Chapitre 47 : Le récit de Black Bird

« —J'ai toujours détesté les femmes, commença Nicolas. Vous vous rappelez du faux article de journal que j'ai dû publier pour vous ? Et bien, vous n'étiez pas si loin de la vérité à certains moments, et ça m'a beaucoup amusé. Mon père était un pauvre ivrogne qui frappait ma mère. Un soir, j'avais cinq ans, mais je m'en rappelle comme si c'était hier, ma mère a voulu se défendre et elle l'a planté avec un gros couteau de cuisine. Il est mort deux heures plus tard, sous mes yeux, après s'être vidé comme un poulet.

« Elle a directement été placée en prison où elle s'est suicidée avant même le procès, cette lâche. Ce sont mes grands-parents, les parents de mon père, qui m'ont recueilli ici, dans cette putain de ferme. Là, mon grand-père, entre deux parties de chasse, m'a appris à devenir un homme, un vrai. Et je ne vous parle pas de picoler ou autre vice de chasseur. Non, il m'a violé. De trop nombreuses fois, pendant des années.

« Et tout ça, c'est la faute de ma mère. Si elle n'avait pas buté mon père, j'aurais continué de grandir auprès d'eux. Ils m'auraient protégé de mon grand-père. En plus, j'étais le petit prince de mon papa. Ici, j'étais qu'un larbin. Cerise sur le gâteau, je déteste le travail à la ferme. Je suis un citadin, moi.

« Les années ont passé et j'ai voué une haine de plus en plus grande envers les femmes. Et mon grand-père. Quand j'avais 15 ans, il a voulu de nouveau abuser de moi. Il avait arrêté un temps à cause de problèmes de santé et parce que j'avais développé de grandes compétences d'auto-défense, mais il revenait à la charge. La puberté l'attirait déraisonnablement.

« Ça s'est passé ici-même, dans cette étable. Une nuit d'été, un peu comme celle-là. Après avoir coincé sa salopette dans l'une des mangeoires, celle-là bas (il désigna un tas de ferraille quasi fondu un peu plus loin), j'ai choppé son briquet et j'ai foutu l'feu au foin. Tout s'est très vite embrasé parce qu'il avait fait très sec les semaines d'avant. J'ai réussi à m'enfuir, mais pas lui. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que ma grand-mère voudrait essayer de le sauver. Ils sont morts tous les deux ici.

« L'enquête a conclu à un accident domestique de mon grand-père qui aurait essayé d'allumer une cigarette trop près du foin et se serait coincé en voulant s'enfuir des flammes. Moi, j'étais le pauvre miraculé qui avait une nouvelle fois perdu les personnes les plus proches à ses yeux.

« J'ai touché pas mal d'argent et j'ai terminé tranquillement mon adolescence dans un foyer. Ensuite, avec l'argent que j'avais de côté, j'ai pu me prendre un petit appartement.

   « Le summum de ma haine a été au début de l'âge adulte. J'étais parti faire mes études de journalisme. D'abord une licence de français. Puis un DUT information-communication. Je n'étais pas très populaire auprès des filles. Je ne l'ai jamais été. Sauf quand j'ai commencé mes études. La puberté m'avait quitté et j'étais devenu à peu près beau. En tout cas, j'étais charismatique parce que j'avais appris à parler en société. J'ai donc rencontré cette fille, au début de mon DUT. On était très amoureux. Surtout moi.

« Et puis est venu le moment de l'avoir dans mon lit. J'étais complètement impuissant. Rien à faire, impossible de bander. Je pense que c'est à cause du traumatisme des viols à répétition et de la haine que j'ai pour ma mère. Et là, cette sale catin, elle s'est moquée de moi. Déjà parce qu'elle ne pensait pas que je serais encore puceau à cet âge, et en plus parce que ça ne marchait pas.

« J'ai été beaucoup trop vexé. À ce moment-là, j'ai su. J'ai su qu'il fallait que je me venge pour réussir à redevenir un homme. Un homme capable d'un jour faire l'amour à des femmes, car j'en avais envie plus que tout de connaître ce plaisir charnel. Cette merveilleuse sensation. Et m'éloigner des horribles souvenirs de mon grand-père.

« Pendant mes études, j'ai dû aller interroger des prostituées pour rédiger un article. J'en ai rencontré deux très intéressantes. Les noms de Janice Brun et d'Éléonore Manchevin vous disent peut-être quelque chose ?

« La vieille salope de Jane a tout de suite eu le coup de foudre quand j'ai commencé à l'interviewer. Elle pensait que je lui posais toutes mes questions parce qu'elle m'intéressait. Pas parce que j'étais obligé. Alors j'ai commencé à germer mon plan dans ma tête. Ça m'a pris plusieurs mois. J'ai mis de côté mon dégoût, et j'ai continué à entretenir cette relation de drague en lui faisant miroiter un magnifique avenir. D'autant plus qu'entre temps, j'ai été embauché au journal local.

