Chapitre 53
Quand se débattre ne servait à rien, pourquoi continuait-on à se battre ? Bien plus avisé que moi était celui qui le savait. Qui pouvait trouver une réponse aisée à ce qui nous faisait continuer à lutter. Tout était perdu, nous étions aveuglés et désemparés et pourtant nous tentions encore, nous voulions encore même si la sagesse le disait, toutes les batailles devaient être dosées. Il fallait choisir quand se battre et quand abandonner et entravée comme je l'étais je n'aurais pas dû me démener. Agiter mes bras et mes jambes comme je le faisais alors que j'étais à la merci des hommes qui me guidaient.
Je sentais leurs doigts s'enfoncer dans mes bras, leur force cruelle me traînait quand je refusais de marcher. Je les entendais ricaner et baragouiner et ma vulnérabilité me donnait envie de crier. J'étais à leur merci comme à mes cinq ans dans la voiture de mes parents. Tant de temps était passé, tant de décisions et d'actions avaient coulé dans le fleuve des années et pourtant en cet instant rien ne semblait avoir changé. Alors que j'avais voulu me doter de force et de liberté, je me retrouvais aussi démunie qu'un enfant qui ne contrôlait rien à sa vie. Tout m'échappait et une révolte familière se propageait dans mon être, se répandant dans mes veines et mon sang, l'alimentant et le contaminant. Je voulais les faire souffrir, je désirais les voir brûler dans les flammes du bûcher qu'ils avaient préparé pour nous blesser.
La torture, le mal, ils étaient en cet instant des compagnons privilégiés de mon tourment et je le réalisais avec trop d'acuité, c'était l'impuissance qui appelait le désir de vengeance. L'incapacité à faire payer la peine qui nous avait été causée. Une souffrance qui n'en été que plus cruelle car elle provenait de la volonté humaine. Elle avait été alimentée par l'avidité, par une âme qui s'était nourrie de nos peines et dont on voulait désormais se rassasier des siennes. Lui montrer que si nos tourments n'avaient jamais existé, les siens non plus ne seraient jamais devenus réalité et que la justice n'avait parfois pas besoin de ciel et de lois juste d'une plaie qui n'avait pas cicatrisé et qu'on voulait partager. Notre sang coulait en silence, pourquoi le leur ne le pouvait-il pas également ? Pourquoi le couteau qui était planté dans notre poitrine ne pouvait pas se retourner contre celui qui l'y avait mis ? Faire souffrir, se venger et faire payer, c'était être terriblement lié, je le constatais aujourd'hui plus que jamais.
J'avais voulu que la vengeance devienne indépendante de ma volonté et j'avais presque cru qu'elle y était arrivée, qu'elle avait quitté mon âme pour réaliser par elle-même mes souhaits. J'avais cru que sous quelques semaines, les Flores auraient été de l'histoire ancienne et que seule la paix aurait habité ma destinée. Était-ce de la naïveté ou de la crédulité ? Étais-je innocente ou bête ? Je n'en savais rien mais une chose était sûre quand tout s'arrêté et que le monde vacillait, il fallait peut-être simplement respirer pour tout recommencer alors je laissais l'air entrer et donner une vie à ce qui devait continuer. Ma cagoule m'être retirée pour laisser apparaître le visage vieilli de l'assassin de mes parents. Nous étions dans un hangar de la fondation, un espace de stockage reculé dans lequel il pourrait aisément m'assassiner.
— Tu ressembles tellement à ta mère dit-il avec un air étrange de fascination. Cela ne m'étonne pas que tu aies réussi à séduire cet idiot de Mateo Perez.
— Un idiot grâce auquel vous avez perdu la moitié de votre territoire. Qui a réussi à vous mettre à genoux devant lui alors si c'est cela que vous appelez du nom d'idiotie, je veux bien être idiote chaque jour de ma vie.
— Elle a la langue bien pendue, peut-être faudrait-il la lui couper.
— Je veux bien vous voir essayer répondis-je en lui crachant au visage.
J'aurais dû le faire il y a vingt ans, mais qu'importait le temps quand on avait maintenant. C'était peut-être le dernier moment que je vivais mais au moins je n'aurais pas à le regretter, au moins je pourrais me dire que je n'avais pas flanché.
