Chapitre 17 : Rencontre avec Mariam

3 avril

   La matinée sembla longue aux détectives. Maggie avait eu l'autorisation de Djamila d'en parler à leurs deux autres compères. Alors qu'Ewen, Béthanie et Maggie crevaient d'envie d'en savoir plus à propos de l'histoire des deux sœurs, ils s'abstinrent par respect pour elles. Ils avaient bien compris que leur collègue, qui arborait une carapace faite de mauvaise humeur et de confiance en elle plus que gonflée, était en réalité très mal à l'aise.

    Lorsque l'après-midi arriva, ils grimpèrent tous les quatre dans une voiture de fonction conduite par Djamila qui les emmena jusqu'à l'habitation de sa sœur. Elle était située en périphérie de Jouville, et il s'agissait d'un petit pavillon individuel dans une banlieue résidentielle très calme, loin du tumulte de la grande ville.

    À peine Maggie avait mis les pieds dans ce quartier qu'elle s'y sentit déjà chez elle. Idéalement situé, à une quinzaine de minutes en voiture des bureaux, largement desservi par les transports en commun, et d'un calme apaisant, s'il fallait qu'elle achète un terrain quelque part, elle en était maintenant persuadée, ce serait ici. C'était décidé, ce soir, elle y emmènerait Alex.

   Distraite quelques instants, Maggie se remobilisa dans son enquête. Les détectives étaient arrivés devant le pas de la porte d'un pavillon très bien entretenu. Fébrile, Djamila frappa. Il ne s'écoula que quelques secondes avant que son sosie ne vienne leur ouvrir.

    Aucun doute, il s'agissait bel et bien de Mariam, la sœur de Djamila. Même yeux noirs au regard envoûtant, même bouche pulpeuse, même teint mat, même énergie, et mêmes cheveux noirs bouclés. Le jeu des 7 différentes pouvait commencer. Les cheveux de Mariam étaient très longs contrairement à ceux de Djamila qu'elle entretenait en un parfait carré toujours bien coupé. Autre différence, la sœur de la détective dégageait une aura de bonne humeur, caractéristique qui manquait cruellement à Djamila.

« —Bonjour à tous ! lança la maîtresse de maison joyeusement. Entrez, ne restez pas dans le froid. J'ai fait du thé et du café bien chauds, il y en aura pour tout le monde. »

   Mariam recula afin de laisser les détectives entrer dans sa maison. L'intérieur était meublé avec beaucoup de goût, directement inspiré par ses origines algériennes. Une odeur prononcée, mais agréable, d'épices flottait dans l'air. Le chauffage, sans doute poussé à son maximum, ajoutait à l'ambiance réconfortante de l'habitation.

    Djamila se dirigea très aisément vers un canapé en cuir et elle s'assit sur ce qui semblait être sa place attitrée. Les détectives furent conviés à faire de même par Mariam. Maggie et Béthanie prirent place sur le même canapé que leur collègue, tandis qu'Ewen s'assit à côté de la  maîtresse de maison, dans le second canapé de cuir qui meublait l'agréable salon.

    Les boissons chaudes étant déjà posées sur la petite table, attendant avec impatience d'être dégustées accompagnées de douceurs typiquement maghrébines, Mariam servit ses invités avant de se lancer :

« —Alors comme ça ma petite sœur vous a dévoilé un secret de famille, commença-t-elle malicieusement.

—C'est pour l'enquête, bougonna Djamila.

—Je sais bien. Qu'attendez-vous donc de moi ?

—Pour commencer, fit Béthanie en se rapprochant du bord du canapé afin de poser sa tasse de café bouillant, connaissez-vous les victimes ?

—Par pitié, vous êtes des amis de ma sœur, tutoyons-nous. Sinon, pour répondre à ta question, je connaissais effectivement la première victime. Jane.

—Il s'agit en réalité de Janice Brun.

—Je me suis doutée qu'elle utilisait un surnom. Nous faisons toutes ça.

—Donc c'était une collègue à toi ?

—Oui et non. Je ne me prostitue plus dans la rue aux Ours depuis quelques années maintenant. J'ai mon site internet avec d'autres filles. C'est beaucoup plus sûr loin de cette rue malfamée. En ce qui concerne Jane, je l'ai plutôt côtoyée en faisant mes tournées avec le truck. Je suis bénévole dans la rue aux Ours, pour l'association Sortez couverts. Nous tournons dans des rues telles que celle-ci avec un gros camion pour proposer gratuitement des dépistages, des examens gynécologiques, des préservatifs, et faire un peu de prévention. Nous commençons aussi à nous diversifier en abordant le thème de la drogue. 

