#2 CHAPITRE 3

Harper

De l'extérieur, ce ne sont que deux mecs qui discutent et se marrent. La distance qu'ils imposent entre eux est conventionnelle. Rien ne montre qu'ils se plaisent mutuellement ou qu'ils flirtent. Moi, je le sais. Je le vois, dans la manière qu'a Riley d'approcher son genou de celui du type. De tendre le bras pour jouer avec le dessous de verre, frôlant délibérément le poignet de son partenaire. De laisser libre accès à son cou pour qu'il puisse contempler son tatouage et qu'il le touche. August est là et ne dit rien. C'est qu'ils ont eu le feu vert et je sais très bien ce que ça implique.

Je ravale la bile qui remonte dans ma gorge. J'ai signé l'accord pour protéger le groupe, je voulais nous assurer un avenir et j'ai volontairement mis de côté mes sentiments pour ça. Lui n'en a toujours fait qu'à sa tête et ça me met en colère. Parce qu'il a le droit de faire ce que bon lui semble et moi j'assiste, impuissant, à sa débauche. 

Il m'avait prévenu.

Et le plus difficile, c'est que je n'ai pas le droit de lui en vouloir, car c'est moi qui nous ai mis dans cette position, moi qui nous ai plongés dans cette situation, dans cette relation conflictuelle. Je regrette, oui, mais, sur l'instant, je ne pouvais pas faire autrement. Ça nous a permis d'en arriver là. Personne n'en parle mais je sais qu'ils en ont tous conscience, Riley aussi.

Nous le voulions, ce groupe ; nous le voulions, ce succès. Chacun pour des raisons différentes. La mienne, c'est ma mère. Je le fais pour qu'elle soit fière de moi, de mon parcours, où qu'elle soit. La musique m'a sauvé, a étouffé mon chagrin. Et elle continue, encore aujourd'hui. Même si mon chagrin n'est plus seulement pour ma mère.


Une main se pose sur ma nuque et je détourne mon attention du bar pour m'intéresser à ma meilleure amie. Elle a la mine sombre et n'a pas besoin de me dire quoi que ce soit pour que je comprenne ce à quoi elle pense. Je secoue la tête, plus pour combler notre échange silencieux. 

– Arrête de t'infliger ça, hurle-t-elle par-dessus la musique en se penchant vers moi. Ça te fait du mal.

– Facile à dire.

– H, insiste-t-elle. Je sais ce qu...

– Je ne veux pas en parler, OK ? la coupé-je en me forçant à sourire.

Elle se mordille l'intérieur de la joue, comme si elle se retenait de dire autre chose, et se détourne pour entrer brièvement dans une conversation. À ses côtés, August est en train de parler avec Jeremiah Ferguson, un autre artiste de chez Echo Record, très en vogue en ce moment et qui s'est vite intégré à nos soirées. C'est comme une grande famille du show-biz, nous partageons tous le même rythme de vie et les mêmes besoins relationnels : nous nous comprenons, nous n'avons pas besoin de faire attention. Bien que, la plupart du temps, j'aie le sentiment d'évoluer dans un monde d'hypocrites et de faux cul, je sais qu'ils vivent, à quelques détails près, la même réalité que nous. 

Niklas et Lance sont assis sur une banquette juste en face, avec Brittany Fores, une actrice que nous avons rencontrée lors d'une émission. Devenue une grande amie de Riley. Les rumeurs leur ont prêté une liaison, il ne les a jamais démenties, elle non plus. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si elles sont avérées et je ressens une certaine rivalité à son encontre. À elle et à une bonne partie de la gent féminine. À toutes les personnes qui ont le droit de l'approcher en public. Tous ceux qui peuvent lui parler, interagir avec lui, le toucher, ou l'étreindre, sans qu'il y ait quoi que ce soit à redire.

Et le blond du bar vient d'arriver en pole position.

J'ai envie de rentrer. Tout est en train de me rendre dingue et c'est encore ce que je sais faire de mieux, fermer les yeux pour ne pas devenir cinglé. J'ai consenti à prendre mes distances, je n'ai pas tiré un trait sur ce que je ressens pour lui. C'est ancré. Profondément. 

