Chapitre 1
Mes bagages dans la soute, je suis dans mon jet privé depuis quarante-cinq minutes sans savoir où je vais, ne serait-ce la direction : plus au nord de New-York ? Au sud ? Dans un autre continent ?
Pour passer le temps, je fouille dans mon sac à dos pour en retirer une feuille et un stylo. Après avoir fixé ce papier vide quelques instants, j'écris sur son coin 21 janvier 1963.
C'est le 21 janvier 1963 que mes ex-grands-parents (que j'appellerai dorénavant par leur prénom), Charles et Laura, ont décidé que je devrais être livrée à moi-même dans un endroit étranger avec des inconnus qui ont, je cite, "une autre façon de vivre". Seulement seize ans et pourtant, je suis abandonnée par mon propre sang.
Comment osent-ils ? Ont-ils le droit d'agir ainsi ? Je suis certaine que ce n'est pas légal mais riche comme ils sont, ils doivent certainement corrompre le gouvernement.
- Veuillez descendre Mademoiselle Shanna, vous êtes arrivée.
Je m'empresse de prendre mon sac pour quitter l'endroit. Je n'en peux plus d'être dans les airs et j'ai réellement besoin que mes pieds touchent la terre ferme.
Contre toute attente, en apercevant l'horizon qui s'offre à moi, j'ai comme une grande envie de remonter à bord. Mais Neil, mon accompagnateur, m'en empêche.
Mes pieds ne peuvent pas toucher la terre ferme puisqu'elle est recouverte de déchets.
L'endroit est tout simplement repoussant : en sortant de l'aéroport, je peux remarquer des poubelles renversées, aucun bâtiment ou de personnes bien habillées et pour couronner le tout, une odeur nauséabonde s'installe dans mes narines.
Je m'apprête à lui demander l'endroit quand je vois une pancarte mal attachée indiquer Gary.
Quelle est cette "ville" très peu commode ? Je n'en reviens toujours pas : ma famille m'a emmenée dans... ça.
Une limousine m'attend, mon chauffeur me tient la portière, j'y entre et il conduit en silence pendant quinze minutes.
Je somnole jusqu'à ce qu'elle s'arrête. En regardant à l'extérieur par la fenêtre teintée, je vois une maison ridicule avec un portail qu'il faut absolument repeindre.
Rien ne va.
J'en sors et mon chauffeur, Bill, enlève les trois valises qui me sont destinées. Je pense même qu'elles ne rentrent pas toutes dans ce minuscule domicile. Je comprends mieux pourquoi Charles m'a ordonné d'en amener le moins possible quand j'en avais que six. Trois étaient donc le minimum vital et pourtant, ça ne rentrera tout de même pas dans ce taudis.
En analysant mieux les lieux, j'aperçois un homme à la peau noire qui nous attend. Il n'est pas très grand mais imposant, il fixe lui aussi méchamment notre moyen de transport. Ça ne m'étonne pas que Charles et lui se connaissent. Mais je n'arrête pas de me demander : comment ?
Je m'avance doucement en glissant une valise tandis que Bill a les deux autres.
- Bonjour, entame ce fameux Joe en nous serrant la main.
Il nous ouvre la porte et en rentrant, nouveau malheur : c'est plus petit que ce que je pensais.
- Michael, viens dire bonjour, hurle son paternel.
Le garçon, qui a probablement mon âge, sort de sa chambre et sourit timidement avant de lancer un "bonjour" en chuchotant presque.
- Voici mon fils unique, Michael. Moi, c'est Joe.
Bill finit par nous quitter après m'avoir embrassée, se montrant davantage infidèle qu'il ne l'est depuis tout à l'heure. Comment peut-il partir lui aussi ? Ça y est, je suis seule face à eux, ne sachant comment réagir.
Je ne suis pas timide, je suis dépaysée.
- Michael va te faire visiter les lieux.
Il finit sur cette phrase avant de sortir de la maison. Une fois tous les deux, je remarque très rapidement que lui non plus n'est pas timide, seulement moins libre avec son père :
- T'es Shanna, c'est ça ? il plisse les yeux, intrigué.
- Oui, veux-tu bien me faire visiter les lieux ? je demande agacée.
Il lève les yeux en l'air puis soupire. Enfin, il mène la danse.
- Où est ma chambre ?
- Tu n'as pas de chambre, il n'y en a qu'une. Tu dormiras sur le matelas posé au sol.
- Plait-il ? Et notre téléphone fixe personnel ?
- T'envoies des lettres.
- Une salle de bain ?
- Commune.
Je tombe des nues. Je veux absolument et immédiatement partir d'ici.
- Estime-toi heureuse de ne pas dormir sur le paillasson. On déjeune dans une demi-heure, va vider ta... tes valises, il se rectifie en jetant un oeil sur elles. Ridicule.
Il termine sur ce mot avant de lui aussi sortir rejoindre probablement son paternel. Je ne comprends toujours pas son dernier mot. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son placard qui lui sert de maison ? Je ne peux pas être plus d'accord avec lui qu'actuellement.
