Chapitre 48
Se faire tirer dessus n'était pas un sort enviable ou du moins, après l'avoir expérimenté, j'étais incapable de vous le conseiller. La peur qui glaçait, le bruit fracassant des balles qui volaient et puis la douleur et l'odeur du sang. Le moment qui tournait dans votre esprit et vous étourdissait comme un cauchemar dont vous ne pouviez pas vous réveiller. La conscience et l'inconscience et ce qui oscillait entre ces deux opposés. Les constatations absurdes, les questions bêtes, ce qui était à soi sans pour autant faire partie de soi.
Tout ce qui était aussi improbable qu'un sort impensable à expérimenter et qu'on était pourtant en train d'embrasser. Je n'aurais jamais imaginé auparavant qu'il était à ce point possible de se sentir mourir, même si la logique me murmurait pourtant que cela n'avait rien d'étonnant. On opposait la mort et la vie, mais la mort n'était-elle pas simplement un instant de celle-ci ? Le dernier point au bout de la dernière phrase de son récit, mais un point qui en faisait partie, car sans lui rien ne pouvait être fini. La vie et la mort étaient intimement liées ou peut-être ne faisais-je que délirer ? La réalité semblait en effet trop absurde pour tenir sur ses pieds.
— Vous allez bien ? Répondez-moi mademoiselle Garcia, avez-vous été touchée ?
— Mademoiselle Garcia, répétais-je saisie par l'ironie de la situation.
On venait de vider le chargeur d'un pistolet pour m'assassiner, j'avais tellement mal que j'en avais la nausée et le fils de celui qui avait certainement dû commanditer mon meurtre essayait de me protéger et me parler avec le même formalisme que si nous étions tranquillement installés dans un salon raffiné. Un lieu pompeux où les mesdemoiselles et les messieurs décoraient autant que les couverts en argent. Si j'avais fermé les yeux, j'aurais presque pu me croire dans le restaurant d'un palace parisien, le problème était néanmoins qu'il n'y avait pas d'odeur de petits plats et que les sons que j'entendais autour de moi n'étaient pas ceux des serveurs et des conversations tamisés des invités, mais des cris apeurés de toutes les personnes qui nous entouraient.
— Elisabeth, entendis-je alors prononcer l'inspecteur pendant que mes forces m'abandonnaient et que la douleur s'éloignait pour que seul demeure le son de mon nom qui résonnait.
Elisabeth, Ellie, mon coeur, ma chérie, mi querida hermanita, la princesse des Garcia et puis quoi ? Qu'est-ce qui restait d'une vie ? Un nom sur une pierre tombale, la somme de nos choix ou la fatalité de notre destin ? Que restait-il après un être humain ? Un tout ou un rien ? Je ne le savais pas mais j'étais certaine qu'il pouvait y avoir quelque chose après la fin. On pouvait vivre dans les souvenirs, peupler les âmes et les coeurs, faire avancer les êtres, leur bonheur et leur douleur. On pouvait continuer à être, mais on ne pouvait plus rien avoir et j'aurai aimé continuer à avoir.
Prendre plus de la vie, mais aussi lui donner davantage. J'aurais adoré simplement continuer à exister, mais je sentais la vie s'éloigner et un vide étrange m'engloutir de la tête aux pieds. En un instant, je sombrais dans le néant, croyant ma fin être arrivée pour de bon et puis j'ouvris les yeux dans une chambre d'hôpital trop claire pour les yeux d'un malade.
— Où suis-je ? dis-je d'une voix affreusement rauque et pâteuse en essayant de faire en sorte que mes yeux perçoivent davantage que la lumière aveuglante de la chambre.
Au-delà d'une clarté de laboratoire, d'un lit médical et de la sensation d'être passée sous un train, je pouvais apercevoir le visage décomposé de Noah et la silhouette de Seth. Tout était calme et pourtant leur crispation disait tout le mal et la peine qui les avait baignés lors de mon plongeon dans l'obscurité.
— Tu es à l'hôpital ma chérie. Tu as été touchée et ils ont dû t'opérer pour retirer la balle.
— Comment ont-ils su que nous en avions après eux ?
— Nous avions une taupe ma chérie. Les Flores ont appris que nous allions les détruire et se sont mis en mouvement avant de nous laisser l'opportunité d'agir.
— Qui ?
— Cela n'a plus d'importance désormais. De sa tombe, il ne pourra plus jamais nous blesser.
— Et les Flores ?
— Une fois qu'ils auront tout perdu, je tuerai le vieil homme moi-même. Je lui donnerais une mort à la mesure de nos souffrances, lente et agonisante.
— Lente, répétais-je comme si ce mot prenait soudain une nouvelle dimension.
Tout cela était terrible et j'aurais dû me révolter contre les propos que mon frère tenait, contre la manière dont les choses avaient tourné, mais que pouvais-je bien dire quand cet issu collait si bien avec ma rage ? La vengeance avait son prix, je l'avais dit et répété, il était temps de l'assumer et que ma douleur me le rappelle n'était peut-être pas une peine. Il fallait accepter que qui se battait prenait le risque d'être blessé, une guerre n'étant jamais menée dans la paix.
— L'inspecteur commençais-je avant d'être interrompue par des éclats de voix dans les couloirs.
— Pour l'amour de Dieu, comment peut-on faire autant de raffut dans un hôpital se plaignit mon frère d'un ton exaspéré en allant voir qui contrevenait à notre paix.
Une femme au ton haut perché et puis la voix de Noah et une autre à la fois éloignée et familière que je ne tardais pas à identifier et que je ne reconnus pas avec plaisir et gaité.