Les doigts de Camilla se faufilent sur ma cuisse et, en un rien de temps, elle embrasse mon cou. Je ne sursaute pas, conscient que, quelque part dans la boîte, il y a quelqu'un qui est en train de nous photographier et qu'elle fait ce pour quoi elle est là.

Donner le change.

– Tu boudes ?

J'émets un ricanement, en sentant sa bouche souffler dans mon oreille ; la pression qui s'était logée dans le creux de mon ventre à m'en donner des crampes s'estompe progressivement. Je pivote vers elle, joignant mes doigts aux siens.

– Non, je suis content que tu sois là.

Nous ne nous étions pas vus depuis quinze jours et j'ai beau l'appeler le plus souvent possible, ce n'est jamais aussi bien que de l'avoir à mes côtés. Les années ont filé, les choses ont changé, le succès m'a catapulté dans un monde nouveau, or notre relation, elle, n'a pas bougé. Que nous ayons à nous embrasser ou pas, nous avons toujours été proches. Il faut dire que nous avons passé le cap de la timidité depuis un moment. Nous nous sommes rencontrés lorsque nous avions 11 ans, à peine arrivés à l'internat, et à 16, il nous arrivait de coucher ensemble, pour le fun. À Evergreen, tout le monde pensait que nous sortions ensemble, peut-être parce que nous ne cachions pas notre proximité, bien qu'il n'ait jamais été question de sentiment amoureux. Avoir confirmé cette éventualité n'a fait qu'alimenter les rumeurs. Puis, tout s'est emballé. Tout a fonctionné à la perfection. 

Pour le grand public, nous sortons ensemble depuis deux ans de manière officielle et depuis plusieurs années de manière officieuse. En privé, nous sommes juste amis. Elle est mon roc et un soutien sans faille.

– Au fait, j'ai parlé de votre retour aux gars d'Evergreen. Ernest veut faire une soirée chez ses parents.

– Il habite encore chez eux ?

Elle glousse, levant les yeux au ciel.

– À 20 ans, ce n'est pas très étonnant. Il n'y a que nous qui avons une vie à dix mille lieues du commun des mortels.

Elle n'a pas tort. Dans l'idée, elle aussi aurait dû vivre de cette façon. Simple et naturelle. Elle devait partir faire ses études en Allemagne, sauf qu'après avoir été refusée par les universités dans lesquelles elle avait postulé, c'est à Londres qu'elle a atterri. Elle n'a pas tenu plus de onze mois. Son entrée fulgurante dans la vie des Black Blossom et son contrat avec Echo Record l'ont propulsée sur le devant de la scène en même temps que les gars et moi. Chaque jour à la fac était pire que la veille. Elle était alpaguée. Importunée. Prise en photo à son insu. Elle a fini par abandonner et terminer son année à distance puis ne pas en reconduire une autre. Les gens étaient plus intéressés par ce qu'elle faisait, alors elle a commencé à partager avec eux sa routine sur ses réseaux. Désormais, en plus d'être payée pour jouer le rôle de ma petite copine, elle l'est aussi pour le contenu qu'elle poste et a signé avec une agence d'influenceurs de Londres. Les shootings, les publicités, les placements de produit. Il lui arrive d'être rémunérée pour tester des spas, des hôtels de luxe, pour porter en avant-première les nouveaux articles de grandes marques. Ce n'était pas son objectif de vie, à la fin du lycée, mais je pense qu'elle est heureuse. Du moins, j'essaie de m'en convaincre.

– En attendant, ils ont déjà bloqué une date. 

– Je te dirai ça, signalé-je. Dans l'immédiat, je n'ai aucune idée de quand est notre break.

C'est un mensonge éhonté. Je le sais, j'essaie juste de le reléguer au fond de mon esprit encore un moment, par peur. Plus à la perspective de passer du temps avec Riley que du rendez-vous avec Echo Record qui est censé parler de notre avenir. C'est dire l'effet qu'il continue de produire sur moi, encore aujourd'hui.

