Chapitre 30 : Nouvelle rencontre avec l'universitaire

22 avril

  Grâce à Alex, Maggie savait que Pierre Chevez avait une pause d'une heure entre deux cours de la matinée. Toujours informée par son petit-ami, elle apprit également qu'il resterait dans son bureau afin de poursuivre la rédaction de son prochain article scientifique. Parfait.

  La jeune détective se rendit donc pour 10h à l'université. Sans hésitation, elle traversa le campus en direction du bâtiment dédié à l'UFR de sciences humaines. Elle ne croiserait pas Alex qui donnait des cours magistraux toute la matinée et enseignait au lycée l'après-midi.

   Une fois devant le bureau de sa cible, elle frappa avec détermination. C'est une femme qui lui ouvrit. Il devait sûrement s'agir de Solange Clerc, l'autre enseignante-chercheuse mentionnée sur la plaque de la porte. En tout cas, Maggie ne l'avait jamais croisée en cours. Elle n'avait pas quitté la fac depuis longtemps, mais un grand renouvellement de l'équipe pédagogique de sociologie avait certainement dû avoir lieu pendant ce laps de temps.

« —Oui ? demanda la femme sans une once de politesse.

—Bonjour Madame, lui répondit Maggie avec toute l'autorité dont elle savait faire preuve. Je suis Maggie Annisterre, détective privée. J'ai à m'entretenir avec votre collègue, Monsieur Chevez.

—Ah ! fit une voix d'homme derrière la porte. La petite-amie d'Alex revient me voir ! Quel plaisir ! »

  En une réplique, il venait de mettre à mal l'autorité de Maggie en mettant en avant sa vie privée sans son autorisation. Quel homme détestable. Elle plaignait cette femme qui devait partager son espace de travail avec lui. Pas étonnant qu'elle soit aigrie, songea la détective.

« —Dans ce cas, je vous laisse. »

   À ces mots, Solange Clerc rentra dans son bureau afin de récupérer sa veste et sa pochette d'ordinateur. Puis elle quitta les deux individus après avoir fait entrer Maggie qui se retrouva alors nez à nez avec Pierre Chevez.

  Le professeur la regardait avec la même intensité que la vieille lorsqu'il fixait la caméra de TF1. Aussitôt, il prit une attitude décontractée dans son siège. Jamais il ne se laisserait impressionner par la jeune détective qu'il avait en face de lui. Ce n'était donc pas la méthode qu'elle utiliserait.

« —Entrez Maggie, je vous en prie, l'invita Pierre en lui indiquant la chaise libre en face de lui afin de l'inviter à s'y asseoir.

—Merci, lui répondit la détective en s'exécutant.

—Que puis-je pour vous aujourd'hui ?

—Je pense que vous le savez déjà.

—C'est à propos de mon intervention télévisée de la veille ?

—Exactement.

—Vous avez aimé ?

—Beaucoup. C'est pour cela que je suis là ce matin. Je pense que vous pourriez nous être d'une grande aide. »

  Le visage de Pierre se fendit d'un immense sourire. Il était aux anges.

« —Je vois que mon analyse vous plaît, dit-il d'un air suffisant.

—Oui, tout à fait.

—Alors qu'attendez-vous de plus de moi ?

—J'aimerais que vous collaboriez avec nous.

—Ah oui ? Intéressant. Mais voyez-vous, je suis un homme très occupé. »

  Maggie ne le voyait pas du tout, mais elle le laissait déblatérer son délire mégalomaniaque. Elle hocha donc la tête d'approbation. S'il avait le temps de passer à la télé, il aurait bien un peu de temps à leur accorder.

« —Il va falloir être convaincante pour que je collabore avec vous. Qu'avez-vous à me proposer en échange ? »

  Il ne me demande pas qui m'envoie, songea Maggie, qui peut travailler avec moi, rien. En avait-il rien à faire ? Le savait-il déjà grâce à Alex ? Ou grâce à ses propres recherches personnelles ?

« —Qu'est-ce qui vous intéresserait ? demanda Maggie qui ne voulait pas que les rôles s'inversent. De l'argent ? Un service ?

—Je vis déjà de manière très aisée, lui répondit-il. Mes articles et livres se vendent bien. Très bien même. Quel genre de services êtes-vous prête à me rendre ? »

  Il avait posé sa question sur un ton à la limite du langoureux, ce qui écœura Maggie au plus haut point. Elle n'en laissa rien paraître et continua à brosser son suspect dans le sens du poil.

« —Tout ce que des détectives privés peuvent vous offrir, lui répondit-elle sur un ton tout professionnel. »

  Pierre fit la moue.

« —Je n'ai pas besoin des services de détectives privés, lâcha-t-il contrit. Mais comme vous êtes la petite-amie d'Alex, qui est un collègue que j'apprécie beaucoup, je veux bien vous offrir mes services à titre gracieux. En revanche, tout ce que je veux en retour, c'est que mon nom soit cité le plus possible et que mon futur livre sur l'enquête soit mis en avant lorsque nous aurons résolu cette même enquête. »

  Maggie tiqua.

« —Vous écrivez un livre sur cette affaire ?

—Oui. Acceptez-vous donc ma très généreuse proposition ?

—De quelle façon voulez-vous que nous fassions votre promotion ? Nous sommes une agence de détectives privés, pas une agence publicitaire.

