Chapitre 31

Une fête qui se terminait, laissait une drôle d'atmosphère derrière elle. Une sorte de léthargie heureuse, presque somnolente qui évoquait une berceuse. Un rêve qui commençait ou peut-être simplement un repos bien mérité. Les estomacs étaient lourds d'avoir trop mangé, les bouches sèchent d'avoir trop parlé et les corps après avoir été rassasiés de sociabilité et de mets ne voulaient que se délasser, dormir et profiter d'une autre forme de paix. Les bruits de la gaieté, quand ils se tarissaient, émergeait la musique que jouait l'obscurité. Le bruit de toutes ses choses qu'on ne voyait pas, mais qui bougeaient néanmoins. La vengeance, la souffrance, tout ce qui marquait sans qu'on ne puisse jamais en parler.

Même si leurs cris envahissaient en permanence nos oreilles, autrui ne percevait qu'un silence parfait et se lassait bien vite de nous entendre parler de ce dont on souffrait. Le monde nous permettait de sourire et de rire avec lui, mais pas de pleurer et de se lamenter, puisqu'il ne fallait pas exagérer, puisque toutes les peines passaient, même si notre âme continuait à brûler. M'apitoyer, hurler, casser la vaisselle et pleurer, une part de moi en avait encore envie. Même si mes parents étaient morts depuis vingt ans, mon récent cauchemar me donnait l'impression que cela ne faisait qu'un instant qu'avait eu lieu l'accident. Que j'avais fermé les yeux à cinq ans et les avait rouverts il y a instant qui avait duré vingt ans.

— Si je m'écoutais je mettrais une balle dans la tête du vieux Flores, dit Carlos en allumant un cigare dont il respira une si large bouffée que je me questionnais sur l'état de son système respiratoire.

— Il serait plus malin d'employer les jamaïcains dit Noah en ouvrant une fenêtre pour faire sortir la fumée.

— Les Jamaïcains ? répétais-je sans comprendre où tout cela nous mener.

— Ce sont des assassins hors pair, m'éclaira Seth. Ils éradiqueront les Flores en un clignement de paupières.

— Sont-ils vraiment fiables ?

— Tant que nous les payons correctement mon coeur, ils tueront efficacement. Leurs principes sont attachés à leurs intérêts. Passer un marché avec un jamaïcain est sacré.

— Pourquoi ?

— Parce que sinon ils mourraient de faim.

— Je ne sais pas si je dois être réconfortée ou horrifiée par cette pensée.

— Cela dépend ce que tu recherches hermanita. Ne veux-tu pas laver le sang des nôtres en faisant couler ceux de leurs meurtriers ? 

— Non, répondis-je avec une froideur et une contenance dont je me surpris.

Encore une fois tout cela n'était pas pour moi. Les meurtres et le sang, ils n'avaient rien à faire dans la vie d'une dessinatrice de livres pour enfants et pourtant ils étaient là, à un pas, si près que je pouvais presque les toucher. Noah, Seth et Carlos en parlaient comme des choses anodines et aisées quant aux autres hommes qui s'étalaient dans la pièce, les plus hauts gradés de notre organisation criminelle, ils semblaient  tout aussi à l'aise avec cette idée.

Une tuerie paraissait pour eux normale et aisée. Il n'y avait rien de particulièrement déroutant dans l'instant à part peut-être ma présence. J'étais la seule femme au milieu d'une dizaine d'hommes qui m'épiaient et la seule chose qui faisait qu'il m'acceptait était le nom et la réputation de ma mère. Elle avait géré cette organisation avec mon père, ils  l'avaient connue et respectée et ils attendaient de voir si je lui ressemblais.

— Explique-toi petite soeur, me dit Noah au bout d'un long et pesant silence où chaque homme de la pièce posa son regard sur moi sans prononcer un mot.

— Les tuer ne suffit pas. En quoi la mort les fera souffrir ?

— Que veux-tu dire ?

— Je veux leur prendre chaque centimètre de leur empire. Ne croyez-vous pas que tout ce qu'ils ont construit sur notre sang nous appartient ? demandais-je alors que les hommes approuvaient bruyamment.