– Dix jours.

– Tu tiens mon planning ? me moqué-je.

– Tu me l'as dit, je l'ai retenu ! C'est quand même plus sympa de rentrer chez soi et de revoir des potes qu'on n'a pas vus depuis un moment que de rester enfermé, non ?

– Tu te trompes, je rêve de ne rien faire et juste fixer le plafond de ma chambre. 

– Tu changeras d'avis.

Elle enroule son bras autour de mes épaules, aspirant par sa paille le liquide fluorescent. Ce qu'elle boit a l'air chimique au possible.

– Fais-moi confiance ! Vous ne le regretterez pas.

Je bascule la tête en arrière et elle se laisse retomber avec moi, observant un point invisible au-dessus de nous. Dans dix jours, je vais me retrouver dans ma maison avec Riley, loin des strass, des paillettes, des concerts et des journées millimétrées. Juste lui, les parents et moi. Comme au bon vieux temps. Du moins, les week-ends où nous n'étions pas tout simplement seuls.

J'ai un peu plus de nouvelles de mon père qu'avant, il prend davantage de temps pour m'envoyer des messages et me dire qu'il pense à moi. Je sais que Nora est, également, plus souvent au téléphone avec Riley ; je l'entends parfois, dans le bus. Avec mon père, nous n'avons jamais eu une relation très fusionnelle, nous sommes plus dans la retenue et nous contentons de SMS. Mais ça me fera du bien de le retrouver. De dormir dans ma chambre, dans mon lit. Sous mes draps, qui sentent la lessive qui a bercé toute mon enfance et pas celle d'un hôtel inconnu dans une ville lointaine. Écouter de la musique au bord de la piscine, composer sur mon balcon, un écouteur dans une oreille tout en parlant avec Camilla de Charles, le meilleur pote de son frère. Je donnerais n'importe quoi pour retrouver ça, ne serait-ce qu'une seconde. Ce sentiment que tout est possible, que tout est à portée de main, tout en ne sachant pas à quoi ça ressemble vraiment. La célébrité.

Cette grosseur qui gonfle dans la poitrine, en imaginant l'homme dont je suis encore fou amoureux flirter avec un autre à quelques pas derrière moi.« Regarde-moi bien droit dans les yeux, Harper, tu peux foutre ta vie en l'air en faisant semblant d'être en couple avec ta meilleure pote, tu peux foutre ta vie en l'air en faisant semblant qu'il ne se passe rien entre nous mais, moi, je ne jouerai pas à ce jeu. Je te promets que tout ce que tu t'interdis, je prendrai un malin plaisir à faire dix fois pire. »

Et ce soir, comme tant d'autres, il honore cette promesse.


***

La lumière s'allume dès que j'entre, et le calme de la pièce m'étouffe. Mes oreilles pulsent après avoir passé trois heures à écouter de la musique assourdissante et ma bouche est pâteuse. J'ai abusé des verres. Camilla ne m'a pas lâché, continuant de me faire boire tout en essayant de chasser ma mauvaise humeur. Si elle est rentrée avec Niklas et moi, le label lui a payé une chambre à l'étage du dessous. Nous ne poussons pas le vice jusqu'à dormir dans le même lit, même si ça n'aurait pas été la première fois. À l'école, ça nous est déjà arrivé.

Du bout du pied, je retire une basket, puis la seconde. Je me déshabille dans la foulée et enfile un jogging avant de m'affaler sur le lit. Les bras écartés, je fixe le plafond sur lequel dansent les ombres de la ville animée, depuis la rue. Je soupire en me frottant les yeux. Il y a une heure, j'avais sommeil. Je mourais d'envie de me couler sous les draps. Cette journée a été épuisante mais maintenant que je me retrouve seul, je me rends compte que ce n'est pas la fatigue qui m'a poussé à fuir cette soirée. Et savoir que je les ai laissés là-bas, malgré la surveillance d'August, malgré la présence de Lance et de tout un tas d'autres personnes, à l'affût, me fait regretter.

