Chapitre 25 : La conseillère
Après un sandwich poulet-crudités avalé en prenant leur temps, suivi d'une pâtisserie faite maison, les détectives étaient prêts à repartir mener l'enquête. Leur prochaine cible s'appelait Marina Dumont. Elle était Conseillère Pénitentiaire d'Insertion et de Probation au SPIP de Jouville. Heureusement pour les détectives, elle n'avait pas calé de rendez-vous avant 15h pour pouvoir avancer sur ses rapports qui devront finalement attendre encore un peu.
Les deux détectives furent reçus dans un bureau absolument neutre, d'une tristesse totale. Chaque objet avait sa place, chaque place suivait une logique sans extravagance. Face à eux, une femme était assise dans son siège de bureau dont l'ergonomie avait été pensée spécialement pour éviter aux gratte-papiers d'avoir mal au dos, donc d'éviter un arrêt de travail ou pire, un accident du travail. D'ergonomique à économique, il n'y a qu'un pas.
La femme était visiblement très impressionnée par la venue des détectives. Ironique, songea Maggie qui savait que cette femme se retrouvait devant des criminels à longueur de journée. Elle était assez petite, toute menue, mal fagotée dans des vêtements trop amples et mal taillés. En revanche, sa coiffure et son make-up étaient impeccables. Dignes des plus célèbres tutos Youtube.
Après l'avoir brièvement saluée et s'être présentés, c'est d'un commun accord silencieux qu'Ewen prit les rênes de l'interrogatoire. La carrure du détective rajoutera très probablement une dose de malaise chez la petite conseillère, favorisant ainsi la sincérité de l'interrogée. Mais il ne fallait pas que le malaise soit trop grand, au risque de la bloquer complètement. Dans ce cas, c'est Maggie qui reprendra la suite.
« —Nous venons vous voir à propos de l'un de vos suivis, commença donc Ewen. Est-ce que le nom de Kevin Nobeau vous dit quelque chose ?
—Bien sûr, répondit Marina Dumont avec timidité. Je le suis à un rythme hebdomadaire depuis sa sortie de prison le 26 décembre dernier. Pourquoi ? Il a de nouveau fait quelque chose de mal ?
—Contentez-vous de répondre à mes questions s'il vous plaît.
—Oui, pardon, rougit-elle.
—Que pouvez-vous me dire à propos de lui ?
—Il est plutôt régulier. Il a juste raté un rendez-vous, mais il était malade, donc il a pu être excusé avec un certificat médical.
—Et pendant les rendez-vous, quel genre d'homme est-il ?
—Il est... gentil ? Un peu long à comprendre les choses... Enfin, je ne veux pas être méchante ni jugeante, je veux surtout dire qu'il faut parfois lui reformuler plusieurs fois ce qu'on lui dit avant qu'il assimile l'information. Notre grande difficulté, c'est l'insertion professionnelle. Bien qu'il ait réalisé avec succès une formation en scierie pendant son dernier emprisonnement, il n'a jamais travaillé. Et à 32 ans, ça ne fait pas rêver les employeurs potentiels. Sans parler de son CV et de sa lettre de motivation. Ça a été toute une épreuve pour arriver à lui faire produire des documents à peu près potables.
—A-t-il un suivi psy ?
—Oh oui. Il voit un psychiatre une fois par mois et est sous Abilify, un antipsychotique. Il voit aussi une psychologue une semaine sur deux. Mais c'est parce qu'il n'a pas le choix. Injonction de soin imposée par la juge qui a accepté sa liberté conditionnelle.
—Pensez-vous que, malgré tout ça, il puisse récidiver ?
—Et bien... Ma principale mission c'est justement de tout faire pour empêcher une récidive, pouffa Marina qui était au comble du malaise. J'espère donc que ce ne sera pas le cas.
—De vous à moi, en toute honnêteté, vous pensez vraiment qu'il est passé à autre chose ?
—Je... Lors de notre dernier échange avec le psychiatre et la psychologue, les nouvelles étaient plutôt sous le signe de la méfiance. Mais nous faisons au mieux pour l'éloigner de ses travers. »
Ewen fixa intensément la petite femme assise en face de lui tandis que Maggie s'était levée pour s'accouder contre la fenêtre et ainsi donner encore plus de poids aux faits et gestes de son collègue. Pourtant pas très grand, Ewen, droit comme la justice, semblait largement dominer Marina qui se recroquevillait chaque seconde un peu plus dans son super siège. Lorsque le malaise était à la limite de l'insoutenable pour l'interrogée, Ewen lâcha sa dernière question :
« —Pensez-vous que Kevin Nobeau ait pu se mettre à tuer ?
—Quoi ? Non ! C'est un violeur, pas un tueur ! C'est pour ça que vous êtes venus me voir ? Parce qu'il est accusé de meurtre ?
—Pour le moment, il n'est accusé de rien du tout. Comme vous, nous faisons de la prévention.
—Prévention de quoi ? Et déjà, qui vous envoie ?
—Ça, il aurait fallu nous le demander plus tôt Madame Dumont. Bien avant de nous livrer toutes ces informations. »
Rudement bien joué. Si Marina voulait parler de cet interrogatoire à qui que ce soit, elle serait alors accusée de négligence en dévoilant les éléments principaux d'un dossier qu'elle suivait. Elle se tairait donc.
Après un regard entendu avec sa collègue, Ewen mit fin à l'interrogatoire. Il salua Marina avec une politesse toute théâtrale, plus sobrement imité par Maggie, puis ils la quittèrent, la laissant seule et tremblante dans son fauteuil.
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