—C'est une super initiative, bravo.

—J'ai eu la chance de ne pas faire de conneries en me prostituant, mais j'ai vu tellement de filles avoir la vie brisée à cause du manque d'informations et de suivi. Alors, quand j'ai eu une situation stable, que j'ai pu quitter la rue aux Ours, j'ai rejoint les bénévoles que je voyais passer régulièrement. »

   Silence respectueux troublé uniquement par un juron à peine étouffé d'Ewen qui venait de se brûler l'intérieur de la bouche avec son café.

« —Donc je vous disais que j'y ai rencontré Jane, reprit Mariam. Elle avait eu un rapport à risque il y a deux ou trois ans. Le salaud a retiré le préservatif pendant l'acte sans qu'elle ne s'en aperçoive. Et sans lui demander, bien entendu. Alors elle était venue se faire dépister. Négatif. Après ça, elle venait nous voir de temps en temps pour papoter. Si ça ne faisait pas partie de nos missions au début, ça l'est vite devenu. Elles ont besoin de parler. Il nous faudrait un psy dans l'équipe, si vous avez des contacts. »

   Les détectives hochèrent négativement la tête. Maggie en avait bien rencontré toute une armée, de psys, durant toute sa vie d'enfant placée, mais elle n'avait pas gardé de lien avec eux.

« —Pas grave, continua Mariam. On trouvera. Du coup, que voulez-vous savoir à propos de Jane ?

—Tout ce que tu peux nous dire, lui répondit Béthanie.

—C'était une pauvre femme, prise au piège dans une vie de merde si vous me permettez l'expression. Elle est tombée dedans à cause de gens peu recommandables, et n'a jamais pu s'en sortir. Son entourage a fini par le savoir et son père l'a complètement rejetée. Sa mère n'a pas pu faire grand-chose, c'était une femme soumise apparemment. Et ses sœurs ne l'ont pas rejetée, mais elles l'ignorent, confortablement installées dans leurs jolies petites vies.

  « Elle était très seule. Sa meilleure amie, une autre prostituée du surnom de Little Doll et du nom que j'ignore, n'était pas tendre avec elle. Jane s'accrochait à cette relation mais elle voyait bien que Litlle Doll restait amie avec elle uniquement parce que Jane rapportait beaucoup plus d'argent qu'elle, lui permettant ainsi de ne pas être à la rue. Je ne sais pas ce qu'il va advenir d'elle maintenant. Elle va sûrement se trouver une autre pauvre fille qui l'entretiendra à la place de Jane.

   « Jane avait des rêves. Elle rêvait qu'elle allait trouver le bonheur dans les bras d'un homme qui la tirerait de là et qu'elle pourrait enfin avoir la même vie que ses sœurs. Elle avait de grands projets comme achever son CAP abandonné il y a 10 ans, et ouvrir son salon de coiffure en centre-ville. Je crois d'ailleurs qu'elle était en train de le réaliser. Lors de ma dernière visite, elle m'a parlé d'un homme.

—Qu'a-t-elle dit à propos de cet homme ? demanda précipitamment Béthanie.

—Pas grand-chose. Elle m'a dit que c'était un régulier qui s'intéressait beaucoup à sa vie, à sa profession, et à la rue aux Ours. Elle ne m'a jamais dit son nom et ne me l'a pas décrit non plus. C'est lui ?

—Pour le moment on ne peut rien affirmer, mais certains faits commencent à être un peu gros pour être de simples coïncidences.

—Je vois. Je vous ai dit tout ce que je savais à propos de Jane. Vous voulez savoir autre chose ?

—Tu ne connaissais pas les deux autres victimes ? La dernière s'appelait Éléonore Manchevin, ou Miss Léo.

—Ce nom ne me dit rien.

—Et la seconde ? Nous ne l'avons pas encore identifiée, tu as entendu des choses sur la potentielle disparition de l'une d'elles ?

—Quand a-t-elle été tuée ?