— Petite garce m'insulta à des hommes de main du père Flores avant de me donner un coup si vif dans l'abdomen que j'en eus le souffle coupé.
— Et qui t'a dit de la toucher ?
— Elle vous a insulté patron.
— Tu sais bien que je ne bats pas les femmes. Si tu recommences à défier mes lois tu perdras tes jambes et tes bras.
— Vous ne battez pas les femmes, dis-je dans un souffle de voix dont je me félicitais de la haine et du dégoût dont il était rempli, mais vous les tuez n'est-ce-pas ?
— En effet, répondit-il en affichant un affreux sourire.
— Alors tuez-moi. Finissez ce que vous avez commencé.
— Si digne et courageuse. Je regrette presque de devoir te tuer, murmura-t-il en pressant contre ma tempe le canon de son pistolet.
J'allais mourir et j'aurais dû pleurer, crier et supplier, mais tout ce qui m'importait était d'être la digne fille de mes parents, de faire honneur à mon nom et mon sang jusqu'au dernier instant. Il pouvait me tuer, il n'aurait pas la satisfaction de me voir m'écrouler. Il ne me rabaisserait jamais.
— Allez-y patron. Tuez là, dit l'un de ses hommes en le voyant continuer à hésiter, considérant visiblement que ma vie n'avait pas tant d'importance, qu'elle ne valait pas toutes ses tergiversations et ses hésitations.
— Tu ne la tueras pas, dit alors une voix à la fois familière et étrangère, pendant que la porte de l'entrepôt s'entrebâillait et que le visage de l'inspecteur Flores apparaissait. Cet homme qui ne voulait rien dire pour moi mais qui depuis quelque temps était toujours là.
Dans les pires instants de ma vie, il m'avait tendu la main. Il m'avait protégé, cherché à aller plus loin que ce que je montrais, mais pourquoi l'avait-il fait ? Son père avait tué mes parents, nos clans étaient opposés, nous étions des ennemis de coeur et de sang. Nous étions opposés et pourtant il vint se placer entre moi et mes assaillants, effrayant la mort pendant un instant.
— Tu ne la toucheras pas, elle est à moi, dit-il avec possessivité et agressivité.
— À toi, répéta son père d'un ton narquois. Tu n'as jamais voulu la moindre femme auparavant et maintenant tu veux celle-ci ?
— Je ne vois pas où est le mal là-dedans. Cela n'est pas différent de toi et maman.
— Alors cela veut dire que tu es prêt à l'enfermer et l'attacher. À la priver de chaque fragment de sa liberté. Dresser une femme comme elle ne sera pas facile mon fils. Tu devras la briser et oublier tes idéaux de justicier.
— Cela m'est égal.
— Vraiment et que fais-tu de tes règles ?
— Toute règle à son exception, elle sera la mienne.
— Non, je ne serais l'exception de personne et certainement pas la vôtre. Laissez-les me tuer. Si c'est le prix à payer pour les détruire à jamais, je le paierais. Laissez-les finir ce qu'ils ont commencé dis-je d'un ton si déterminé qu'il sembla l'effrayer.
J'aurais dû avoir peur de mourir, être terrifiée de m'offrir ainsi en sacrifice, mais tout ce que je souhaitais était que la boucle soit bouclée. Les Flores devaient payer et si ma vie ne parvenait pas à les détruire à jamais, ma mort le ferait, car rien n'était plus fort qu'un symbole.Je n'étais pas suicidaire, mais après tout ce qui s'était passé , tout ce que ces gens m'avaient fait endurer, je ne pouvais renoncer. Il n'y avait désormais plus de temps pour le beau et le grand juste la noirceur d'un instant qui s'appelait maintenant. D'une obscurité qui me poursuivait depuis longtemps, qui avait toujours été là, même si je ne le savais pas, même si je ne le voyais pas.
