Chapitre 20 : Une nuit dans les bois
Mariam n'avait pas menti. Le début de soirée avait été très calme. Pendant toute la première heure, seules deux femmes s'approchèrent du camion. L'une était venue chercher des préservatifs, sans même un « merci » à l'attention des bénévoles. L'autre, au contraire, avait besoin de parler, d'être réconfortée. Gaëlle lui servit une tasse de café fumant et elles s'installèrent à l'arrière du camion, emmitouflées dans une couverture, afin de papoter pendant une bonne demi-heure. Maggie avait tendu l'oreille mais elle n'apprit rien qui ne lui fasse avancer son enquête au cours de cette conversation.
Plus le soleil déclinait dans le ciel, noirceur accentuée par la présence de la forêt, plus les femmes osaient s'approcher. C'était comme si la pénombre les protégeait d'une quelconque agression.
Soudain, parmi les femmes qui s'avançaient timidement vers eux, Maggie cru reconnaitre quelqu'un. Elle se creusa la mémoire afin de tenter de remettre un nom sur ce visage. Elle en avait tellement vu au cours de cette enquête qu'elle n'arrivait plus à les trier.
L'inconnue connue s'approcha timidement de Maggie.
« —Bonjour, lança la femme avec une toute petite voix enfantine. J'aimerais un chocolat chaud s'il vous plaît. »
BINGO ! La voix permit à la détective d'activer les bonnes terminaisons nerveuses et ainsi retrouver le nom qu'elle avait sur le bout de la langue.
« —Beverly ? demanda prudemment Maggie.
—Chut, lui répondit la jeune femme. Ici je suis Baby B (prononcez « Bi »).
—Oui, excusez-moi. Que faites-vous ici ?
—Est-ce que je peux avoir mon chocolat s'il vous plaît ? Je vous raconte après. »
Maggie remplit une tasse de lait brûlant et y ajouta un sachet de chocolat lyophilisé qu'elle tendit ensuite à Beverly. Les deux femmes allèrent s'installer à quelques pas du camion, sur un tronc couché qui devait servir habituellement de banc à en croire les traces d'usure.
« —Merci pour le chocolat, fit toujours aussi doucement Beverly. Avant de tout vous raconter, promettez-moi de ne jamais dire à ma mère tout ce que vous savez sur moi. Vous avez entendu comment elle parlait de Janice l'autre jour ? Ce n'est pas parce que je suis sa fille que j'aurais le droit à un traitement différent. Elle méprise les prostituées. Le sexe, c'est tabou.
—Je vous le promets.
—Merci. Donc je crois que je vous dois des explications maintenant. En fait, je suis ici grâce à Janice et à cause de ma mère. C'est drôle, non ? »
Maggie hocha approximativement la tête. Non, « drôle » n'était pas le mot le plus approprié, mais elle ne voulait pas vexer son interlocutrice.
« —Ma mère ne me paie pas assez, poursuivit Beverly. Le strict minimum. J'ai d'abord été déclarée comme sa stagiaire, puis maintenant elle m'a employée à mi-temps. Sur les papiers. En réalité, je travaille bien plus qu'un temps plein. Elle se plaint qu'elle n'a pas beaucoup d'argent et qu'on doit tous faire des efforts, se serrer la ceinture.
« Bien sûr, je sais qu'elle vit très aisément. Elle est très dépensière. Ce sont ses enfants qui doivent se serrer la ceinture pour son petit bonheur. Un jour, j'ai voulu lui demander une petite augmentation parce que je voulais prendre mon indépendance. Elle n'a pas accepté et m'a traitée d'égoïste. Je crois qu'elle a vu le coup venir parce qu'à la maison je l'aide beaucoup et ça aurait été embêtant pour elle que je ne sois plus là pour faire les tâches ménagères à sa place.
« Janice a bien vu mon malheur. Alors elle m'a dit qu'elle connaissait un bon tuyau pour se faire de l'argent rapidement mais qu'il ne fallait pas avoir trop froid aux yeux. Je n'ai pas compris sur le coup, puis un soir elle m'a emmenée ici. J'ai d'abord été effrayée alors je lui ai dit non et elle m'a raccompagnée chez moi en me disant que je pouvais changer d'avis à tout moment.
