Chapitre 37
— Excusez-moi ?
— Epousez-moi.
— Vous ne me connaissez pas, comment pouvez-vous bien vouloir m'épouser ?
— Je vous vois et vous me plaisez. Cela me suffit. Vous êtes belle et intelligente et votre fortune et presque aussi importante que la mienne.
— Presque ? répétais-je en regardant mon frère.
— À quelques millions près, oui.
— Il va falloir y remédier alors.
— Vous voyez, dit-il en éclatant de rire, c'est pour cela que nous sommes faits l'un pour l'autre. Si vos frères vous donnaient à moi...
— Personne ne me donnera à personne. Je suis assez grande pour utiliser mes propres pieds pour marcher.
— Mais les utiliserez-vous ? Là est la question.
— Non, s'exclamèrent en coeur Seth et mes frères.
— Je pensais que c'était votre décision.
— Cela l'est. Ils le sont.
— Alors vous devrez abandonner votre vengeance.
— Vraiment ?
— Oui, sans union de nos noms et de nos sangs, je ne mettrais pas dans la balance mon clan.
— Et qu'en est-il de votre soeur, répondis-je en me souvenant de ce que Seth m'avait raconté peu avant cette entrevue si particulière.
Il m'avait dit de bien me tenir, chose que je n'avais pas vraiment faite. De ne pas provoquer Mateo Perez, conseil que je n'avais une nouvelle fois pas écouté et puis il m'avait longuement parlé de notre hôte d'aujourd'hui. De son caractère narcissique, sa gestion bien ordonnée de ses affaires et de la cruauté qui dormait en lui et n'avait pas besoin d'être réveillée pour se déchaîner. Qu'importe la raison, tant qu'il avait une occasion et qu'il pouvait libérer ses nerfs sur le personnel de maison, les dernières recrues de son organisation ou même Isabella Perez, sa soeur cadette qu'on disait aussi belle que son sort était cruel.
Elle était un oiseau trop coloré pour la cage étriquée qui l'entourait. Un carcan qui ne lui permettait pas d'étendre ses ailes pour voler, mais qu'elle devait tout de même porter, car il était sa destinée. Sa prison n'avait ni serrures, ni clés mais peut-être était-elle la clé ? Le moyen parfait de me venger et de la libérer ou du moins de l'utiliser d'une manière qu'il était impossible de dire éthique mais qui n'était pas non plus répréhensible, car quand tout le monde gagnait, pouvait-on vraiment être blâmé d'avoir utilisé ou manipulé ?
— Vous ne voulez pas me donner votre soeur, mais vous voulez que je vous donne la mienne ? dit-il en comprenant immédiatement où je voulais en venir.
— Il n'y a pas de meilleur homme que mon frère.
— Pas même celui que vous avez choisi ?
— Disons qu'ils se valent.
— Et l'heureux élu est-il d'accord pour unir sa vie à ma soeur chérie, demanda-t-il en reportant pour la première fois son attention sur Noah.
— Pourquoi pas, rétorqua-t-il d'un ton désinvolte. Tu sais que j'aime les femmes Mateo et ta soeur n'est pas la plus laide qu'on peut trouver.
— Vieux bougre va ! Une innocente comme Isabella avec un dévergondé comme toi qui ferait rougir les plus expertes catins !
— Cela veut dire que mon frère ne vous convient pas ?
— Non, il me convient au contraire très bien. Cette sainte-nitouche mérite d'être prise correctement en mains et ce vieux filou est l'homme parfait pour cette mission. Avec ses inclinaisons, il parviendra à lui faire goûter au fouet et à le faire tenir convenablement en laisse, dit-il pendant que j'essayais d'oublier la dernière partie de la phrase qu'il venait de prononcer.
— En effet, mon frère a comme on dit du toucher, répondis-je de manière diplomatique en ravalant une diatribe mal placée sur la moralité et le respect. Après tout, je savais que Noah ne forcerait jamais une femme et cette certitude était suffisante pour avaler ma langue.
— Je ne vois aucun mal à utiliser ma soeur pour sceller notre alliance. Voyez-vous cela fait des années que j'essaye de la marier, dit-il avec l'air d'une vieille dame faisant une grande confidence alors qu'elle se contentait en réalité de parler de l'endroit où le chat du voisin avait fait ses besoins.
— Et pourquoi n'y arrivez-vous pas, demandais-je en décidant d'entrer dans son jeu. Votre soeur n'est-elle pas aussi obéissante que vous le souhaiteriez ?
— Elle l'est. Je n'ai absolument pas à me plaindre d'elle en règle général. Si elle doit rester enfermée pendant des années pour ne pas compromettre sa sécurité, elle le fera. Si je souhaite qu'elle organise une réception pour cent personnes en une journée, elle s'y pliera. Peu importe mes ordres, elle baissera la tête et dira : « bien, mon frère ».
— Alors je ne vois pas exactement où est le problème, répondis-je même si pour moi chaque mot qu'il avait prononcé pouvait être ainsi nommé.
