Chapitre 2 : Un premier cadavre insignifiant
1er février
Le climat qui régnait dans Jouville semblait électrique à Maggie lorsqu'elle marchait pour se rendre aux bureaux où elle travaillait. Le vent porteur d'un froid mordant lui agressait le visage à chaque pas.
Une fois sur son lieu de travail, elle salua Béthanie et Morgane, l'assistante personnelle de Patron, qui étaient déjà présentes, puis elle se réinstalla derrière son ordinateur. Djamila et Ewen ne tardèrent pas à rejoindre leurs collègues. Tout le monde était présent.
Alors que les quatre détectives prenaient une pause-café – chocolat pour Maggie – bien méritée, Patron fit son apparition dans l'open-space. Il avait le visage grave, annonciateur d'une enquête future.
« —Un cadavre a été retrouvé ce matin, lança-t-il sans préambule.
—Où ça ? questionna Béthanie qui ne cachait pas sa frustration d'avoir aussi peu d'informations d'une traite.
—Près d'un point de rassemblement des ordures ménagères, rue aux Ours.
—On sait qui c'est ? enchaîna Maggie.
—Il s'agirait d'une prostituée, une habituée de la sulfureuse rue aux Ours. »
Djamila releva vivement la tête, puis elle reprit tout aussi rapidement une attitude détachée, l'air de rien.
« —On a son identité ? insista Maggie, un œil tourné vers sa collègue afin de guetter ses intrigantes réactions.
—Janice Brun, dite « Jane » dans son milieu. »
Léger soupir de soulagement pour Djamila, à peine perceptible, sauf pour Maggie.
« —On est missionnés, c'est ça ? demanda Ewen.
—Non. Et, étant donné le statut social de la victime, je pense que les autorités vont tout faire pour étouffer l'histoire.
—Alors pourquoi venir nous en parler ainsi ? s'intéressa Béthanie.
—Parce que ce crime est assez... singulier. Je pense que le meurtrier ne va pas s'arrêter là. Le lieutenant Messant est du même avis.
—Est-ce que vous pouvez nous donner toutes les informations d'un coup plutôt que de faire durer un insupportable suspens s'il vous plaît ? s'agaça Ewen.
—Ewen, il va falloir retravailler ta patience. Revenons à notre cadavre. Elle était habillée de sa tenue de travail remise à la va-vite. Le meurtrier l'a éviscérée. On n'a pas encore retrouvé les organes manquants, et nous ne savons même pas encore ce qui manque exactement. C'est Bastien qui fera l'autopsie, mais on lui a déjà dit qu'il ne s'agit pas d'une affaire prioritaire.
—C'est le vol d'organes qui vous fait penser à un tueur en série ? demanda Ewen plus calme. Vous pensez à un trafic ?
—Pas vraiment. En fait, le tueur a laissé, agrafé au soutien-gorge de la victime, sa carte de visite. »
Stupéfaction au sein de l'équipe de détectives. Même Morgane, installée un peu à l'écart derrière son ordinateur, s'arrêta de taper et releva les yeux en direction du petit groupe.
« —Mais du coup on sait qui c'est ? manqua de s'étouffer Ewen avec sa gorgée de café avalée au mauvais moment.
—Parfois j'ai l'impression que tu le fais exprès de ne pas réfléchir, soupira Patron. Il n'a, bien sûr, pas écrit son nom sur la carte mais un pseudonyme.
—Quel est-il ? interrogea Béthanie toute ouïe.
—Black Bird. »
Les quatre détectives étaient trop ébahis pour produire la moindre réaction. Un potentiel tueur en série qui signait ses meurtres. Chaque nouvelle enquête apportait son lot de surprises. Et celle-ci était particulièrement glauque.
« —On sait si des meurtres similaires ont été commis ? demanda Béthanie.
—Aucun lien n'a été fait pour le moment, lui répondit Patron.
—Et ces organes, c'est forcément quelqu'un du milieu médical qui les a prélevés ?
—Pour le moment je ne peux pas vous répondre. Il faudra attendre que Bastien vous apporte ces réponses.
—On le saura bientôt si on est envoyés sur cette enquête ?