« Elle avait trouvé son prince charmant. Et elle trouvait ça touchant que je ne veuille pas de relation sexuelle avec elle. Elle pensait que j'attendais chastement le début de notre relation, après la fin de mes études, quand j'aurais trouvé du travail. En fait, je ne pouvais toujours pas bander et elle représentait tout ce qui me débectait : les femmes et le sexe.

« En janvier, je bossais déjà au journal depuis quelques mois, quand elle a commencé à faire pression pour qu'on passe à l'étape supérieure. Alors j'y suis effectivement passé. Je l'ai attirée dans la chambre d'un motel que j'ai louée pour passer cette nuit-là avec elle. Et je l'ai tuée avec le procédé que vous connaissez. Ma première victime. C'était jouissif. Et j'ai bandé ! C'était merveilleux. Il m'en fallait plus.

« Parallèlement à mes études, j'ai donc fait la connaissance d'Éléonore Manchevin. Je l'ai croisée dans la rue aux Ours où elle bossait. Ça m'a écœuré qu'une femme aussi brillante fasse la pute. Qu'elle vende son corps à des mecs hideux, et volontairement en plus. Mais, quand j'ai vu qu'elle s'intéressait à mon travail, j'ai fait celui qui s'intéressait aussi au sien. On a entamé une relation comme ça. Et elle, j'ai pu lui faire l'amour. La première.

« Puis un jour, je lui ai dis que mon fantasme serait de me faire passer pour un client à elle. J'ai donc reloué une chambre du motel et je l'ai aussi tuée. Comme Jane. C'est si facile d'être discret dans cette rue. J'ai tout briqué nickel, et je suis reparti avec mon petit organe en cadeau. Ils sont dans l'une des pièces du sous-sol si vous voulez les admirer. La cave à vins, c'est meilleur pour la conservation.

« Entre-temps, il y a eu la russe. Ksénia. Je l'avais rencontrée aussi pendant mes études. Pour alimenter un vieux blog — supprimé depuis — sur l'actualité Normande, je l'ai déjà interviewée alors qu'elle tentait de s'enfuir par le port de Fécamp. Quand elle m'a vue rôder dans la rue aux Ours, elle m'a tout de suite reconnu. À l'époque, j'avais été gentil avec elle parce que c'était mes débuts en tant que journaliste alors j'étais impressionné.

« J'ai profité de cette réputation pour la mettre aussi dans mes filets. Et je l'ai tuée à même le bois des Milles Pas. Elle ne m'a franchement pas posé problème. Son mac ne voulait pas prendre de risque pour une immigrée vivant illégalement ici. Elle n'avait pas de famille en France, et sa copine Russe ne voulait pas non plus risquer l'expulsion pour elle. Parfait.

« Ensuite, vous m'avez servi la petite Beverly sur un plateau en argent. Lorsque vous êtes allés interroger sa génitrice pour la première fois, je la connaissais déjà. Je l'avais déjà repérée, la petite pute timide à ses débuts.

« Mais il devenait trop dangereux pour moi de continuer à aller et venir dans la rue aux Ours sous ma propre identité, mon propre aspect. C'est là où j'ai commencé à me déguiser. En prospectant un peu, j'ai vu que Beverly avait un petit faible pour les bruns au style hipster. Il ne m'en fallait pas plus.

   « Pendant mes trois années de fac, j'ai pris l'option théâtre. J'ai rejoint une troupe minable mais qui m'a permis d'apprendre les bases et de développer une certaine affection pour le déguisement. Je gagnais en compétences sociales et je pouvais me fondre dans n'importe quelle peau grâce à mon physique banal, le type qui ne se faisait pas plus remarquer que ça au collège et au lycée.

« Une fois mon personnage de hipster au point, ça a été très vite pour empêtrer Beverly dans mes filets. Une pauvre fille qui n'a jamais reçu d'affection par sa propre famille voit soudainement arriver l'homme de ses rêves et qui s'intéresse à elle, autrement que par l'attrait du sexe.

« Et, plus que les autres, elle était particulièrement impressionnable. Quand je lui ai demandé de rester discrète sur notre relation le temps que ça devienne sérieux, elle n'a pas bronché. Elle a pourtant failli nous faire avoir par vous tellement elle était éprise et nounouille. Mais elle a tenu bon face aux incapables que vous êtes.

