Chapitre 10 : L'interrogatoire des parents d'Éléonore
Madeleine et Pierre Manchevin vivaient dans un pavillon bourgeois à une petite heure de route de Jouville. Un magnifique labrador accueillit les détectives avec de furieux aboiements. C'est une petite femme à l'allure aussi bourgeoise que sa maison qui vint ouvrir le portail aux détectives et maîtriser le chien de garde en l'attachant à une laisse coincée dans un piquet enterré un peu plus loin dans le jardin.
Béthanie se présenta, ainsi que sa collègue, puis elles furent invitées à entrer dans la maison. C'était Madeleine Manchevin en personne qui était venue leur ouvrir. Elle avait les yeux rougis par les pleurs.
Pierre Manchevin, son mari, était assis dans le canapé, amorphe. L'élégant quinquagénaire ne cessait de pleurer sans un bruit ni un mouvement, tel un automate. Lorsque sa femme l'appela pour qu'il se joigne à elles autour de la table de la salle à manger, il s'exécuta mécaniquement.
« —Veuillez excuser mon mari, fit honteusement Madeleine Manchevin. Il est encore sous le choc de tout ce qu'il vient d'apprendre.
—Pas de souci, lui répondit doucement Béthanie tandis que Djamila sortait tout son attirail à prise de notes. Nous avons l'habitude. Et vous, comment vous sentez-vous ?
—Je... je ne sais pas si je réalise vraiment. Tout ça est si... si... particulier. Mon mari l'a vue lui, il n'a pas voulu que je vienne, et regardez dans quel état il est maintenant... Et ma grande aussi l'a vue, mais elle a bien plus de ressources que nous... »
La maîtresse de maison pleura silencieusement, puis elle se reprit rapidement. Après avoir obtenu son feu vert, Béthanie démarra l'interrogatoire :
« —Parlez-nous un peu d'Éléonore s'il vous plaît.
—C'était une belle jeune femme, très intelligente. Après avoir eu un bac ES mention « très bien », elle est entrée à la fac de Jouville pour suivre un cursus en sociologie. Nous étions très fiers d'elle. Elle a validé sa licence haut-la-main, avec mention, et elle a eu sa place en master. À partir de là, tout ce que je sais d'elle est basé sur le mensonge. »
Madeleine se remit à pleurer, plus bruyamment cette fois. Toujours aussi mécaniquement, son mari lui passa sa main dans le dos.
La maison était décorée avec beaucoup de goût et de modernité, à la pointe des tendances actuelles. Des photos de famille trônaient fièrement dans toute la pièce à vivre. Deux magnifiques enfants, puis adolescentes, puis jeunes adultes prenaient régulièrement la pause avec beaucoup d'aisance. C'étaient sûrement les deux sœurs, songea Béthanie en analysant les photos une à une en attendant que Madeleine Manchevin arrive à se calmer. Lorsque ce fut chose faite, l'interrogatoire reprit :
« —Qu'imaginiez-vous de la vie de votre fille avant ce jour ?
—Je pensais qu'elle continuait à suivre ses cours à la fac, qu'elle allait passer son diplôme en fin d'année. Une vie classique, comme celle que sa sœur a eue. Elles étaient vraiment très proches. Elles l'ont toujours été. Nous avions peur qu'Éléonore vive dans l'ombre de sa sœur qui nous rendait si fiers. C'est une brillante ingénieure commerciale. Mais sa sœur n'est pas en reste et a réussi, elle aussi, à briller dans ce qu'elle fait. Enfin... C'est ce que nous pensions.
« Finalement, elle a choisi une toute autre vie. Apparemment, selon Vic, elle se plaisait énormément dans sa vie cachée. Je pense que c'est à cause de nous tout ça. Je pense que nous avons placé la barre trop haute, et qu'à cause de nous, elle n'a jamais osé nous en parler et s'est mise inutilement en danger. J'ai vraiment l'impression d'avoir tué notre fille... »
Cette fois, Madeleine Manchevin s'effondra pour de bon. De gros sanglots secouèrent tout son corps. La situation redonna une âme à Pierre Manchevin qui vint enlacer tendrement sa femme.