—J'espère que vous ne le serez jamais. Ça voudrait dire que je me suis trompé et qu'il ne s'agit pas d'un tueur en série. Sinon, il faudra attendre un meurtre ou deux de plus. Quand la presse se sera saisie de cette affaire et que la population commencera à céder à la panique, il y a de fortes chances que vous soyez missionnés pour résoudre ces meurtres.
—Donc on doit attendre ici bien sagement que d'autres personnes se fassent tuer et éviscérer, c'est ça ? s'indigna Djamila avec une vivacité qui lui ressemblait peu.
—J'ai bien peur de devoir te répondre « oui ».
—C'est aberrant. La société m'écœure.
—Et moi donc. »
Sur ces mots prononcés d'un ton particulièrement solennel, Patron quitta ses détectives indignés.
« —J'y crois pas, s'énerva franchement Djamila. On est au courant qu'un meurtrier court les rues de Jouville, qu'il va probablement frapper à nouveau, et on n'a pas le droit d'enquêter tant que ce n'est pas assez sensationnel pour les journalistes.
—Je suis sûre que Patron commence déjà à faire ses recherches de son côté, essaya de tempérer Béthanie.
—Et tout ça parce qu'elle n'est pas une femme importante aux yeux de la société, elle n'a pas le droit à une enquête digne de ce nom. Ça me fout la gerbe. Alors que si la société perdait toutes ses prostituées, je ne vous raconte pas l'état dans lequel elle serait, la société. C'est absolument dégueulasse !
—Calme-toi Djamila, ça ne fera pas avancer le schmilblick.
—Parce que vous vous en foutez tous de ces femmes ! Vous ne connaissez pas les conditions de vie déplorables dans lesquelles elles doivent vivre. Parce que la rue aux Ours, ce ne sont pas les poules de luxe qui vivent dans des hôtels particuliers entretenus par des vieux millionnaires qui ne savent plus quoi foutre de leur argent. Ce sont des pauvres femmes qui, pour la plupart, n'ont pas le choix que de vendre leur corps pour survivre. Vous connaissez le nombre d'étudiantes qui ont besoin de ce métier pour espérer un avenir meilleur ? La prochaine fois que vous irez à un procès, essayez seulement d'imaginer qui de l'avocate ou de la juge a eu besoin de se prostituer pour en arriver là. Croyez-moi que vous serez bien surpris de connaître la réponse.
—Je te sens particulièrement impliquée Djamila, es-tu sûre que ça va ?
—Je me bats pour défendre la cause féministe depuis mon plus jeune âge, et tu crois vraiment que je vais rester insensible face à ça ? Tu me déçois énormément Béthanie. Et toi aussi Maggie. Vous laissez faire les choses passivement.
—On ne va pas mettre notre nez sans autorisation dans une affaire de meurtre, lui répondit Maggie piquée au vif. Moi aussi ça m'exaspère de devoir attendre que d'autres personnes se fassent tuer pour pouvoir intervenir. Moi aussi je suis dégoûtée par la façon dont les prostituées sont traitées. Mais je prends sur moi et je ne me laisse pas envahir par mes émotions. C'est contre-productif. Et ne dis pas que je ne connais pas ce milieu. J'ai fait des séjours en foyers, j'en ai côtoyé des jeunes mineures qui allaient faire le tapin pour se payer leur came.
—Alors révolte-toi avec moi ! Merde à la fin ! On va secouer Raphaël pour qu'il nous le sorte cet article sensationnel. Et on va pouvoir se bouger. On a des vies à sauver !
—On ne sait même pas si c'est réellement un tueur en série.
—Honnêtement Maggie, tu ne penses pas que tous les éléments sont réunis pour que ça en soit un ?
—Si, tu as raison, on va appeler Raphaël. Maintenant va te passer de l'eau sur le visage, sort respirer un bon coup, et reviens quand tu seras calmée. Tu n'arriveras à rien dans cet état. »
De mauvaise grâce, Djamila écouta les conseils de son amie et sortit prendre un grand bol d'air. Pendant ce temps, Ewen contacta le journaliste, leur partenaire d'enquêtes. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Raphaël Potéo était assis dans l'open-space avec ses amis détectives.
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