Tout ce avec quoi je vivais sans le savoir avait explosé dans un cauchemar et même si j'avais réussi pendant longtemps à le faire cohabiter avec tout ce qui était rêvé, à allier vengeance, courage et vérité, aujourd'hui il était temps de laisser la noirceur l'emporter et l'orage enfin éclater. De faire gronder le tonnerre et résonner les éclairs pour ne plus avoir à craindre le bruit de la pluie. J'avais tout à perdre mais tout était si difficile que je ne craignais plus aucune perte ou peut-être que ma fin me semblait d'une certaine manière moins cruelle que de voir m'échapper ceux que j'aimais. Peut-être était-ce ma manière à moi de protéger les miens, je n'en savais rien, mais j'étais certaine de ne pouvoir faire un pas en arrière.
— Allez-y continuais-je d'un ton provocant. Je ne suis plus la petite fille d'il y a vingt ans.
— Taisez-vous ! Taisez-vous donc, dit Mathias Flores en me ramenant un peu plus derrière lui, comme s'il craignait de voir le monde entier s'effondrait si un seul de mes cheveux ne s'échappait.
— Tu n'es pas en mesure de la gérer mon fils, maintenant écarte-toi et laisse-nous en finir. La demoiselle est digne, sois le aussi.
— Non.
— Inspecteur, murmurais-je doucement, je n'ai pas besoin de vous pour me protéger. Je vous l'ai déjà dit, il n'y a personne à sauver ici.
— Mais je vous sauverais quand même.
— Faites reculer mon fils ordonna alors le père Flores à ses hommes, pendant que Mathias souriait.
— Le premier qui bougera dit-il recevra une balle dans le bras. Essayez seulement de faire un pas.
— Tu aimes vraiment cette femmes dit moi mais cela ne change rien. Tu peux avoir le monde entier mais tu ne peux pas la posséder.
— Vraiment ? Alors essaye de me l'enlever pour voir ce que je suis capable de faire pour la garder.
Me garder, m'aimer, me posséder ? A quoi tout cela rimait puisqu'aucun lien ne nous unissait à part celui de la destinée. Il n'y avait pas entre lui et moi tout ce dont parlait si bien sa voix et pourtant à l'entendre s'exprimer on aurait pu croire que tout était vrai. Qu'il y avait quelque chose que j'ignorais sur le coeur de cet homme qui sans me connaître risquait tout pour me sauver. Il jouait la comédie, déblatérait des promesses enchantées par devoir et dignité, parce que ces grands principes exigeaient qu'il veille sur la veuve et l'orphelin et pourtant tout cela paraissait aller bien au-delà.
Peut-être étais-je narcissique, mais j'avais vraiment l'impression qu'il me chérissait d'une certaine façon et le voir tenir à ma vie alors que j'étais résolu à y renoncer, me toucha davantage que je l'avais imaginé.
— Inspecteur, murmurais-je en posant ma main sur son dos, absorbant sa force et sa chaleur. Tout ce que je ne connaissais pas de lui mais que je percevais tout de même en lui.
— Pas maintenant Elisabeth, me répondit-il doucement en continuant à veiller consciencieusement à me protéger.
Pas maintenant mais alors quand ? Comment se terminait un conte de fées ? Par le mot fin qui brillait en lettres dorées sur le papier ? Ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps et eurent beaucoup d'enfants ? Comme s'il était possible d'être heureux tout le temps et qu'un mot paisible au bout d'une page était capable d'effacer tout ce que l'histoire avait encore à donner. La vie du prince charmant avec une cendrillon qui n'était désormais plus vêtue de haillons. Les affaires du royaume, les intrigues du palais, les guerres et les successions, un univers qui s'écoulait au lieu d'être figé au dernier mot où le conte de fées l'arrêtait.
Il y avait toujours un autre temps derrière maintenant, mais il n'était pas toujours pour maintenant. Il était même parfois pour jamais demandant ainsi à notre esprit de continuer la belle au bois dormant et les aventures des nains et des forêts enchantées. De récréer une sorcière, d'imaginer l'endroit où la fin pourrait recommencer à être une chose qui existait et où Black and White Tale pourrait continuait à être. Dans un New-York enneigé qui portait les traces ensanglantées de ma virginité ou dans une San Francisco cruel et vrai où mon avenir m'attendait.
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