Chapitre 6 : Jamais deux sans trois
13 mars
Maggie et Alex étaient installés à table devant les informations télévisées locales, comme à leur habitude. Depuis leur dernière dispute à propos du métier de la jeune femme, la tension était nettement retombée dans le couple et ils vivaient à nouveau comme si de rien n'était.
Du côté des détectives, ça avait aussi été plutôt calme. Quelques filatures de maris et femmes infidèles, rien de bien palpitant. Un meurtre sans intérêt, bouclé en trois jours et qui aurait largement pu l'être par les forces de l'ordre, c'était une perte d'argent pour les personnes qui les avaient engagés.
Aucun nouveau meurtre de prostituée depuis le 20 février dernier. Ça allait déjà faire bientôt un mois. Soit le meurtrier s'était stoppé pour une raison inconnue, soit il manquait de régularité temporelle. L'enquête n'avait pas avancé non plus. Toujours personne n'était venu reconnaître le deuxième cadavre ni signaler sa disparition. Aucun suspect n'avait été interpellé. Le néant absolu. Et cela rongeait les détectives.
Alors qu'ils dégustaient leur yaourt sur les dernières nouvelles du journal télévisé, les nouvelles jugées comme « moins importantes » par les rédacteurs, un flash info spécial coupa la vieille dame qui évoquait sa passion pour la taxidermie. La célèbre présentatrice fit alors son apparition, la mine grave, et commença son monologue sur un ton aussi sérieux que lugubre :
« La nouvelle vient de tomber à l'instant. Un cadavre a été retrouvé en fin d'après-midi dans un dépôt sauvage d'ordures à proximité directe de la rue aux Ours de Jouville. Cette rue est connue pour sa communauté de prostituées. D'après nos sources, il s'agirait du troisième cadavre depuis le début de l'année.
« Les autorités se sont bien gardées de transmettre l'information afin que la population ne cède pas à la panique. Or, nous avons affaire à un tueur en série qui assassine des prostituées en leur volant un organe en souvenir et, comble de l'horreur, en laissant sa carte de visite sur le cadavre de ces pauvres femmes.
« Ainsi, il se fait appeler « Black Bird », l' « Oiseau Noir » en français. Sa première victime a été identifiée comme étant Janice Brun, une prostituée habituée de la rue aux Ours. Elle a été vue vivante pour la dernière fois le soir du 31 janvier aux alentours de 23h. La seconde victime, retrouvée morte le 20 février, n'a toujours pas été identifiée. La troisième victime serait apparemment en cours d'identification à l'heure actuelle. Si vous détenez la moindre information à ce propos, il vous faut contacter le commissariat de Jouville qui est en charge de l'enquête.
« Nous ne comprenons toujours pas pourquoi les autorités nous ont caché ces informations aussi longtemps et ont attendu qu'il y ait trois meurtres pour que les journalistes s'emparent enfin de l'affaire et la diffusent au grand public. Il en va de la sécurité de ces pauvres femmes, tuées sauvagement dans l'exercice de leur métier. Un nouveau Jack l'Éventreur moderne sévit dans les rues de Jouville, nous vous demandons d'afficher la plus grande vigilance quand vous sortez à la nuit tombée. »
S'en suivit des images de la dernière scène de crime en date. Le journaliste d'investigation répétait ce qui venait d'être dit, par manque d'information supplémentaire, en se contentant de reformuler les phrases de sa collègue, tandis qu'on voyait le fourmillement des experts derrière lui.
Par malchance pour elle, le lieutenant Messant passa à proximité dudit journaliste. Il l'arrêta sans ménagement afin de lui demander son avis en tant que personne chargée de l'enquête, ainsi que les raisons du silence qui s'était installé depuis le premier meurtre. Rôdée à l'exercice, le lieutenant lui répondit qu'une conférence de presse aura prochainement lieu, qu'en attendant elle n'en dirait pas plus, et qu'il était prié de quitter les lieux au plus vite.
Sans prendre en compte la dernière injonction du lieutenant, le journaliste continua son speech devant la scène de crime, en insistant sur la non-transparence inadmissible à propos de l'enquête. Il évoqua également le caractère particulièrement dangereux de la situation en enjolivant les caractéristiques du tueur et en émettant des hypothèses abracadabrantesques sur la personnalité de ce dernier qui serait, selon le journaliste et sans aucune preuve scientifique, prêt à s'attaquer à la population « lambda » maintenant que ses meurtres avaient été mis à jour, par mégalomanie. Ainsi, il décrédibilisait tout seul sa première attaque aux décisions de justice selon lesquelles l'enquête devait être étouffée. Du grand journalisme en somme. Mais maintenant, la peur était présente dans la population. Et les détectives allaient enfin pouvoir agir.
Cela ne manqua pas puisque, dès la fin du flash spécial qui dura encore quelques minutes durant lesquelles des banalités furent évoquées afin de maintenir l'audience record qu'ils étaient probablement en train de réaliser, le téléphone de Maggie sonna. C'était Patron en personne :
« —Allô ?
—Bonsoir Maggie. J'espère que je ne te dérange pas.
—Non, pas du tout. Je viens de voir le flash spécial aux informations, je suppose que vous m'appelez pour ça ?
—Oui. Vous êtes missionnés par l'État pour résoudre cette enquête. Demain je vous veux aux bureaux dès 8h. En attendant, reposez-vous bien car ces prochains jours risquent d'être mouvementés. »
Sur ces mots, il raccrocha. Maggie ne savait pas si elle devait se réjouir d'enfin pouvoir enquêter sur ces meurtres en série, ou si elle devait encore être attristée par la situation. Par respect pour Alex, qui avait compris ce qu'il se jouait pour sa compagne, mais avait décidé de ne faire aucun reproche à sa petite-amie, elle resta neutre.
C'est une fois couchés dans leur lit qu'Alex prit enfin la parole :
« —Tu sais que je désapprouve ta participation à cette enquête ?
—Tu n'as pas à approuver ou désapprouver quoi que ce soit me concernant, lui répondit Maggie le plus doucement possible. Je suis majeure et responsable. Et, je te l'ai déjà dit, nous avons Patron pour nous surveiller et nous empêcher de prendre des risques inconsidérés.
—Votre Patron n'est pas infaillible.
—Alex, s'il te plaît... J'aime vraiment ce que je fais...
—Je te quitte, tu étais vendeuse et couturière dans une boutique de robes de mariée. Je te retrouve, tu es détective privée.
—Et alors ? Je ne te l'ai jamais caché. Et tu as quand même décidé de revenir, c'est donc que tu l'as accepté. Alors je ne veux plus aucune réflexion sur mon métier.
—Je suis revenu parce que je t'aime Maggie, je tiens à toi et je ne veux surtout pas qu'il t'arrive quelque chose.
—Tu m'aimes comme je suis, et je suis détective privée. Pour rien au monde je ne voudrais retrouver mon ancienne vie de vendeuse.
—Crois-moi que s'il t'arrive quoi que ce soit un jour... »
Il ne termina pas sa phrase car la seule idée que Maggie puisse être grièvement blessée, ou pire, lui faisait extrêmement mal. Il se retourna brusquement en se blottissant dans la couette. Maggie alla se coller à lui. Il ne la repoussa pas, il avait besoin de ce contact avec sa bien-aimée. Ils s'endormirent donc ainsi, en chien de fusil, collés l'un à l'autre.
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