comprends pas ce qui est mal ? Et puis, il ne lui est rien arrivé au final.
Son géniteur me fixe strictement et méchamment. Je connais ces yeux, c'est quand Charles me trouve impolie. Ai-je été impolie ?
– Écoute-moi bien, t'es chez moi, tu te conformes aux règles que j'ai imposées. Si je lui interdis d'aller quelque part, c'est interdit. Pigé ?
Son visage est proche du mien, c'est assez terrifiant. Je deglutis et ne réponds rien si ce n'est un hochement de tête.
– Vous allez dormir sans manger. De toute façon, l'heure pour le dîner est passé.
Michael fixe devant lui sans jamais me regarder. Je ressens de l'énervement, de la déception et de la fatigue.
Une fois à l'intérieur et enfermés tous les deux, je ne manque pas de lui poser quelques questions :
– D'ailleurs, pourquoi la professeure est blanche ?
Il ne me répond pas et ne me regarde toujours pas. Il s'empare de son pyjama puis sort de la chambre.
J'en fais de même et me change, puis il revient pour se mettre sur son lit et sous sa couverture.
– C'est comme ça, il me répond fin.
– Comment ça c'est comme ça ?
– Bonne nuit.
Même s'il n'est pas réceptif, je ne laisserai pas tomber. Demain, j'irai directement demander à la concernée, c'est-à-dire, ma nouvelle professeure.
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