Je n'aurais pas dû.

Et je n'arriverai jamais à dormir.

Je me lève, ouvrant le petit réfrigérateur pour en sortir les fioles d'alcool. J'en sélectionne plusieurs, que je dépose sur la table. Mes mouvements sont lents et mon esprit engourdi. Je récupère un gilet dans ma valise et le passe sur mes épaules. J'enfonce ma tête sous la capuche, coinçant mes bouteilles dans les poches de mon survêtement et chausse de nouveau mes tennis, les pieds nus. Le couloir est resté éclairé et je descends à l'étage de Camilla sans m'inquiéter de croiser qui que ce soit puisque les deux niveaux ont été privatisés pour nos équipes. Elle m'ouvre dès que je frappe, surprise. Une brosse à dents entre les lèvres, elle est démaquillée et en pyjama.

– Ça te dit, un after ?

La bouche pleine, elle dit :

– On 'ient 'en 'air un.

Je rigole en l'entendant avaler les consonnes, ce qui la fait glousser et elle retourne dans la salle de bains en courant, la main sous le menton. J'entre à sa suite et elle ajoute de l'autre côté de la cloison :

– Tu n'étais pas fatigué ?

– Je ne le suis plus, remarqué-je en observant sa chambre.

En tout point identique à la mienne, bien qu'elle soit en miroir.

– Je pensais demander à Niky de nous rejoindre ici, siffler quelques mignonnettes.

Je sors de mes poches mes trouvailles et les éparpille sur le matelas de Camilla.

– Il dort déjà peut-être.

Elle sort de la salle de bains et je me penche vers son portable, qui trône sur sa table de chevet. 

Je compose le numéro de Niklas et envoie un bref SMS :

[Chambre 483, apporte ton alcool !]

Puis je repose le téléphone là où je l'ai trouvé pour avancer jusqu'à la fenêtre. Je sens l'attention de Camilla, assise sur son lit, mais je l'ignore. Elle n'a pas fermé ses rideaux et je scrute la rue en contrebas.

– Tu attends qu'il rentre ?

Ma nuque se crispe. Elle me connaît trop bien.

– Non.

– Alors pourquoi tu es là ?

– Je n'aime pas la solitude de ma piaule. 

– Tu as toujours adoré être seul dans ta chambre, souligne-t-elle. Tu ne rêves que de ça, « ne rien faire et juste fixer le plafond ». C'est ce que tu m'as dit tout à l'heure. Mot pour mot.

Je pousse un soupir en lui faisant face, m'adossant contre la vitre, les mains plongées dans mon pantalon de jogging. Elle a croisé les bras contre sa poitrine, et son short de nuit dévoile ses longues jambes bronzées. Son corps a changé, depuis que nous ne sommes plus au lycée. Il a mûri, ses hanches se sont élargies, ses bras se sont raffermis. Son visage a vieilli. C'est très léger, mais je remarque la différence. Moi non plus, je n'ai rien à voir avec l'adolescent que j'étais à Evergreen. Mes cheveux sont plus longs, mon torse plus large. Je ressemble davantage à un homme.

– J'ai changé d'avis. 

Elle renifle au moment où quelqu'un toque à la porte. Je me précipite pour ouvrir à Niklas. Un sourire de crâneur sur le visage, il met fièrement en évidence ses bouteilles.

– J'apporte du renfort !

– Tu gères, déclaré-je, rieur, en le laissant passer devant moi.

Je referme derrière nous et le suis dans l'autre partie de la suite. C'est étroit, un couloir d'entrée, la salle de bains sur la gauche et, dans un renfoncement, le lit face à une télévision. Un hôtel standard.

– On fête quoi ? lâche le batteur en sautant sur le matelas, faisant s'entrechoquer les fioles et glousser Camilla.

– Tu ne dormais pas ? l'interroge-t-elle. J'étais prête à me mettre au lit, moi, avant que l'autre casse-pieds ne vienne me déranger.

– Le casse-pieds t'adore aussi, chérie. 