Mon frère m'avait toujours choyé comme une princesse, achetant à la petite fille que j'étais des poupées et plus de jouets qu'elle ne pouvait en compter. Me faisant goûter chaque douceur dont je me languissais et me laissant grandir dans un écrin de plaisir. Devenir une jeune fille avec laquelle il faisait le tour de l'Europe, achetait des étoiles en diamant à Vienne et des émeraudes sur la place Vendôme. Noah m'avait toujours traité comme la plus belle chose de la terre et j'avais inconsciemment pensé que c'était ainsi que se comporter à leur manière tous les frères, mais cela semblait aujourd'hui bien loin d'être une universelle vérité. Cet homme semblait en effet voir dans les liens fraternels le moyen d'avoir un dévoué subalterne.
Une main-d'oeuvre efficace et gratuite, pour ne pas dire un esclave qui ne pourrait se plaindre d'un comportement condamnable par la loi. Une femme venant d'un clan de criminels été dans les mains de celui qui le dirigeait, d'un frère ou d'un père. D'un être qui valait toujours mieux que tous les loups qui la voyaient comme une proie à dévorer. Même si sa famille l'a martyrisé, derrière son prénom était toujours accolé son nom et autrui l'utiliserait pour lui infliger bien pire que les peines que son propre sang pouvait lui causer.
Parfois dans la vie, il ne nous était pas donné la chance de choisir entre le bon et le mauvais, mais simplement de pouvoir décider la manière dont on voulait payer. D'embrasser la peine la plus aisée à supporter, celle dont découlerait le moins d'ennuis et de perte, qui nous donnerait l'illusion qu'on avait fait le bon choix, alors quand réalité nous n'avions eu que des mauvaises possibilités car ce n'était pas parce qu'un abus n'était pas appelé ainsi qu'il n'était pas pour autant abusif. Ce n'était pas parce que autrui voulait vous convaincre que l'irrespect était une normalité et que le problème était dans votre susceptibilité que vous étiez ce qui vous blessez. Peu importe à quel point on essayait de vous le faire croire, le problème n'était jamais en vous-même, mais dans ce qu'on vous infligez et qu'on exigeait que vous supportiez.
La maltraitance, quand on la regardait on pensait savoir ce qu'elle était avec facilité. On lisait des notices d'information, voyait de loin sa définition, un assemblage de mots qui paraissait être suffisant pour ne jamais avoir à la subir et puis le temps passait, des rencontres se faisaient et on subissait par amour ou nécessité. On encaissait et un matin après un jour ou des années, on réalisait qu'on était maltraité. Même si personne n'appliquait jamais ce mot à notre situation, personne ne voyait ou n'entendait le son de la peine qui nous habitait, l'abus restait et j'étais reconnaissante à Noah de m'en avoir toujours protégé et à Seth d'avoir toujours fait dominer le partage et le respect.
— Le problème, reprit-il au bout d'un moment pendant que ses yeux trop brillants me fixaient comme un bonbon qu'il voulait dévorer, c'est que j'ai promis à mon père de ne jamais obliger ma soeur à se marier.
— Et vous tenez toujours parole ?
— Bien sûr, le serment d'un criminel vaut mieux que celui de n'importe quel homme sur cette terre.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que pour des gens comme nous, il n'y a rien de plus important que la parole que nous donnons, puisqu'elle est la seule chose que nous possédons.
— Et que faites vous de tout ce qui est clinquant et brillant ? De votre nom, votre pouvoir et vos possessions ?
— Tout cela est là, dit-il en montrant d'un geste des mains les lieux nous entourant alors que tout ce qui demeure réellement est là-dedans ajouta-t-il en ramenant ses bras contre sa poitrine. Ce qu'on peut vous ôter, vous ne le possédez jamais.
— Je ne vous prenais pas pour un philosophe.
— Je n'en suis pas un, mais je suis humain.
— Alors je convaincrais votre soeur d'épouser mon frère et vous ferez preuve d'humanité en respectant la parole que vous m'avez donnée.
— Si vous pouvez payer le poids des mots que vous prononcez, je vous offrirais votre vengeance sur un plateau doré, mais pouvez-vous vraiment les payer ?
— Je vous le promets.
— Alors nous devrions d'ores et déjà sceller le sang par le sang, dit-il en s'entaillant d'un geste rapide la paume avec un air si solennel que je sus immédiatement que je ne pouvais faire autrement que de me soumettre à ce drôle de rituel.
À cette tradition qui semblait avoir été extirpée de l'époque où les temps dormaient. C'était archaïque et presque magique, mais pas dans le sens où l'entendaient les fées et les forêts enchantées, c'était plutôt une magie de sorcier celle d'une potion qui mijotait et d'une destinée dont les dieux décidaient.
C'était l'époque des druides et des puissances terribles. De forces dont les noms avaient été oubliés désormais, mais dont l'aura demeurait dans les souvenirs du passé et de vieux gestes qu'il nous était parfois donné de renouveler. De se faire saigner pour pouvoir avancer et ne jamais oublier que qui voulait faire couler le sang devait d'abord le verser. Qu'il m'était nécessaire de porter dans ma chair la morsure des choix que j'avais faits et de tous les fils qu'ils emmêleraient à jamais.De tous ces morceaux de vie que j'étais en train de tisser sans me rendre compte qu'un jour ils m'échapperaient, qu'un jour la vie les emporterait, mais peut-être les avaient-elles déjà emportés, qui sait ? Savait-on jamais vraiment où s'arrêtaient les choix et où commençait le destin ?
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