— Comment allez-vous mademoiselle Garcia, dit l'inspecteur Flores en entrant dans la chambre pendant qu'une infirmière continuait à l'accuser de barbarisme et de sang gêne et qu'un homme qui devait être son coéquipier tentait de la calmer.
— Aussi bien que possible pour quelqu'un dans ma situation.
— Quelqu'un qui a besoin de repos insista la lionne en blouse blanche et si vous la fatiguez, je vous jure que j'aurais votre peau !
— Et nous nous la partagerons dit Noah en souriant avant de la raccompagner à la porte et de laisser le calme revenir tranquillement.
Il n'y avait pas de bruit et pourtant un brouhaha semblait d'une certaine manière résonner dans mon esprit. Une myriade de sentiments qui me poussait à vouloir prendre Mathias Flores à part et obtenir le pourquoi de chaque comment. À résoudre les questions qui se dissimulaient derrière toutes les autres, celles qui se tapissaient dans l'obscurité en pensant que celle-ci les doter d'invisibilité. Que ne pas être vu, c'était ne pas être connu et que personne ne demanderait au-delà du premier point d'interrogation qui se poserait sur le papier.
Je savais qui cet homme était, voilà où j'aurais dû m'arrêter mais je ne le voulais pas car je désirais aller plus loin. Un au-delà que je ne pouvais me permettre car il nécessitait de l'intimité pour s'exprimer et non une chambre d'hôpital encombrée. Il me fallait du calme et de l'énergie. Deux éléments bien loin d'être à ma portée en ce moment.
— J'aimerais vous poser quelques questions, dit-il d'un ton dont la douceur me braqua au lieu de me calmer.
— Et moi je n'ai aucune envie d'y répondre, alors je vous conseille de les adresser aux vôtres. Votre famille aura toutes les réponses que vous désirez entendre.
— Vous ne sous-entendez pas que...
— Interprétez mes propos de la manière qui vous plaît inspecteur, cela ne me regarde pas.
— Mais...
— Assez. C'est assez l'interrompis-je d'un ton sec, ne me sentant pas en mesure de supporter un mot de plus. Je me suis faites tirer dessus et je me dispenserais de subir un interrogatoire de votre part.
— Je ne pense pas que vous ayez le choix mademoiselle, rétorqua-t-il visiblement satisfait d'avoir pu faire une phrase complète.
— Vraiment et moi je pense que je l'ai et que vous devriez vous en allez avant que la morphine ne me fasse prononcer des choses que je regretterais.
— Ma fonction ne veut rien dire pour vous n'est-ce pas ? Vous pensez pouvoir me rabrouer comme vous l'avez fait au mariage de votre frère ?
— Je pense pouvoir utiliser les droits que possède tout citoyen. Porter une insigne ne fait pas de vous un juge et un jury et ne change pas votre nom de famille.
— Nous y voilà donc. Si vous n'étiez pas dans cet état, je vous aurais déjà conduite au poste pour outrage à agent.
— Faites-le inspecteur Flores, qu'est-ce qui vous en empêche ? Nous n'avons qu'à arracher ma perfusion et me jeter dans un fauteuil roulant. Ce n'est pas la mer à boire ou du moins ce n'est pas une mer qui arrête les gens de votre espèce.
— Ne me tentez pas mademoiselle.
— Et pourquoi pas ? dis-je saisie par un étrange sentiment de tristesse.
J'étais faible et fatiguée et en cet instant la vie semblait étonnamment lourde à porter. J'avais dans la bouche le goût amer de la peine et d'une absurdité que je ne savais pas comment formuler. La vie était tellement plus belle que tout ce que je vivais et pourtant cette beauté je ne pouvais la toucher. J'étais empêtrée dans une toile que j'avais moi-même tissée et alors que ma fierté retenait de justesse mon envie de pleurer, le policier qui accompagnait Mathias Flores m'évita que mes nerfs soient encore plus éprouvés qu'ils ne l'étaient.
— Calme-toi Mathias, tu étais si inquiet pour la demoiselle que tu ne tenais pas en place et maintenant tu te jettes sur elle comme un tigre qui passe à l'attaque. Ce n'est pas une bonne technique de drague ça mon ami.
— Je fais juste mon travail.
— Et je pense que vous l'avez assez fait pour aujourd'hui inspecteur intervint mon frère d'un ton qui sembla miraculeusement désamorcer la situation.
Noah avait en effet toujours eu non pas le don des mots mais celui du bon ton. Il avait l'art de dire les choses de la bonne manière, d'être à la fois engageant et ferme, sympathique et accommodant sans néanmoins perdre sa force de caractère.
Il savait comment prendre les gens, être sociable et bien élevé sans s'inventer un rôle artificiel et ses atouts qui lui avaient si bien servi au cours de sa vie lui servir encore aujourd'hui ou devrais-je plutôt dire nous servir.
— Bien sûr Monsieur Garcia, je ne vais pas vous importuner plus longtemps, tout ce que je souhaite est simplement que votre soeur puisse se rétablir rapidement.
— C'est ce que nous souhaitons tous inspecteur, dit-il en le raccompagnant à la porte pendant que nous échangions un dernier regard.
Il m'avait sauvé et il portait un nom de famille empoisonné, qu'avais-je de plus à ajouter ? Rien ou du moins c'était ce que je voulais mais dans la vie pouvait-on vraiment avoir tout ce qu'on désirait ou devait-on simplement prendre ce qu'on nous donnait ?
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