Chapitre 30
Qui était Carlos ? Un criminel ou un homme ordinaire ? Quand on le voyait, l'entendait parler ou pénétrait dans son foyer, rien ne pouvait dire ce qu'il était. Il n'y avait rien ici qui évoquait la criminalité. Pas d'arsenal d'armes ou même de liasses d'argent sale, juste des canapés douillets, des tableaux et des bibelots. Ce que tout le monde avait d'une certaine façon dans son salon. Une large et vaste pièce ordinaire dans laquelle je déambulais rapidement, jetant un coup d'oeil à certains détails, en ignorant d'autres, prenant un plaisir étrange à être là où il n'y avait personne. Alors que des éclats de voix et de rires résonnaient au loin, j'étais seule dans cette demeure où rien n'attirait le regard, mais ou tout m'apparaissait comme spécial.
C'était la maison d'un frère dont je ne savais rien. L'un des seuls indices sur ce qu'il était qui ne nécessiterait ni profondes questions, ni grandes conversations. Ici, je pouvais tout voir sans avouer ce que je voulais savoir et cette sensation étrange d'entrer dans l'âme d'une autre personne agissait sur moi de la même manière qu'une substance euphorisante. Comme une petite souris qui allait là où elle voulait en toute impunité, je parcourais le double salon avant de me concentrer sur tout ce qu'il cachait. Les pièces que les entrailles de la maison abritaient et qui s'organisaient autour d'un escalier blanc recouvert d'un tapis aux motifs d'Ispahan.
Une large salle à manger où une armée aurait pu s'attabler, un bureau aux allures de débarras et à un jardin d'hiver qui ressemblait à une serre. Une pièce pleine de plantes dont je ne connaissais pas le nom, mais qui créaient une atmosphère à la fois prospère et belle. Tout ici semblait respirer une joie pure et simple, une philosophie de vie douillette et sympathique. Cette maison semblait être un joyeux fouillis organisé ou peut-être simplement ce qu'on attendait d'un foyer qui vivait et d'une famille qui s'y épanouissait. Un peu de tout ce qui faisait que la vie était aussi belle que variée. Une couverture en patchwork qu'avait cousu une vieille tante, des poupées qui trainaient, un livre avec un marque-page posait sur la table basse...
— Ma maison te plaît hermanita ? entendis-je alors résonner la voix de Carlos derrière moi.
— Je suis désolée, je ne voulais pas...
— Non, m'interrompit-il en faisant un signe de la main. Tu es ici chez toi, tu peux mettre sens dessus dessous chaque placard de cette maison et personne ne prononcera le moindre mot.
— Je ne suis pas habituée à tout ça. Noah et moi ne faisons qu'un et avoir un frère veut dire beaucoup pour moi, mais je ne peux rien changer au fait que nous ne nous connaissons pas et que le temps passé ne peut jamais être rattrapé.
— Le temps passé ne m'importe pas hermanita, tout ce qui compte pour moi est celui qui viendra. Quant au fait de se connaître, je te connais déjà ma belle. On m'a demandé de rester à l'écart et de maintenir ton ignorance et ton innocence, pas d'oublier que j'avais une soeur.
— Que veux-tu dire ?
— Viens avec moi et tu le sauras, dit-il en me prenant la main et en me guidant dans les couloirs de sa maison.
Des pièces qui semblaient encore plus parler que celles que j'avais parcourue car elles étaient faites pour l'intimité. Pour se reposer du monde et de la vie, s'en préserver ou peut-être simplement apprendre qu'elle avait plus d'une manière d'exister et de dire ce qu'on était. Qu'un criminel pouvait être un mari, un père et un frère. Qu'un être humain n'avait jamais qu'une seule casquette et que chaque coeur pouvait être sensible et ouvert. Il pouvait être plus et j'en fus certaine quand j'arrivais dans une chambre pour enfants. Une pièce rose remplie de poupées et de jouets.
— Où sommes-nous ?
— Dans la chambre de ma fille.
— Et ?
— Explore là et tu comprendras hermanita.
L'explorer... cela aurait été intéressant si j'étais encore une enfant, mais l'adulte que j'étais ni voyait rien de bien grand ou parlant. Un lit à baldaquin qui évoquait celui d'une princesse, un cheval à bascule, des poupées aux têtes démesurées et puis une petite bibliothèque qui semblait inadaptée à la pièce. Elle n'était pas rose et enfantine, mais belle et traditionnelle. C'était une de ces cavernes d'Ali Baba dans lesquelles se cachaient de vieux secrets.
— Ouvre là.
— Tu es sûr ? Je ne veux pas...
— Ouvre là, insista-t-il pendant que mes doigts l'effleuraient déjà.
Pendant que mon esprit imaginait à l'image d'un bambin, tout ce qui pouvait se cacher dans de vieux coffrets. Quelque chose de bon et de brillant ou peut-être simplement de vibrant. Une émotion enfermait dans un objet ou devrais-je plutôt dire dans des livres. Chaque ouvrage que j'avais écrit ou co-écrit, chaque oeuvre dans laquelle ma plume et mes pinceaux avaient agi. Ce placard était un autel en mon hommage et en effleurant du doigt les couvertures de chacun de mes livres, je ne pus m'empêcher de laisser les sentiments m'envahir.
— Comment s'appelle ta fille ? demandais-je saisie par un étrange pressentiment.
— Elisabeth.
— Tu lui as donné mon nom.
— Oui pour te garder là hermanita, me dit-il en montrant son coeur. Pour avoir une soeur que je n'avais pas le droit d'avoir.
— Tu en as le droit désormais et Noah te dira que je ne suis pas un cadeau.
— Non tu es bien plus que ça. Tu es notre coeur à tous.
Ce que j'étais... je n'étais pas sûre de le savoir, mais je ne pouvais pas douter de l'amour qui m'entourait. Même si Noah avait toujours été suffisant pour moi, je ne pouvais nier qu'il était bon de sentir l'affection que Carlos me portait. De percevoir le manque qui l'avait habité dans chaque parcelle des lieux qui m'entourait. Son besoin d'avoir une soeur qui ne serait jamais sienne, son envie d'être une famille à part en tiers et l'impossibilité de voir ces deux souhaits être exaucée.
Nous partagions le même sang, nous avions une même histoire et une même essence et en cet instant cela était suffisant. Parfois il fallait peu pour emporter beaucoup. Rien qu'un peu de bonheur pour tout recommencer avec facilité et pour que l'amour soit capable de tout racheter. De faire oublier les principes tout faits, les idéaux sur le grand et le beau, pour que la seule chose qui compte soit les liens du sang et des sentiments. Les livres parlaient de lumière et d'obscurité, du bon et du mauvais, mais ils gardaient secret que c'était l'amour qui décidait souvent de quel côté on inclinait. Qui nous perdait ou nous retrouvait, qui décidait pour nous du prix à payer et de tout ce qu'il demandait, de tout ce qu'il demanderait...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top