Chapitre 37 : Trop suspect pour être honnête

« —Ma sœur ? »

  Hapsatou tira Maggie de sa stupeur. Elle n'avait pas eu le temps de voir qui la détective avait identifié.

« —Est-ce qu'il y a une entrée plus discrète pour accéder au bar ? demanda Maggie soudain pressée par le temps, de peur de ne pas retrouver la trace de Cameron.

—Germaine et Fabrice peuvent parfois nous faire entrer par la réserve quand on a des problèmes, lui répondit une Hapsatou déterminée à aider son amie. La porte est à l'arrière, il faut qu'on fasse le tour.

—Vite, avant qu'il ne monte avec quelqu'un ou qu'il ne ressorte sans qu'on le surprenne. »

  La prostituée ne chercha pas à identifier de qui Maggie pouvait bien parler. Agrippant le bras de la jeune femme, elle l'entraîna dans une ruelle mal éclairée et puant l'urine et les poubelles avant de frapper trois coups méthodiques sur une porte visiblement blindée.

C'est Fabrice qui vint leur ouvrir. Il se dépêcha de faire entrer les deux femmes, jetant au passage un œil à la rue, avant de les interroger, une fois qu'il s'était assuré de leur sécurité à tous :

« —Qu'est-ce qui se passe Toudia ? Qui t'emmerde ? Tu vas bien ? Et elle ?

—Merci de nous avoir ouvert Fabrice, lui répondit Hapsatou. Ma sœur, Fabrice est un homme de confiance, je peux lui expliquer ? »

  La jeune détective hocha la tête mais fit signe à son amie de se dépêcher.

« —Maggie est détective privée, expliqua Hapsatou. Elle enquête sur les meurtres de Black Bird. Et elle a vu quelqu'un entrer dans ton bar, quelqu'un qui ne lui a pas plu du tout. Alors j'ai utilisé cette entrée un peu abusivement pour pouvoir s'infiltrer discrètement, sans se faire repérer. On est en mission secrète. »

Fabrice siffla, visiblement très impressionné par l'histoire de la prostituée.

« —Si vous avez besoin de quoi que ce soit, fit-il, je suis aussi à votre service les filles !

—Merci Fabrice, lui répondit Hapsatou. T'es bien le meilleur. »

  Maggie s'était légèrement éloignée des deux compères afin d'aller observer la salle à travers le hublot de la porte de service. Cameron s'y trouvait encore. Il était assis à une table, en charmante compagnie d'une blonde platine à la poitrine exagérément gonflée et au maquillage beaucoup trop rose pour être élégant.

  Soudain, le visage de Germaine apparut à travers la vitre et Maggie eut juste le temps de se décaler pour ne pas se faire violemment assommer par la porte.

« —C'est quoi ce bazar ? s'énerva la grosse femme.

—C'est une détective privée en mission, chuchota Fabrice en mettant sa main sur le coin de sa bouche comme s'il craignait être entendu par une oreille indiscrète. Elle enquête sur le tueur en série, tu sais, celui qui tue les prostituées et laisse sa carte de visite.

—Dans mon bar ? Qu'est-ce qu'on a à voir avec ça ?

—Je viens d'apercevoir l'un de nos suspects entrer dans votre établissement, lui expliqua la détective avec patience. Afin d'être discrètes, j'ai demandé à Hapsatou s'il existait une autre entrée et elle m'a emmenée ici. Tout est de mon fait, ils ne font que m'aider. »

  Germaine jugea Maggie du regard en la scrutant de la tête aux pieds. 

« —Quelles conneries t'as encore inventées mon pauvre Fabrice ? demanda la barman au corset prêt à exploser. Me fais pas gober qu'elle est détective. Dans ce cas, moi je suis mannequin. »

  Hapsatou et Germaine partirent dans un gros rire sonore qui emplit la réserve. Maggie eut peur que tous les regards en salle se tournent vers eux et qu'elle soit découverte par Cameron. Elle jeta donc un furtif coup d'œil à travers le hublot, mais l'établissement était très bien isolé et tous les clients semblaient les ignorer.

« —Et toi Toudia ? questionna Germaine en reprenant son sérieux. T'as quoi à m'en dire ?

—Je crois Maggie, lui répondit Hapsatou. Je suis certaine qu'on peut lui faire confiance.

—Mouais. Alors ça va. Mais foutez pas le bordel dans mon bar. On a une réputation à tenir. Et toi Fabrice, tu viens avec moi. T'as un comptoir à tenir. »

  Germaine attrapa le bras du frêle Fabrice et elle l'entraîna hors de la salle. Les deux femmes restées dans la réserve eurent le temps d'apercevoir le visage déçu du propriétaire de l'établissement qui devait sûrement s'imaginer mener l'enquête avec elles et vivre des aventures trépidantes.

  Maggie se replaça à son poste d'observation derrière le hublot. Par chance, Cameron était toujours assis avec sa blonde. Leurs verres étaient presque terminés. Allaient-ils en commander d'autres ? Allaient-ils monter ? Allaient-ils sortir ?

« —Tu vas me dire qui tu traques ma sœur ? demanda Hapsatou qui s'était rapprochée de la détective sans faire de bruit, ce qui eut pour effet de la faire sursauter.