— Et après ? demanda Noah d'un ton calme.  Que veux-tu faire d'eux une fois qu'ils n'auront plus rien ?

— Une fois qu'ils seront brisés, vous pourrez les tuer si cela vous plaît.

— Je savais que tu ne nous décevrais pas hermanita dit Carlos, pendant que tout le monde  agréait avec force.

Tout le monde à part Seth, qui bien que là, semblait regarder la scène de loin. Toute mon audience approuvait de me voir me conformer à l'héritage qu'on m'avait laissé, mais lui seul paraissait voir au-delà de cela. Entrer en moi pour saisir que d'une façon ou d'une autre je devrais me trahir. Je ne pouvais avoir à la fois le sang et la gloire, la pureté et la clarté. Il fallait que j'abandonne quelque chose en route, je le savais, nous le savions, mais mon désir de me venger me permettait d'étouffer la dualité qui m'habitait.

De voir de loin le prix à payer pendant que je m'en acquittais et puis de l'accepter. De me confronter à ce qui resterait de moi une fois l'histoire achevée, de voir avec clarté les parts de mon âme qui auront été endommagées et toutes celles qui seront restées entières, si quelque chose pouvait rester entier. Je voulais utiliser les mots plus tard et après pour avoir assez de force pour vivre maintenant, mais Seth semblait quant à lui vouloir tout ramener au présent. Son silence était menaçant car il disait tout ce que j'étais incapable d'exprimer et tous les bâtons qu'il était en mesure de me mettre dans les roues en me confrontant aux mots qui ne sortaient pas mais qui étaient tout de même en moi.

Il voyait trop bien et quelque chose me disait qu'il voulait que je voie également, mais dans cette pièce, en cet instant, tout ce qui comptait, c'était le pourquoi du comment. La manière dont des empires s'écroulaient et dont le sang coulait. La façon dont on posait les premières pierres d'une guerre.

— Avons-nous assez de pouvoir pour les briser ?

— Non, répondit Noah en croisant les bras.

— Non répétais-je en attendant l'inévitable suite, le mais qui venait toujours qu'on le haïsse ou le désire.

— Mais nous pouvons en avoir.

— Comment ?

— En concluant une alliance.

— Avec qui ?

— Les Perez. Ils ont assez d'hommes, de pouvoir et de territoires pour nous permettre d'éradiquer les Flores. Avec eux à nos côtés, personne ne pourra nous affronter.

— Ce ne sera pas une alliance facile à conclure. Le fils a succédé au père, mais il a hérité de son caractère. Mateo Perez n'est pas un homme qui se laisse faire.

— Mais il a un faible pour les femmes et son père appréciait beaucoup Eleanore.

— Ma mère connaissait cette famille ?

— Bien sûr le vieux Perez l'adorait et Mateo l'aimait également beaucoup. Il disait que sa future épouse devrait lui ressembler.

— Tout cela est bien beau, mais je ne vois pas en quoi nous sommes plus avancés pour autant. Ma mère n'est plus là aujourd'hui pour ruser et charmer.

— Mais tu l'es. Tu as son corps et son coeur hermanita. Si quelqu'un doit conclure cette alliance, c'est bien toi.

— Alors je la conclurais.

— Nous la conclurons corrigea Noah. Nous allons organiser une rencontre et nous irons ensemble sceller notre destinée. Carlos, Seth et moi t'accompagnerons voir les Perez. Je te l'ai dit ma chérie, nous ferons tout ensemble ou nous ne ferons rien du tout.

Nous ferons, cela semblait si beau. J'étais à un pas de ce que je désirais. À un pas de pouvoir toucher les flammes que mon âme abritait et alors que j'aurais dû être exaltée, la seule chose qui demeurait était le regard de Seth. Ses yeux qui disaient que quand on jouait avec les flammes, on devait accepter de se brûler et qu'il ne me laisserait pas être marquée. Il semblait penser qu'il avait un droit sur moi, était-ce vrai ou pas ? Cela n'importait pas car je savais qu'il l'utiliserait dans tous les cas et que sa voix résonnerait encore de multiples fois au coeur de mon corps et mon destin.  

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