Elle me fait un doigt d'honneur qui nous fait marrer tous les trois et je m'assieds à l'autre extrémité du matelas. Entre-temps, Camilla est allée prendre les mignonnettes qu'elle avait dans son réfrigérateur. Vodka, whisky, tequila, gin. Assez pour passer un dernier bon moment.

– J'allais me caler devant un film, confesse Niklas. Je mets toujours un moment avant de m'endormir après une fête.

– Des nouvelles de Lance et de Riley ?

Je dévisage Camilla mais elle fait semblant de ne pas me voir. La réponse est pour moi, ça ne fait aucun doute. Et si Niklas a l'indulgence de ne pas m'observer à la dérobée, je sais pourtant qu'il a conscience de la raison pour laquelle je leur ai proposé de rester avec moi. Sinon, il ne serait pas là non plus. Il a toujours eu un côté casanier. Il est peut-être discret, mais il est observateur. Mes mots sont réduits au silence mais mes gestes sont parlants. La situation me fait du mal et c'est mon ami.

– Ils prenaient encore un verre, quand Javier nous a déposés. Donc ça peut durer !

– On est quand même mieux au calme, ici, révélé-je pour me convaincre. Les soirées publiques comme ça me donnent mal au crâne.

– Tout à fait le genre d'endroit pour Lance et Riley, s'amuse Niklas. Toi et moi, on est des mecs simples !

Il me claque une paume contre le triceps et je me marre. Non sans me laisser dévorer par la crainte de ce qu'il pourrait se passer, dans ce genre de sauterie. Il a raison, les soirées sont les lieux préférés de Lance et de Riley. Ce sont des animaux de la nuit, encore plus depuis que nous sommes dans le milieu du show-biz. Les fêtes ne manquent pas, de quoi se foutre la tête à l'envers, décompresser. 

– OK, les premiers de la classe, vous voulez commencer par quoi ?

– Tequila, lâche Niklas en se jetant sur la mignonnette qu'il a devant lui.

J'attrape du whisky et laisse à Camilla le gin. Je ne ressens aucune brûlure dans ma gorge, aucun effet de plomb dans mon estomac. À une époque, je limitais mes verres d'alcool. J'aimais garder le contrôle sur mes émotions, sur mon comportement et je n'étais pas à l'aise à l'idée qu'une substance m'empêche d'agir de façon raisonnée. Avec le recul, je suis devenu friand de la sensation de perte de contrôle que ça offre, même si je ne me mets jamais dans des états qui me font oublier ce que je fais. Pas comme a pu l'être Riley. Ma poitrine se serre à ce rappel et je m'enfile une nouvelle gorgée. Camilla et Niklas sont en train de discuter, de l'école, des années où nous étions tous étudiants, de ce que nous voyons encore sur les réseaux, de la vie qui a continué d'avancer sans nous, là-bas. Mon esprit à moi reste bloqué sur ce que j'ai laissé dans la boîte de nuit.

– Parfois, je me demande ce qu'on aurait pu faire, si on n'avait pas signé. Dans quelle fac on serait, ce qu'on étudierait, est-ce qu'on aurait continué de poster nos vidéos sur les réseaux...

– Vous êtes faits pour faire de la musique, répond Camilla. Ça ne fait aucun doute !

– Mais est-ce qu'on est faits pour la célébrité ? lâche-t-il.

Allongé sur le dos, j'ai une main sous la nuque. La gravité que je perçois dans leur ton me fait tourner la tête vers eux. Niklas reprend une gorgée, le regard dans le vide. 

– Ce n'était pas ce à quoi tu t'attendais, pas vrai ? prononce ma meilleure amie.

– Pas vraiment, ricane-t-il. Les concerts, les albums, les tournées, c'est génial, mais c'est surtout le reste qui m'oppresse. Je regrette parfois la simplicité de nos répétitions dans la salle de l'école.

– Ouais, soupire Camilla. Ce n'est pas à moi que tu vas apprendre quoi que ce soit.