—Débrouillez-vous, vous devez sûrement avoir des contacts avec des journalistes, non ? »

  Il ne demandait toujours pas de détails sur le « nous » qu'utilisait Maggie pour parler de ses collègues. Au contraire, il semblait très au courant du fonctionnement professionnel de la jeune femme. Soudain, elle se sentit inquiète. Même si Alex, Ewen et Patron étaient au courant de son emploi du temps matinal, elle ne se sentait pas en sécurité pour autant. Pierre Chevez lui faisait une très mauvaise impression.

« —Oui, lui répondit-elle, nous travaillons avec des journalistes. Nous verrons donc de ce côté-ci.

—Bien, très bien. Alors, par quoi commençons-nous ?

—J'aimerais revenir sur votre interview télévisée d'hier soir si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

—Aucun. Vous m'avez trouvé comment ? J'ai été bon ? »

  Maggie retint difficilement un soupir exaspéré. 

« —Excellent, répondit-elle en se forçant à sourire poliment.

—Oui, je partage aussi cet avis. Donc, que vouliez-vous savoir ?

—Je vais aller droit au but : avez-vous déjà rencontré au moins une des victimes de Black Bird pour avoir insisté à ce point sur leurs différents parcours de vie hier soir ? Sans parler d'Éléonore Manchevin bien sûr. »

  Pierre Chevez ne répondit pas immédiatement. Il prit une pause réflexive dans son siège. Maggie était persuadée qu'il savait déjà pertinemment quoi répondre, mais qu'il se donnait en spectacle. Cet homme était faux et misait tout sur l'apparence. Elle, ça la débectait, mais elle pouvait aisément croire qu'il n'avait aucun mal à séduire de pauvres femmes en quête d'amour. Comme les prostituées retrouvées mortes par exemple.

« —Je me souviens avoir déjà parlé à la première, lâcha-t-il enfin. Janice Brun. C'était il y a environ six ou sept ans. Je n'avais pas encore le réseau que j'ai aujourd'hui et j'ai eu besoin de lancer un appel à témoin dans le cadre de mes recherches. J'avais fait publier un article dans le journal local à ce propos. Et Janice était tombée dessus.

  « J'avais peur que ça ne fonctionne pas car je ne proposais aucune rétribution en échange de leurs témoignages. Mais j'ai quand même eu trois réponses. Aujourd'hui ça me paraît ridiculement peu, bien sûr. À l'époque, c'était incroyable.

  « Janice se fichait de l'argent. Elle avait besoin d'attention. Elle voulait que j'écoute son histoire, que je me lamente avec elle sur son sort. Nous nous sommes revus plusieurs fois. Le souci, c'est qu'elle ne voulait plus me laisser tranquille après. Elle n'a pas accepté que je ne m'intéresse plus à elle quand j'ai obtenu ce dont j'avais besoin. Ce n'était pas une annonce matrimoniale que je passais, mais bien une annonce universitaire. Je le précise au cas-où ce détail a de l'importance.

—Comment avez-vous réussi à mettre fin à tout cela ?

—Je l'ai menacée de porter plainte. Ça lui a fait peur. »

  Efficace.

« —La seconde victime ? demanda Maggie. Vous ne la connaissiez pas du tout ?

—Encore faut-il que vous me disiez qui elle est. »

  Il n'est pas tombé dans le panneau, songea la détective agacée.

« —Nous l'ignorons encore, lui répondit-elle.

—Alors pourquoi me poser la question ? enchaîna-t-il avec une pointe de méfiance dans la voix.

—Au cas où vous en sauriez plus que nous.

—Pourquoi en saurais-je plus que vous ?

—Grâce à votre réseau social.

—Et bien non. Je n'en sais rien.

—Et la dernière ? Beverly Saint-Martin.

—Ça ne me dit rien non plus. »

  Il avait l'air d'être plutôt franc. Mais Maggie savait que Black Bird était malin, très malin.

« —Et ce livre, dit-elle après une courte pause, qu'allez-vous y raconter ?

—Cette histoire. Comment la population lambda a commencé à s'intéresser à la vie des prostituées et à les respecter grâce à ces meurtres en série. »

  Il avait donc accepté cette interview télévisée pour anticiper la promotion de son livre. Quel businessman. Quel connard.

« —Il va bientôt être 11h, Maggie, lança Pierre en jetant un œil à sa montre suisse sûrement hors de prix. J'ai un cours qui va commencer. Et comme je vous le disais la dernière fois, j'ai horreur du retard.

—Oh oui ! dit la jeune détective sur un ton faussement désolé. Je n'avais pas vu l'heure passer !

—C'est souvent comme ça quand on discute avec moi (clin d'œil du professeur). Comment vous en vouloir ? En tout cas, j'ai déjà hâte à notre prochaine rencontre. Pourquoi pas autour d'un verre ?

—Je suis sûre que cette proposition enchantera Alex. »

Maggie jubila intérieurement en voyant la mine défaite de Pierre qui n'avait visiblement pas ce genre de plan en tête.

« —Quelle bonne idée, répondit-il de la manière la moins enjouée au monde. Allez, au-revoir, Mademoiselle Annisterre. »

  La jolie détective ne se fit pas prier pour sortir de ce bureau. Elle traversa Jouville en vitesse afin de faire son rapport à Patron et ses collègues. Après cette rencontre, elle était moins sûre d'elle quant à l'implication de Pierre Chevez dans les meurtres des prostituées. Quelque chose la chamboulait pourtant intérieurement, mais elle ne savait pas expliquer quoi. Et ça l'agaçait énormément.

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