Chapitre 16 : Djamila parle

2 avril

   Depuis leur rencontre avec Nicolas Lancier, le journaliste et collègue de Raphaël, l'enquête n'avait pas avancé. Les détectives tournaient en rond. Et ils étaient confrontés à un mur de taille : une communauté recluse sur elle-même, verrouillée de l'intérieur. Ils n'avaient pas accès aux habitués de la rue aux Ours. Et, tant qu'il leur sera impossible de les approcher, ils ne pourraient pas avancer.

   Depuis plusieurs jours déjà, les détectives se creusaient la tête pour savoir comment infiltrer la tristement célèbre rue aux Ours. Plus le temps passait, plus le stress augmentait. Black Bird n'avait pas tué depuis un certain temps, il pouvait à nouveau frapper d'un moment à l'autre. Il fallait maintenant agir, et vite.

   Sans parler de la pression populaire. La petite équipe de détectives avait la chance d'être protégée par le secret. La presse et les médias ignoraient qu'ils travaillaient sur l'affaire. Seul Nicolas était au courant, mais il avait promis de ne rien dire. Pourtant, ils se sentaient malgré tout pressés par les citoyens, et notamment les habitants de Jouville. Les articles des différents journaux papiers et télévisés exploitaient au maximum le côté sordide de la situation afin de faire des meilleures ventes et audiences. En contrepartie, ils entretenaient la peur et la haine de leurs consommateurs.

   Au cours de la journée qui venait de s'écouler, ils avaient élaboré un plan. S'ils ne pouvaient pas approcher cette population, ils l'infiltreraient. Maggie jouerait le rôle d'une jeune prostituée, et Ewen sera un faux client. Béthanie ne sera pas loin pour assurer leur sécurité, tandis que Djamila les guidera à distance, avec son recul.

Bien sûr, c'était très risqué. Les nouvelles têtes de ce quartier ne passaient pas inaperçues. Il faudra être fins et faire preuve de patience avant d'avoir complètement intégré ce milieu. 

    D'autant plus qu'ils faisaient face à un problème de taille. Demain, ils soumettraient leur plan à Patron. Avant de le mettre à exécution, il faudra qu'il le valide, et ça, ce n'était pas certain du tout. Il ne voudrait pas faire courir le moindre risque mortel à ses détectives. Faire passer l'une d'entre eux pour une prostituée alors qu'un tueur de prostituées était en liberté, c'était lui faire prendre de gros risques. Il leur faudrait être convaincants.

    Au moment de rentrer chez eux, Maggie eut une idée. Ils avaient peut-être un autre moyen d'approcher la rue aux Ours sans utiliser leur stratagème bancal. Ce moyen, c'était Djamila. Alors, elle se mit à la suivre discrètement jusque chez elle.

   Une fois sa collègue rentrée dans son immeuble, Maggie attendit encore un peu qu'elle s'installe avant de sonner à l'interphone. Djamila répondit quasi instantanément.

« —Oui ? demanda une voix inquisitrice à l'autre bout de l'appareil.

—C'est Maggie, l'en informa la jeune détective. Il faut que je te parle.

—On passe déjà nos journées ensemble, ça peut attendre demain plutôt que de venir me casser les pieds chez moi ?

—J'ai besoin de te parler à toi, et à toi seule. Aux bureaux, c'est trop compliqué de s'isoler.

—Je n'ai pas que ça à faire Maggie, je dois ressortir ce soir.

—Tu préfères peut-être qu'une nouvelle prostituée soit tuée en faisant l'autruche ? »

   Silence au bout de l'appareil, puis le déclic d'ouverture de la porte d'entrée de l'immeuble se fit entendre. Maggie s'y engouffra et se rendit au pas de course jusqu'à l'appartement de sa collègue. Elle frappa à la porte et dût attendre quelques minutes avant que Djamila ne vienne lui ouvrir. C'est de mauvaise grâce qu'elle s'exécuta.

« —Ne t'attends pas à être reçue avec le thé, les petits biscuits, et le sourire, l'informa d'emblée son hôtesse.

—Je n'ai pas besoin de tout ça, juste de te parler.

—Oui, oui, j'ai bien compris, entre. »

   Djamila s'effaça pour laisser passer sa collègue, et elle lui désigna son salon afin qu'elles s'y installent. Maggie s'assit dans un pouf, Djamila sur un autre. Ils étaient bien plus confortables que son canapé flambant neuf.

« —Je t'écoute, l'incita la maîtresse de maison.

—Il faut que tu nous fasses entrer dans la rue aux Ours, lança Maggie sans préambule.

—On a passé la journée à élaborer un plan pour ça.

—Ne fais pas l'imbécile, tu comprends parfaitement ce que je veux dire. J'ai bien vu que tu t'inquiétais à chaque nouveau cadavre découvert. Qui est cette personne que tu connais et qui y travaille ? »

  Silence. Djamila ne laissait rien paraître d'autre que de la colère.

« —Si tu ne coopères pas, poursuivit Maggie, cette personne pourrait être la prochaine. Je ne viens pas te faire chier comme tu as l'air de le penser, je suis là pour éviter qu'un autre cadavre soit retrouvé prochainement au milieu d'ordures. En te taisant, tu nous mets des bâtons dans les roues et tu les mets en danger. »

   Silence. Cette fois, le visage de la détective perdit de sa fureur pour laisser place au doute. 

« —De quoi as-tu peur ? questionna Maggie. Je peux te dire de quoi moi j'ai peur. J'ai peur qu'on ait bientôt une autre victime.

—Ma sœur. »

   Elle avait lâché ces deux mots tel un automate, le regard dans le vide. Elle leva alors son regard vers sa collègue afin d'évaluer sa réaction. Maggie s'appliqua à cacher sa surprise et à rester la plus neutre possible pour ne pas braquer son amie qui se livrait enfin.

« —Oui ? l'incita Maggie à poursuivre.

—C'est ma sœur qui se prostitue. Ma grande sœur. Mariam.

—Merci de t'être livrée.

—Je ne l'ai pas fait pour toi, mais pour la protéger, elle. 

—J'en ai bien conscience. Mais je te remercie quand même de m'accorder ta confiance. Est-ce que tu penses qu'elle pourrait nous aider ?

—Si je le lui demande, elle le fera avec plaisir. Elle a le cœur sur la main.

—Quand est-ce qu'on pourra aller la voir ?

—Dès demain après-midi. Elle travaille de nuit et le matin elle se repose. Je vous conduirai jusqu'à elle. Mais surtout Maggie, surtout ! Ne la mettez pas en danger. C'est tout ce que je vous demande.

—Je te le promets.

—Maintenant pars, rentre chez toi et laisse-moi tranquille s'il te plaît. »

  Maggie remercia une dernière fois sa collègue dont le doute avait laissé la place à la tristesse. Une tristesse qui appartenait à son histoire. Une tristesse qu'elle ne partagera pas avec sa collègue, par pudeur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top