Chapitre 49

Cela faisait une semaine que j'étais sortie de l'hôpital... Sept jours dont je vous épargnerais les détails. La fatigue, les antibiotiques et l'attention constante de Seth et de mes frères. Il n'y avait rien de bien intéressant dans une rémission à part peut-être la manière dont j'étais soudain devenu un emblème pour notre organisation criminelle. Le fait d'avoir été visé faisant de moi un symbole et un danger. Une menace que les Flores voulaient éliminer pour se protéger et un coeur qu'on avait voulu enlever à ceux que j'aimais. On avait voulu priver notre clan de beauté et de sentiments et alors que j'avais l'impression qu'ils m'avaient brûlé les ailes, ils m'avaient en réalité autorisé à voler, car être craint, c'était être respecté ou du moins cela l'était dans l'univers que ma famille gouvernait.

J'avais passé l'épreuve du feu et j'avais atteint les cieux et pourtant j'avais l'étrange impression qu'on m'avait dépouillé des plumes qui me permettaient de voler. De toute l'insouciance que j'avais réussi à conserver et que quelques secondes dans une vie qui en contenait des milliers avaient fait s'évaporer. J'étais amère et en colère et ne parvenais pas à trouver un moyen de me délivrer de ce que je ressentais. Les antidouleurs soulageaient le corps mais pas le coeur. Ils faisaient disparaître la douleur physique mais n'ôtaient pas les souvenirs. Le bruit du coup de feu, la sensation que notre fin était arrivée avant notre début, qu'on devait mourir avant d'avoir vécu.

Le traumatisme de l'attaque était toujours là, mais au-delà il y avait une lassitude que je n'avais pas anticipée et que Seth semblait être déterminé à affronter. Bien qu'il m'ait ces derniers jours choyé, je sentais qu'il était temps pour lui que je me reprenne en main et que je ne me laisse pas emporter par les ombres qu'il discernait autour de moi. Il savait voir en moi, mais moi aussi je le connaissais bien et même si j'espérais qu'il laisserait mes sentiments là où ils étaient et me permettraient comme Noah et Carlos, de m'apitoyer encore un peu plus dans mon lit toute la journée, très vite il tira la sonnette d'alarme et la fit résonner de toutes ses forces près de mes tympans.

— Il est presque onze heures mon coeur. Il faut que nous te lavions et que nous reprenions des forces devant un bon petit déjeuner. Tu as besoin de te nourrir correctement, dit-il ce matin-là d'un ton doux en me caressant à travers les couvertures douillettes dans lesquelles j'étais lovée.

— Je n'en ai pas envie.

— De quoi n'as-tu pas envie Elisabeth. De manger ou de te laver ?

— Les deux.

— Tu ne peux pas rester allonger dans ton lit toute la journée à te lamenter.

— Et pourquoi pas ?

— Parce que tu as des devoirs envers toi-même et ta famille.

— Je n'ai pas envie d'entendre ces mots aujourd'hui.

— Et tu n'en auras pas plus envie demain, crois-moi. C'est pourquoi je te conseille de m'obéir. Lève-toi Elisabeth.

— Non.

— Non n'est pas une réponse que je tolère et tu le sais. Tu t'es assez apitoyée comme ça alors maintenant lève-toi.

— Sinon quoi ?

— Ne me tentes pas mon chaton. Tu sais ce dont je suis capable n'est-ce pas ?

— Non, répétais-je en le regardant droit dans les yeux.

— Comme tu voudras, dit-il en me soulevant si vite que je n'eus pas le temps de réaliser ce qui se passait.

— Qu'est-ce que tu fais ? dis-je alors qu'il me déposait sur le carrelage froid de la salle de bain.

— Si tu te comportes comme une petite fille qui fait un caprice, je te traiterai comme telle.

— Tu n'as pas le droit de...

— Pas le droit de quoi ? me coupa-t-il d'un ton ferme et calme à la fois. Te faire revenir à la raison ? T'empêcher de sombrer dans les recoins sombres de tout ce que ton esprit te raconte ?

— Et que vas-tu faire pour m'en empêcher. Me fesser ? M'attacher ? Me titiller ?

— J'aimerais bien mon chaton, mais tu n'as pas été assez sage pour tout cela.

— Vraiment ? dis-je d'un ton de défi, désirant plus que tout faire craquer son contrôle et sa détermination.

Je préférais en effet la passion et l'exaltation à cette calme introspection qu'il semblait vouloir m'imposer. À tout ce qui me forcerait à ne plus rien refouler de ce que je ressentais et qui était aussi effrayant que se jeter dans le vide.

