Chapitre 36
— Eleanore Garcia n'est peut-être plus là, mais elle a laissé derrière elle une fille digne de son souvenir. Vous faites honneur à votre mère princesse. Maintenant dites-moi ce que je peux faire pour vous ? me questionna-t-il d'un ton étonnement déférent en m'invitant à m'assoir.
Même si Noah, Carlos et Seth étaient également dans la pièce, il ne semblait pas les voir, toute son attention étant focalisée sur moi. Son regard parcourant mes talons avant de revenir vers ma robe fleurie et s'arrêter un peu trop longtemps au niveau de mon décolleté. Après avoir jugé favorablement mon âme, il semblait porter la même appréciation à mon corps et alors qu'en temps normal j'aurais pris ombrage d'être ainsi détaillée, je ne pouvais en cet instant m'en formaliser. Cet homme était peut-être un rustre très éloigné des manières impeccables et de l'élégance naturelle auquel j'avais toujours été habituée, mais un rustre dont j'avais besoin et le besoin faisait mettre de l'eau dans son vin.
— Je vous proposerai bien un verre de whisky ou de mezcal princesse, mais vos talents au tir ont détruit toutes mes bouteilles.
— J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, répondis-je pendant que son inspection arrivait à son terme.
— Comment pourrais-je reprocher quoi que ce soit à une femme aussi belle, roucoula-t-il d'un ton charmeur pendant que ses yeux continuaient à me dire qu'il aimait ce qu'il voyait.
Je lui plaisais et maintenant qu'il avait arrêté de me scruter, son admiration sincère me mettait à l'aise et me donnait la force de traiter avec lui comme avec un homme ordinaire et non un effrayant criminel.
— Si vous ne pouvez rien me reprocher, j'abuserais de ma chance pour vous demander de m'aider. Je suppose que vous connaissez les Flores ?
— Comment ne pas les connaître. Ils sont comme des rats dans une grande ville, grouillant et omniprésent, mais je ne vois pas pourquoi il vous intéresse. Vos parents les ont toujours jugés avec le mépris qu'ils méritaient.
— Et ils les ont assassinés.
— Je vois dit-il simplement sans que son ton n'en soit affecté même si son regard avait changé.
Il ne posa pas de questions, ne demanda pas le pourquoi du comment, comme si son monde lui avait appris que des exécutions faisaient partie de la vie. Il était surpris mais pas étonné et ne remettait pas en questions les mots que je prononçais. Il ne doutait pas de ma parole et je lui en étais reconnaissante car je n'étais pas sûre de pouvoir supporter de voir le pire moment de ma vie être disséquée. Étudier comme un animal de laboratoire sur une table, un spécimen dont on avait oublié qu'il avait un jour été un être de chair et de sang capable de respirer et d'éprouver.
— Vous voulez donc vous vengez, ajouta-t-il au bout d'un instant de silence en se calant plus confortablement dans son fauteuil en cuir.
— Oui.
— Alors tuez-les. Utilisez les Jamaïcains si vous voulez que le travail soit vite fait et bien fait.
— Je ne doute pas de la qualité du travail de ces chers Jamaïcains, mais les tuer n'est pas mon objectif premier.
— Seriez-vous faible de coeur princesse ? m'interrogea-t-il d'un ton sarcastique.
— Absolument pas, mais la mort est trop douce pour les gens ayant tué mes parents et ayant fait de moi une orpheline à cinq ans. Je veux qu'ils payent, qu'ils souffrent et regrettent à jamais le jour où ils ont décidé que ma famille pouvait être une bonne cible.
— Une femme avide de sang et de peines est vraiment le plus beau spectacle que peut offrir la terre.
— Cela veut dire que vous allez m'aider ?
— Qu'ai-je à y gagner ?
— La moitié de tout ce que les Flores possèdent. N'est-ce pas suffisant pour vous engager à nos côtés, à moins que le grand Mateo Perez soit effrayé ?
— Effrayé, répéta-t-il d'un ton rempli de mépris. Si je décide de partir en guerre contre cette famille pathétique, ils seront éradiqués en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
— Alors où est le problème ?
— Le gain est là mais la solidité des liens ne l'est pas.
— De quelle solidité parlez-vous donc ? N'avez-vous donc pas confiance en ma parole.
— La parole n'est que la moitié de l'affaire princesse, l'autre est un engagement et une action qui va beaucoup plus loin que ce que vous imaginez. Les territoires à s'approprier, la marchandise à saisir et l'approvisionnement à couper. Toutes les opérations qui les détruiront sont risquées et nécessitent plus qu'une alliance qui unira l'espace d'un instant nos clans. Vous savez ce qu'on dit le sang est plus épais que l'eau et pour l'instant je ne vois que de l'eau partout.
— Alors dites-moi comment transformer l'eau en sang.
L'alchimie, les contes des fées et des sorciers visaient à transformer l'impureté en beauté et à donner à l'aspect terne du cuivre ou du fer des airs d'éternité. Pouvoir affecter l'essence de la matière, changer à notre guise chaque molécule et fibre de l'air était une belle histoire à laisser fleurir sur les pages d'un livre.
Pour orner un récit, on pouvait parler de légendes et d'exil, mais pour faire vivre la réalité, pour rendre avec honnêteté ce que ma vie était, il fallait troquer l'infini contre la bataille d'aujourd'hui. Les hommes ne pouvaient se permettre de trop longues parties d'échecs et même s'il aurait été beau d'avoir des centaines d'années pour apprendre et parler du fait d'exister nous n'avions qu'une vie à prendre et à donner.
Je n'avais qu'un temps emprunté que j'avais choisi de donner à la beauté et à la vérité. D'écrire et de dessiner, d'essayer de rendre en mots le coeur de l'humanité et de me dire que j'avais accompli ma destinée, vécu pour une tâche qui avait contribué à écrire l'après. Avant que la peine et la souffrance du passé ne reviennent me hanter, tout était clair et aisé, alors que je devais désormais pour me venger, devenir un alchimiste en papier. Transformer l'eau en sang était impossible ou du moins c'était ce que je pensais avant d'entendre la voix de Mateo Perez résonner.
— Épousez-moi dit-il d'un ton déterminé, pendant que mon esprit avait des difficultés à assimiler ce qui se passait.
Venait-il vraiment de me demander de l'épouser ?
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