Chapitre 48 : Au feu
Sous le poids de Nicolas Lancier, la lampe halogène tomba au sol et enflamma instantanément le foin extrêmement sec qui avait préalablement été consciencieusement répandu au sol dans la journée. C'était le dernier piège mortel mis au point par Black Bird.
Les flammes se répandirent très vite sur ce tapis de verdure desséchée, et prit tout aussi rapidement aux parois de l'étable, souvent réduites à l'état de charbon par le précédent feu, celui qui avait tué les grands-parents de Nicolas quelques années auparavant. Le cocktail parfait pour un embrasement rapide.
« —Sors d'abord le lieutenant, hurla Maggie à Ewen pour se faire entendre malgré le bruit infernal des crépitements.
—Et toi ? lui demanda le détective. Ça va aller ?
—Oui, je vais y arriver.
—Et lui ? On le laisse ici ? »
Nicolas Lancier était assis dans un calme olympien au milieu des flammes. Il attendait patiemment que son heure vienne. Ironie du sort, le feu ne se propageait pas dans sa direction.
« —Merde ! jura Maggie. Sauve le lieutenant, je m'en occupe. »
Malgré le mal qu'il avait fait, la jeune détective ne voulait pas le laisser mourir ici. Ça aurait été trop injuste pour les victimes qu'il s'en sorte sans procès.
Tandis qu'Ewen servait de béquille au lieutenant et tentait de se frayer une sortie au milieu des flammes, Maggie se saisit de Nicolas qui ne bougea pas d'un pouce. Or, la jeune femme avait été très affaiblie par sa blessure par balle — aussi superficielle qu'elle soit — et sa simulation de lutte avec les gros sacs du sous-sol pour attirer l'attention de ses collègues. De plus, la fumée devenait de plus en plus épaisse et rendait l'air âcre et irrespirable, sans parler de la visibilité qui se réduisait de seconde en seconde.
« —Tu ne vas pas risquer ta vie pour moi ? demanda calmement le tueur.
—Je vais tout faire pour que les femmes que tu as tuées soient vengées.
—Elles le seront avec ma mort.
—C'est beaucoup trop simple. »
Au travers des bruits de crépitement, Maggie entendit une sirène hurler un peu plus loin. Malheureusement, elle reconnut celle d'une ambulance, et pas celle d'un camion de pompiers qui n'avaient pas encore été prévenus.
Sentant ses forces continuer à diminuer, et voyant la résistance de Nicolas se maintenir malgré son état dégradé, Maggie prit une décision radicale. Elle décrocha un énorme coup de pied au visage du tueur, ce qui eut pour effet de l'assommer instantanément. Devenu ainsi un poids mort, elle put réunir ses dernières forces pour le tirer vers la sortie. Mais quelle sortie ?
La fumée lui brûlait les yeux et la gorge. Dans un réflexe naturel, des larmes ruisselaient sur ses joues crasseuses. Sans parler de la chaleur étouffante. Mais le pire n'était pas encore là.
Déjà fragilisée par son passé et les années, la structure restante de l'étable commença à émettre un inquiétant grincement. Soudain, à l'endroit où Maggie et Nicolas se trouvaient quelques secondes encore auparavant, un bout de la charpente en flammes vint s'y écraser, projetant des gerbes de braises incandescentes dans leur direction.
Prise d'un malaise, Maggie comprit. Elle comprit que la fin était arrivée. Elle ne s'en sortirait pas. Même en laissant le corps de Nicolas, inconscient, au feu de l'enfer qu'il avait allumé, elle ne sortirait pas d'ici vivante. Complètement déboussolée, elle ne savait pas dans quelle direction aller. Ses yeux la piquaient trop pour rester ouverts et l'air était devenu beaucoup trop rare pour que son cerveau soit correctement irrigué et en possession de toutes ses capacités cognitives.
Alors, la jeune femme lâcha sa prise et s'allongea aux côtés de Black Bird. Guidée par la haine et la volonté de vengeance, elle avait pris le risque de trop. Là où elle était, la dalle de béton était encore assez fraîche et, à ras du sol, l'air était légèrement plus respirable. C'était le moment de se laisser aller. Le moment de s'endormir après avoir accompli une ultime mission : arrêter Black Bird.
La chaleur de la fournaise commençait à s'éloigner. L'inconfort physique n'était plus aussi dérangeant à mesure que l'esprit de Maggie se perdait dans un manteau de coton.
Les pensées de la jeune femme vagabondaient de souvenirs en souvenirs. Elle songea principalement aux bons moments, ceux qui lui permettaient de s'installer encore plus confortablement dans ces limbes ouatées.
Quel était le plus beau de tous ? Sa relation avec Alex sans doute. Alex. Le pauvre Alex. Lui qui la pensait partie en promenade avec une prostituée. Elle était en train de mourir étouffée par de la fumée et, si l'asphyxie n'arrivait pas assez vite, elle serait sûrement brûlée vive. Il n'avait pas mérité ça. Il n'avait pas mérité de perdre la femme de sa vie dans ces conditions, avec en plus, le poids du mensonge.
Elle aurait dû lui dire ce qu'elle faisait vraiment. Il lui aurait fait une scène. Il lui aurait fait la tête. Et cela aurait été légitime. Mais au moins, ils se seraient dit combien ils s'aimaient avant qu'elle ne parte, et ils se seraient sincèrement dit au-revoir. Car là, elle était partie comme si elle allait rentrer plus tard dans la soirée. Or, elle ne rentrerait plus jamais.
Voudrait-il aller voir son cadavre ? Tout dépendra de l'état... Mais Bastien, lui, verra le cadavre de sa sœur. Sœur qu'il venait de retrouver et dont la relation nouvelle l'emplissait de bonheur, lui qui n'avait pas non plus eu de vraie famille, de famille de sang.
Le jeune médecin légiste la verrait sur une table d'autopsie. François Rieur s'en occuperait lui-même mais Bastien voudra assister jusqu'au bout. Il voudra comprendre comment sa petite sœur s'était bêtement éteinte en pleine fleur de l'âge.
Ensuite, il faudrait l'enterrer. Quelle ville choisiraient-ils ? Est-ce qu'elle restera à Jouville où elle avait passé les dernières années de sa vie ? Ou est-ce qu'Alex et Bastien voudraient l'enterrer dans la petite ville où la maison du couple ne devait plus tarder à sortir de terre ?
D'ailleurs, que deviendrait cette maison ? Ce terrain idéalement situé ? Alex ne voudrait plus jamais y remettre les pieds sans elle, c'était certain. Que ferait-il alors ?
Non, pas de mauvaises pensées, pas avant de mourir.
Le cancer d'Aurélie régressait. Maggie était heureuse en couple. Elle avait trouvé de vrais amis parmi ses collègues de travail. Et elle avait eu un travail qui l'avait passionnée, aussi court fut-il. Elle pouvait partir en paix. Petite orpheline sans parents, elle avait tout de même réussi à se construire une vie qu'elle avait aimée.
Maintenant, elle allait sûrement les rejoindre, ses parents. À quoi ressemblaient-ils ? Ou plutôt, à qui ressemblait-elle ? Tenait-elle ses yeux bleus de son père ou de sa mère ? Sa chevelure châtaine et aux boucles souples ? Ses petites taches de rousseur sur son nez, celles à peines visibles sauf l'été ? Elle allait bientôt le savoir. Et cette ultime pensée lui apposa un sourire sur les lèvres. Elle était bien là. Vraiment bien. Prête à rendre son dernier souffle.
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