—Le 20 février dernier. »

   Mariam se cala dans le fond de son canapé et se mit à réfléchir intensément. Elle tentait de regrouper ses souvenirs pour aider au mieux sa sœur et ses amis dans leur enquête. Lorsqu'elle fut sûre d'elle, elle se redressa et lança :

« —Je crois avoir effectivement entendu des choses... bizarres... pendant cette période. »

   Les quatre détectives se rapprochèrent de Mariam sans s'en rendre compte. C'est le fil invisible de la curiosité qui faisait d'eux des pantins.

« —Nous sommes justement passés avec le camion le 19 février. Nastya, une jeune russe, est venue nous voir. Elle ne voulait pas de préservatif ou de consultation gynécologique, et encore moins un flyer de prévention. Son discours était décousu, sans parler du français qu'elle ne maîtrisait pas bien du tout.

   « Si j'ai bien saisi ce qu'elle a dit, c'est qu'une compatriote avec qui elle travaillait dans la rue aux Ours n'avait plus donné signe de vie depuis le début de la soirée alors qu'elles devaient faire une passe à deux avec un très gros client peu de temps après. Elle a pris des risques pour venir nous voir car elle dépend d'un mac. Les proxénètes ne laissent pas leurs victimes nous approcher. Depuis, nous ne l'avons plus jamais revue.

—Ça pourrait expliquer pourquoi personne ne l'a déclarée portée disparue, fit Béthanie. Si c'était une clandestine russe, elle n'a probablement pas de famille en France, et son amie ne peut pas prendre le risque d'aller au commissariat sous peine de se faire renvoyer en Russie. Ou pire, de se faire tuer par son proxénète.

—Exactement, affirma Mariam.

—Tu ne sais pas si quelqu'un d'autre pourrait l'identifier ?

—Je l'ignore. Mais très franchement, je pense que vous devriez abandonner l'idée. »

   Silence, consterné cette fois. La femme qui reposait anonymement à la morgue avait sûrement une famille qui l'aimait quelque part en Russie et qui attendrait indéfiniment son retour. Ils l'attendraient pendant des mois, voire des années, avant de se résigner en pensant qu'elle les avait abandonnés pour une vie meilleure. Quelle tristesse...

   Béthanie reprit la parole pour poursuivre son interrogatoire :

« —Mariam ?

—Oui ?

—Connais-tu un homme qui se fait appeler Black Bird ?

—Non. Ce surnom ne me dit rien. Après, je ne connais que très peu les macs. Ça ne m'étonnerait pas que l'un d'entre eux se fasse appeler comme ça. Mais ce serait quand même super con de signer ses meurtres avec son nom professionnel. C'est, selon moi, trop facilement retrouvable quand on a des moyens comme ceux de la police.

—On ne sait jamais.

—Vous avez raison de vous poser la question.  Mais non, je ne peux pas vous aider à ce sujet. »

   Les détectives n'avaient plus de questions à poser. Ils remercièrent chaleureusement Mariam pour sa participation, le café et les pâtisseries, puis allaient prendre congé, quand Maggie prit la parole :

« —Quand retournez-vous à la rue aux Ours avec le camion ?

—Bougez pas, je vais chercher mon agenda. »

   Mariam disparut derrière une porte avant de refaire son apparition quelques secondes plus tard, un agenda très girly à la main. Elle se mit à le feuilleter avant de finalement lâcher :

« —Nous y retournons dans 12 jours.

—Je peux être de la partie ? demanda Maggie.

—Bien sûr. Je me sens même bête de ne pas l'avoir proposé plus tôt. D'autres veulent se joindre à nous ?

—Je pense qu'il ne faut pas que nous venions en nombre, réfléchit tout haut Béthanie. Cela éveillerait davantage les soupçons que si nous envoyons Maggie seule. Ça te va toujours Maggie ?

—Oui, aucun souci. Je serai vos yeux, vos oreilles et votre cerveau le temps de cette soirée.

—Parfait ! lança joyeusement Béthanie.

—Super, renchérit Mariam. Je te propose que nous nous retrouvions ici le 15 avril à 17h30. Les copains viennent me chercher à 18h, ça me laisse donc une demi-heure pour te briefer un peu. 

—On fait comme ça alors. »

   Cette fois, les détectives quittèrent vraiment Mariam. Ils retournèrent aux bureaux et firent leur compte-rendu à Patron qui approuva l'idée de Maggie.

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