« —Jamais nous n'aurions renié notre fille, dit enfin leur hôte. Elle aurait dû nous le dire qu'elle avait choisi une autre voie. Bien sûr, nous aurions eu du mal à l'accepter, mais nous aurions fini par le faire. À cause de ça, nous n'avons pas pu la protéger. Je m'en veux énormément.
—Vous n'y êtes pour rien, tenta de le rassurer Béthanie. On ne sait pas ce qui se serait passé s'il en avait été autrement. L'important maintenant, c'est de trouver celui qui a fait ça pour qu'il soit puni.
—Qu'importe sa punition, ça ne nous ramènera pas notre fille. Tout ce que nous voulons maintenant, c'est que vous le retrouviez pour l'empêcher de faire subir ça à d'autres jeunes femmes, à d'autres familles.
—Nous y arriverons. Afin de nous y aider, avez-vous d'autres informations à nous communiquer concernant votre fille et qui pourraient nous guider ?
—Comme vous l'a déjà dit ma femme tout à l'heure, tout ce que nous savions sur notre fille ces deux dernières années n'était basé que sur du mensonge.
—Vous n'avez pas décelé un changement de comportement chez elle dernièrement ? De nouvelles relations ?
—Non, Éléonore était fidèle à elle-même : toujours très positive et pleine de vie.
—Elle n'avait pas de petit-ami ?
—Pas à notre connaissance.
—Un ou une meilleur.e amie ?
—C'était sa sœur sa meilleure amie. »
À partir de cet instant, l'interrogatoire tourna en rond. Monsieur et Madame Manchevin n'avaient plus rien à apprendre aux détectives. En fait, ils constataient surtout avec beaucoup d'amertume qu'ils ne connaissaient pas vraiment leur fille. Béthanie et Djamila prirent finalement congés de leurs hôtes et retournèrent aux bureaux retrouver leurs collègues afin de faire le point sur leurs interrogatoires.
« —On a donc encore un prince charmant dans cette histoire, soupira Béthanie après avoir entendu le récit de ses collègues.
—Oui, lui répondit Maggie. Maintenant, reste à savoir s'il s'agit du meurtrier en personne ou d'un rabatteur.
—En tout cas, ses parents ne nous ont rien appris à ce sujet. Elle n'a pas dû l'aborder avec eux.
—Et sa sœur n'en sait pas beaucoup plus. Il est redoutablement discret.
—On sait pourtant quelque chose d'important sur lui, remarqua fièrement Ewen. »
Les trois femmes se tournèrent vers lui, très intéressées par ce qu'il avait à dire.
« —Il peut se promener aisément dans la rue aux Ours sans être remarqué, poursuivit le détective. D'autant plus qu'il promenait des cadavres avec lui.
—Bonne remarque, lui répondit Béthanie. Mais les hommes sont légion dans cette rue. Et les femmes aussi. Même les excentriques y sont banalisés. En revanche, maintenant que tu l'as soulevé, je ne pense pas que la personne transportant les corps soit une femme, mais plutôt un homme avec une bonne condition physique. Un corps inerte, c'est lourd.
—On a peut-être un sbire qui attire les femmes et qui s'en débarrasse une fois le forfait commis par le cerveau.
—Pour l'instant on a seulement la piste d'un homme qui drague ces femmes avant qu'elles soient tuées. On ne peut rien conclure de plus. »
Moment de consternation au sein de l'équipe de détectives. Ils avaient trois cadavres sur les bras mais n'avaient presque aucune information sur leur tueur.
« —Et à propos des organes ? hasarda Ewen. Qu'est-ce que ça peut nous apporter de plus ?
—Tellement de choses... soupira Béthanie. Comme nous l'a appris Bastien, ce n'est pas forcément un chirurgien qui a fait le coup. On n'a donc pas plus d'indices de ce côté. »
Les détectives n'avancèrent pas plus sur l'enquête. La journée se termina ainsi. Avant de rentrer chez eux, Maggie et Ewen proposèrent d'aller interroger les personnes travaillant dans la même boutique que Janice Brun.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top