Je rentre tant bien que mal dans sa chambre pour y déballer mes affaires. Ils m'ont laissé une armoire vide mais il n'y aura pas assez de place pour tous mes habits alors je décide d'en sortir seulement pour une semaine.
Enfin, je les rejoins dans la cuisine (qui soit dit en passant est aussi le salon) pour déjeuner. Son père nous sert de la salade et entame la conversation :
- Demain, Michael t'emmeneras à l'école. Vous êtes dans la même classe. Il t'expliquera comment ça marche.
- Ah parce qu'elle sait pas ce qu'est une école en plus ?
Joe le regarde méchamment et cet imbécile se tait instantanément.
- Je n'y suis jamais allée puisque j'avais des cours particuliers avec un professeur particulier, je dis sans émotion.
Il hausse les épaules, ne comprenant pas ce que je dis avant de se reconcentrer sur sa nourriture.
L'entrée terminée, j'attends le repas qui ne vient jamais. Quand les deux se lèvent pour quitter la table et déposer les assiettes et couverts dans le lavabo, je demande perdue :
- Où est le repas ?
- Dans ton ventre, le paternel rétorque froidement.
La pauvreté c'est aussi ne pas manger à sa faim ? Je suis certainement en train de rêver, ou du moins, c'est une caméra cachée. En cherchant du regard, il n'y a malheureusement aucune caméra.
Je me lève avec les ustensiles pour les déposer mais apparemment, je dois aussi faire la vaisselle. Inutile de demander où est la bonne, j'ai bien cerné comment ça marche ici.
Je n'ai jamais fait la vaisselle, alors, je regarde le bouclé pour l'imiter. Sans compter le fait que je me suis mise du liquide vaisselle partout, je n'ai rien nettoyé du tout. Très vite, j'entends des gloussements provenir du garçon.
- À ce point... il pouffe. C'est pas compliqué, tu prends l'éponge, tu nettoies ton assiette avec puis tu passes sous l'eau, il me détaille en me montrant.
Je fais comme lui puis je la pose sur l'égouttoir.
- C'est pas si compliqué que ça en fait, je remarque à voix haute.
•
J'ouvre difficilement les yeux puis grogne en m'étirant. Même si cette famille n'a pas les choses indispensables comme deux salles de bain ou une cuisine séparée du salon, ils n'ont pas manqué d'acheter la pire chose qui soit : un réveil, cet engin horrible qui propage un bruit strident et irritant.
Mon colocataire est déjà debout, prêt à aller se doucher tandis que je lutte pour ne pas me rendormir.
- Dépêche-toi, dans trente minutes on est en route.
Trente minutes pour me préparer ? Seulement une demi-heure pour être prête ? Est-ce une blague de mauvais goût ?
Sans plus attendre, je quitte ma couverture malgré le froid intense qui m'attend en dehors. Je compte me diriger vers la salle de bain quand je réalise une seconde fois qu'il n'y en a qu'une seule. Et cette dernière est pour le moment prise par Michael.
Je me mène donc vers la cuisine (qui est à la fois le salon je le rappelle) pour manger. Et c'est par la plus grande des surprises que je ne vois rien de poser sur la table. Il n'y a aucun repas de préparer, pas de pain, ni d'œufs. Tout bonnement, rien.
Pourtant, comme on dit, le petit-déjeuner est le repas le plus important de la journée. Mais il n'y a tout de même rien. Le néant. Le noir total. Rien.
- À ton tour, il me sort de mes pensées.
Je me retourne subitement, il frotte ses cheveux à l'aide d'une serviette de bain. Il est déjà douché et habillé. Je peux enfin aller me laver.
Je prends mon courage à deux mains pour m'y diriger : je devrai me doucher dans le même endroit, avec ses bactéries et microbes. C'est une expérience nouvelle qui me répugne même si je sais au fond de moi qu'il l'a probablement nettoyée.
Je me dépêche et c'est en seulement quinze minutes que je suis prête. En me dirigeant vers la table, j'aperçois Michael remplir son estomac.
- La table était vide tout à l'heure, je lui fais remarquer, étonnée.
Il fronce les sourcils, marquant son incompréhension :
- Il suffisait d'ouvrir les placards alors, rétorque-t-il d'une façon évidente en les montrant du doigt.
Je m'installe face à lui pour prendre part au repas.
- Tu comptes aller à l'école avec ces vêtements ? il me demande en me détaillant de haut en bas.
- Oui, quel est le problème ?
- Le problème est que tu vas en cours, pas à un gala.
- Je suis habillée normalement, il faut que je sois un minimum présentable devant mes futurs nouveaux camarades de classe. De plus, tu devrais en faire de même, je le juge en retour en levant les sourcils.
Il souffle du nez puis pose son coude sur la table.
- Du pain... du beurre... du café ou du lait... j'énumere, où se trouve le jus d'orange ?
- Il n'y en a plus.
- Des œufs ?
- C'est pour les autres repas, ça.
Je me tais, j'ai enfin compris : je dois me satisfaire du strict minimum.
Mon Dieu... pourquoi me mettre face à cette épreuve... les jours vont être longs...
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