—Tu vois le type là-bas avec la blonde très maquillée et à forte poitrine ?

—Avec Barbie ? Ouais je vois. »

Elle porte beaucoup trop bien son surnom, songea Maggie.

« —C'est lui que je surveille, poursuivit la détective.

—Cameron ?

—Tu le connais ?

—Bah ouais, je t'ai dit que je t'ai vue au camion des bénévoles la dernière fois. C'est parce que j'y vais parfois. Donc je le connais un peu.

—Il vient souvent ici en-dehors de ses soirées de bénévolat ?

—Lui ? »

  Hapsatou partit à nouveau dans un rire franc. Maggie attendit patiemment qu'elle eut terminé pour avoir la réponse à sa question.

« —C'est un vrai queutard, lui apprit enfin la prostituée après s'être rapidement calmée.

—Comment ça ?

—Il consomme plus qu'il ne bénévole. Même si, à bien y réfléchir, il s'est calmé depuis le début de l'année. Avant, il était fourré là au moins deux soirs par semaine. Il claquait une fortune en putes, alors qu'il avait des réductions abusées avec son statut de bénévole-beau-gosse. Maintenant, je le croise rarement en tant que client. Il a dû prendre une bonne résolution. »

  Black Bird a commencé à frapper en début d'année.

« —Est-ce qu'à tout hasard tu sais s'il s'est déjà payé les services d'une des victimes ? demanda Maggie pleine d'espoir.

—Pas que je sache, lui répondit Hapsatou. Il a son type de filles. Les blondes et/ou les poitrines démesurées. Barbie, qui est une copine, m'a appris qu'il aime bien manger de la chantilly sur... »

  La prostituée pointa sa propre poitrine du doigt. 

« —Il en ramène dans sa sacoche, poursuivit Hapsatou.

—Et à toi ? Il a déjà payé tes services ?

—Nan. Jamais. Les blanches et les beurettes, ouais, mais pas les blacks. Mais c'est pas grave, on a notre clientèle nous aussi. »

  Maggie tiqua. Cameron bougeait. Ils avaient terminé leurs verres et ils se dirigeaient maintenant, Barbie et lui, vers le rideau de perles. 

« —Aaah, fit Hapsatou en les suivant des yeux. Il va maintenant se vidanger le bonhomme.

—On peut le suivre ?

—Ça va être compliqué d'être discrètes. Mais Barbie loue une chambre à deux portes de la mienne. On peut se poser dans ma superbe suite et laisser la porte légèrement entrouverte pour pouvoir écouter s'ils en ressortent.

—J'imagine que c'est ce qu'on a de mieux à faire. »

  Les deux femmes sortirent de la réserve en jetant un regard plein de reconnaissance à Germaine et Fabrice en passant devant eux, puis elles disparurent à leur tour derrière le rideau de perles. Elles montèrent au deuxième et traversèrent le couloir empli de bruit très étouffés de coïts afin de se rendre à la chambre louée par Hapsatou.

  La locataire coinça un emballage cartonné de crème de jour sous la porte afin de la laisser ouverte juste ce qu'il fallait pour pouvoir entendre tout mouvement dans le couloir. Elles entendirent quelques allées et venues, ainsi que des commentaires salaces, mais rien qui ne provenait de la chambre de Barbie.

« —Combien de temps durent généralement les passes ? questionna Maggie qui commençait à s'inquiéter au bout de presque une heure d'attente.

—Ça dépend du client, rigola Hapsatou qui était occupée à donner un coup de propre à sa manucure.

—Et Cameron ?

—T'affole pas, généralement il loue les filles une heure ou deux. Apparemment il se confie à elle. Ce qu'il a l'air de pas savoir, c'est qu'on n'a pas de secret pro, nous. Donc on parle entre nous.

—Et il raconte quoi généralement ?

—Sa vie. Qu'il était le mal-aimé de sa fratrie, le raté. Le fils frappé par son père à coup de ceinture. Celui qui n'a pas fait d'études et qui a toujours bossé qu'au McDo alors que ses frères et sœurs ont une grande carrière prestigieuse. 

   « Il dit qu'il a développé des troubles alimentaires à cause de ça et qu'il compense ses délires sexuels liés à la bouffe en allant régulièrement à la salle de sport. Selon son analyse, ce serait une façon de se faire mal sans que ça se voie. Il fait le pauvre oisillon tombé du nid pour s'attirer la sympathie des prostituées et avoir plein d'avantages gratos.

—Il s'intéresse aux prostituées en retour ?

—Apparemment, mais il serait surtout centré sur lui-même. »

  Maggie se renfrogna. Cameron avait à la fois le profil de Black Bird, et à la fois pas du tout. Elle espérait juste qu'il ne soit pas en train de commettre son forfait en ce moment-même. La personne chargée de le surveiller ne pouvait certainement pas se rendre jusqu'ici.

« —Il y a un escalier de secours pour sortir d'ici ? demanda la détective soudainement prise de panique.

—Évidemment, c'est une norme incendie. Au bout du couloir.

—Donc juste à côté de la porte de chambre de Barbie ? »

  Hapsatou comprit immédiatement quelle était la pensée de Maggie. 

« —C'est quand même risqué, tenta de relativiser la prostituée, surtout à cette heure.

—Je ne peux pas me permettre de prendre le risque. »

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