« Vous vous êtes alors de nouveau intéressés à elle. Là, j'ai dû agir vite pour vous mettre la pression. C'est sûrement le cadavre dont je suis le moins fier. Mes gestes étaient moins assurés, mais je ne pensais pas que vous reviendriez vers elle aussi vite. Ça a été fait dans la précipitation, je n'ai pas aimé ça.

« Enfin, nous avons eu Margot Delambre. Ou Little Doll. Un nom très mal choisi quand on pense à son physique à gerber. Pour celle-là, il faut revenir un peu plus tôt dans mon récit. Quand j'ai commencé à m'intéresser à sa soi-disant copine Jane, elle a tout de suite été jalouse. Une aubaine pour moi. Elle s'offrait sur un plateau en argent elle aussi.

« J'ai donc joué sur les deux tableaux, en lui demandant de rester discrète, qu'un jour, je quitterai Jane pour elle. Mais en attendant, je continuais à m'amuser un peu avant de me caser définitivement. L'idée de faire souffrir son amie était visiblement très agréable pour elle. Si vous saviez toutes les horreurs qu'elle me disait à son propos...Chaque occasion était bonne pour la rabaisser. Les femmes sont perfides. Je les déteste.

« Quand Jane est morte, Margot a sauté de joie. Enfin je n'étais qu'à elle, et sa rivale était hors d'état de nuire pour toujours. Je lui ai alors demandé de rester discrète un moment, pour ne pas que ça paraisse suspect. Et devinez quoi ? Elle a compris que j'étais Black Bird. Elle n'était finalement pas si conne que ça.

« Enfin, pas si conne, elle a quand même cru que je l'aimais vraiment et que j'allais la protéger. Elle se voyait déjà œuvrer dans la rue aux Ours à mes côtés. Elle nous appelait « les Bonnie and Clyde modernes ». Si je l'ai gardée en vie aussi longtemps c'était, déjà pour ne pas trop éveiller les soupçons, mais aussi parce qu'elle m'a grandement aidée dans ma discrétion.

« Elle louait les chambres parfois pour moi, elle me faisait passer dans des endroits réservés aux putes. Elle m'aidait à mettre le grappin sur ses collègues. Elle m'a beaucoup aidé avec ses moyens intellectuels limités. Et puis elle a tout gâché.

« Elle commençait à en savoir trop, à prendre trop de place dans cette organisation, à être trop à l'aise. Elle voulait devenir officiellement Madame Lancier. Alors qu'il en était hors de question, et elle a commencé à le comprendre. Il a donc fallu que je me débarrasse d'elle à son tour.

« Vous rendez-vous compte de l'ironie du sort ? La première personne que vous allez interroger, elle était au courant de tout. Elle a même été ma complice. En tout cas, merci pour ce moment de divertissement, c'était beaucoup trop drôle de jouer avec vous.

« Pourtant, ça n'a pas été facile. Votre Patron a flairé le coup très vite, lui. J'ai rapidement été surveillé. À commencer par la neutralisation de cet incapable de Raphaël. S'il n'était pas fléché sur l'enquête, ce n'était pas la faute de Devrèche, notre rédacteur en chef. C'était uniquement le fait de son Patron qui voulait me surveiller de près. Qui mieux qu'un journaliste pouvait approcher toutes ces prostituées et faire celui qui leur porte de l'intérêt ?

« Malheureusement, votre Patron n'a pas réussi à mettre la main sur moi. Il a bien tenté de me faire suivre, mais l'intervention de Margot, et mes déguisements, l'ont brouillés. Il n'a jamais soupçonné cette idiote. Ça m'a grandement aidé. Vous êtes vraiment des imbéciles. Des questions ?

—Pourquoi les cartes de visite ? demanda Maggie hypnotisée par le monologue du tueur. Pourquoi prélever des organes ? Pourquoi Black Bird ?

—Comme dans l'article que nous avons écrit ensemble : je voulais que les gens se souviennent de moi. J'ai cherché des éléments qui marquent les esprits. Black Bird, le corbeau qui laisse des cartes de visites anonymes sur ses victimes et, en bon oiseau charognard, repart avec son dîner. Mais rassurez-vous, je ne les mange pas. Je les garde en souvenir. Je suis végétarien, c'est dire.

—Tu es complètement fou.

—Au contraire Maggie, je pense que je suis plus sain d'esprit que la plupart des humains sur cette terre. Maintenant, si vous n'avez plus de questions, il est temps pour nous tous d'aller brûler dans les flammes de l'enfer. »

Les détectives et le lieutenant, captivés par ce récit immonde et gore, avaient relâché leur attention sur le tueur. Alors, lorsqu'ils le virent réunir une dernière fois ses faibles forces pour s'élancer sur l'halogène allumée près de lui, il était déjà trop tard.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top