— Ne t'inquiète pas Elisabeth, quand tu auras repris tes esprits, je suis sûre qu'une bonne fessée te fera du bien, mais en attendant tu n'auras pas le plaisir de jouir. Nous allons te déshabiller et te laver et puis nous irons manger et je pense que tu es assez rétablie pour te remettre à travailler.

— Travailler ? répétais-je comme si j'ignorais la signification de ce mot ou comme s'il parlait dans une langue oubliée du passé.

— Oui, dessiner, écrire. Ton bras droit n'a pas été touché, rien ne t'empêche de passer quelques heures à créer, dit-il en commençant à m'enlever mon pantalon et ma culotte sans que je ne parvienne à le repousser.

— Je ne veux pas, dis-je alors qu'il m'avait complètement déshabillé et qu'il commençait à ôter ses vêtements.

— Peu importe mon coeur... Tu n'arriveras pas à me repousser, je ne laisserais jamais personne te blesser toi y compris

— Tu as échoué. Ils m'ont déjà blessé, répondis-je d'un ton que j'aurais aimé plus maitrisé et posé et non si expressif et émotif, si représentatif de tout ce que je ressentais et que je ne voulais pas affronter, même si quelque chose me disait que Seth ne me laisserait désormais plus me replier sur moi-même.

— Et je les tuerais pour cela. Quand ils n'auront plus rien, ils perdront encore davantage. Quand tu auras ta vengeance je prendrais la mienne, mais pour l'instant je ne te laisserais pas te perdre.

— Laisse-moi dis-je en esquissant un mouvement vers la porte de la salle de bain alors qu'il m'immobilisait et que je luttais comme une forcenée.

Je ne savais pas si je me débattais contre moi-même ou contre lui et ce que je ressentais. J'ignorais si mes gestes désordonnés visaient à l'affronter ou à éradiquer toute la dualité qui m'habitait. La rage d'avoir été touchée, l'impuissance de n'avoir pu rendre chaque coup et chaque maux, d'être devenue la cible de ceux que je visais et une victime que je ne voulais pas incarner. Je n'étais pas faible et pourtant tout ce que je voyais autour de moi était de la faiblesse. Une vulnérabilité dont une phrase de Seth suffit à me délivrer, à me faire comprendre que pour être plus fort que la faiblesse, il fallait accepter qu'elle n'était pas une définition de nous-même. Ressentir tous les sentiments qu'on voulait fuir et pleurer pour se délivrer, pour faire s'échouer à nos pieds toute la tension des jours passés et des drames que nous avait donnés notre passé.

— Tu as le droit de ne pas aller bien Elisabeth. Tu as le droit d'être en colère et d'éprouver de la peine. Laisse tous sortir mon coeur, libère-toi complètement de ton désarroi. Je suis là pour toi.

Cela allait de ne pas aller. De jeter un instant le poids qui nous faisait ployer pour tout simplement exister. Le coeur et le corps pouvaient beaucoup encaisser. L'esprit contenait une infinité d'interrogations et de difficultés et au lieu de m'aider à les enfermer en moi, de les enfouir si profondément dans les limbes de mon âme que personne ne les verrait jamais, Seth les fit remonter à la surface. Les ramenant là où la lumière pouvait les toucher pour qu'ils soient purifiés et qu'enfin puissent se dissolver le chaos qui m'habitait. J'avais besoin de laisser tout éclater, alors après avoir pleuré, gémis et maudis, je posais mes lèvres sur les siennes dans un baiser à la fois tendre et passionné.

Il y avait une certaine forme d'agressivité dans la manière dont je l'embrassais aspirant ses lèvres, les mordillant jusqu'à boire son sang, jusqu'à sentir son goût dans ma bouche pendant que nos membres étaient si emmêlés que nos corps semblaient fusionnés. Nous étions tellement enchevêtrés que notre position oscillait entre une étreinte amoureuse et une lutte belle et heureuse. Un de ces anciens combats qui peuplaient le monde gréco-romain et lors desquelles il était difficile de dire si les personnes qui s'affrontaient étaient liées ou opposées, car soudain ces deux choses semblaient communier. L'amour était un combat et Seth me laissa me battre. Bouger furieusement les jambes, frapper son torse avec mon bras valide, laisser tout ce que je ressentais s'en aller dans un défoulement rempli d'honnêteté et de vérité.

Il me permit d'exister loin des conventions et des mots tout faits et puis il retrouva enfin la place qui était sienne, celle qu'il n'avait jamais vraiment quitté même si elle s'était pendant un instant effacée. Il me fit tomber sur le lit et me recouvrit et puis il n'y eut enfin que moi et lui. 

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