– Vous plombez l'ambiance, balancé-je en me redressant. Je propose qu'on reprenne tous un coup !

Préférant les obliger à rouvrir une mignonnette que de continuer à parler de tout ce à quoi nous sommes confrontés et que nous aurions préféré ne jamais connaître.Quand nous finissons par comater tous les trois sur le lit, plus d'une heure après, les cadavres des fioles jonchent le sol. Nous avons terminé la douzaine que nous avions trouvée et ma tête tourne. 


– Je crois que je vais remonter dans ma chambre, suggère Niklas en se relevant. H, tu me suis ?

– Ouais !

Je manque de tomber en avant en me mettant trop vite sur mes jambes et ça les fait pouffer.

– C'était une bonne idée, dit Niklas. Le réveil va être difficile, mais c'était cool !

– Ça m'a fait plaisir d'être avec vous, les gars, confirme Camilla. Dormez bien !

Je me penche pour embrasser sa joue, les paupières lourdes et l'esprit brumeux.

– À bientôt, Cam, merci encore de l'accueil ! chuchoté-je.

Niklas et elle s'étreignent ensuite, se murmurant des mots que je n'entends pas puis nous sortons. Les couloirs sont vides à cette heure et je peine à aligner mes pas. Ça nous fait beaucoup rire.

– On fait la course ? défié-je Niklas. Je prends l'escalier, tu prends l'ascenseur. Le premier devant la porte de sa chambre l'emporte.

– Attends, parce que le temps que l'ascenseur arrive, je suis perdant, se gausse-t-il. Tu triches.

– Très bien. J'attends que les portes se referment et je monte ! Mais je vais quand même gagner !

– Rêve, mec !

Nous validons le pari d'un coup de poing qui dérape, nous faisant éclater de rire de plus belle et, à l'instant où il disparaît dans la cabine métallique, je me rue dans la cage d'escalier. J'ai déjà le souffle court et un rire gras se bloque dans ma gorge en arrivant sur la dernière marche de l'étage supérieur, prêt à ouvrir la porte sur le couloir qui mène à ma chambre. Sauf que des voix en bas de l'escalier que je viens de monter me font cesser tout mouvement. Je ne comprends pas ce qui me pousse à regarder, ce qui éveille ma curiosité alors que j'étais parti pour gagner contre Niklas. Mais, éméché, j'inspecte les marches par-dessus la rambarde, loin de me douter de l'image que je m'apprête à trouver. À des années-lumière de me rendre compte que mon corps a reconnu sa voix avant que mon cerveau ne percute. C'est lui. Avec le blond du bar. Mon estomac se tord et j'ai l'impression qu'il va se vider, la tête penchée pour apercevoir leurs silhouettes. Je ne les vois déjà plus, seulement un dos sur lequel des mains reposent, avides.

– Putain, tu es tellement sexy !

Riley rigole et le son me fait l'effet d'un couteau dans une chair à vif. Je manque d'air, me mettant toujours plus sur la pointe des pieds pour entrevoir ce qu'ils font. Puis tout va très vite. Trop vite. L'homme dont je ne voyais que le dos se met à genoux et j'imagine que Riley est contre le mur. Ils gloussent, soupirent fort, et mon cœur tambourine dans mes tempes. Je ne peux pas rester ici. Je ne peux pas les regarder faire ça. Je ne peux pas être témoin de ce moment-là.

Riley, sur le point de se faire sucer par un type.

D'un geste brusque, je me recule. Essoufflé, tétanisé. L'attention aimantée aux bruits qu'ils font. Et la dernière réplique de Riley, la voix brûlante, achève de me foutre en l'air :

– Attends, pas ici. Allons dans ma chambre.

Avec précipitation, j'ouvre la porte pour me ruer dans le couloir, essayant de sortir la clé de ma chambre pour y entrer à l'instant où le couple sort de la cage d'escalier. Je m'affale contre la surface dure dans mon dos, sans allumer une seule lumière dans la pièce. Il n'y a plus que mes larmes qui baignent mes  joues et ma crise d'asthme qui me fait suffoquer. 


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