« La vie chez ma mère est vraiment terrible, alors j'ai rapidement changé d'avis et j'ai demandé à Janice de m'emmener une nouvelle fois ici. C'est comme ça que j'ai commencé. Y'a eu un premier. Je me suis sentie sale en rentrant chez moi, mais j'avais de l'argent. Donc j'suis revenue. Et une fois de temps en temps je viens là et je gagne un peu de sous. J'économise pour partir une bonne fois pour toutes loin de ma mère. Ça va prendre encore un certain temps, c'est sûr, mais c'est pour la liberté alors ça vaut le coup. Sauf si un prince charmant vient me sortir de là avant. »
Oh non pas encore, pensa Maggie qui réprima une grimace de tension.
« —Je sais pas pourquoi, poursuivit Beverly, mais je vous aime bien, vous. J'étais contente quand vous êtes venus voir ma mère parce que j'ai senti que vous avez de la considération pour Janice et toutes les autres. J'espère que vous retrouverez celui qui fait tout ça. Si jamais je peux vous aider, n'hésitez pas à me demander. Je m'arrange pour venir ici quand le camion passe. Ça fait du bien. Ils sont comme une bouteille d'eau dans le désert quand ils viennent. »
Maggie était touchée par l'innocence encore à peu près préservée de la jeune femme qui se tenait à côté d'elle en sirotant avec prudence son chocolat très chaud. Une mère tyrannique qui avait poussé sa fille à se prostituer. C'était le pompon. Il y avait autant de prostituées que d'histoires différentes, toutes plus glauques les unes que les autres.
« —Tu me parlais de prince charmant tout à l'heure, dit doucement Maggie. Connaissais-tu une relation à Janice ? »
Naturellement, la jeune détective s'était mise à tutoyer cette femme qui paraissait si juvénile. Cela ne sembla pas poser de problème à Beverly.
« —Je sais qu'elle était amoureuse, répondit cette dernière. Elle me disait que bientôt, tout ce cauchemar sera fini pour elle parce qu'un homme lui a promis de lui offrir une nouvelle vie.
—Elle t'a donné le nom de cet homme ?
—Non. Elle m'a dit que je le connais, alors elle voulait pas me dire son nom parce qu'il est discret et qu'elle voulait pas faire tout capoter dans sa relation tant que c'était pas sérieux sérieux sérieux.
—Tu le connais ? Comment ça ?
—Apparemment, c'est un gars que j'ai déjà croisé ici. Il vient de temps en temps et prend le temps de s'intéresser à nous. J'en sais pas plus. Il doit être dévasté par sa mort, le pauvre.
—Sûrement. Et toi, tu as un prince charmant ?
—Non. »
Aïe, mensonge, se dit Maggie en voyant Beverly devenir rouge pivoine. Pourvu que ça ne soit pas le même prince charmant que pour les trois cadavres. Et lui attribuer une protection policière ? Impossible ici. De toute façon, elle n'avait rien de concret pour la demander.
« —Tu es sûre ? insista Maggie en feignant la malice.
—Oh il y a bien quelqu'un qui s'est un peu intéressé à moi. Il était gentil. Mais je pense que je suis tombée amoureuse de quelqu'un qui ne partagera pas mes sentiments. C'est idiot. »
Beverly rougit de nouveau.
« —Tu peux me dire qui c'est ?
—Quelle heure il est s'il vous plaît ? »
Maggie jeta un œil à son portable.
« —Presque 20h.
—Ooooh je vais être en retard pour ma passe. Je dois y aller. On se retrouve la prochaine fois que le camion passe ici si vous voulez. Bonne soirée. »
Et Beverly disparut dans le bois sans que Maggie ne puisse repérer où elle avait pu partir. Sans qu'elle ne puisse avoir un nom, un seul. Découragée, la détective retourna près du camion en traînant des pieds. Les quatre bénévoles étaient tous occupés de leur côté. Pendant qu'elle parlait avec Beverly, plusieurs femmes s'étaient approchées de leur QG. C'était le moment d'affluence.
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