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— Et ensuite, je suis rentrée.

Il acquiesce et porte enfin la tasse à ses lèvres striées, satisfait de cette explication. Toutefois, ses traits ne s'attendrissent pas, et ses épais sourcils blonds froncés au-dessus de son regard vide me confirme que ce n'est pas tout : autre chose que ma "mystérieuse" disparition le travaille.

— Tu as déjà parlé à Black ? Enfin, je veux dire, avant qu'il ne vienne nous sortir de la boutique.

— Euh... Oui, une fois, anone-je, cramponnée à la chaleur qui émane du thé.

Le liquide légèrement sucré ne parvient pas à chasser le goût âcre du mensonge sur ma langue enflée.

— Quand même... marmonne-t-il, le regard rivé sur la fenêtre close. Il n'aurait pas dû nous séparer.

Il prend délicatement mes mains dans la sienne et plonge tendrement ses pupilles émeraude dans les miennes. De son autre main, il effleure ma joue, recueille dans sa chute une larme que je n'avais même pas sentie.

— J'ai une idée, murmure-t-il avant de prendre une gorgée de thé. Et si tu venais à la maison ? On t'hébergera jusqu'au retour de ta mère, d'accord ? Ça ne me rassure pas beaucoup de te savoir ici seule. Surtout après ce qu'il s'est passé.

Mon mouvement de recul lui arrache un sursaut de surprise. Les béquilles qui gisaient contre le dossier de sa chaise s'échouent à ses pieds dans un brouhaha fracassant.

— Je ne crois pas que Félix acceptera.

Je crains surtout l'impact que ma présence pourrait avoir sur ses chances de survie. Il secoue sa tête dans un sourire factice, d'avantage semblable à une moue de dégoût. Nonchalamment, il passe une main dans ses cheveux d'or, qui se déploient autour de son visage anguleux tel la lumière de l'aurore enveloppant de son éclat un paysage que rien ne peut égaler.

— Il le faudra bien, pourtant. J'ai failli te perdre, plus d'une fois. Je ne veux pas prendre le risque d'attendre pour apprendre ta mort.

La mine grave, le vert de ses yeux ne brille plus que d'une détermination insoupçonnée. Ses longs doigts délicats s'enroulent doucement autour de mon poignet, tandis qu'il approche son visage du mien, mêlant son souffle au mien.

Avant même que je n'ai le temps de protester ou de me retirer, la chaleur de ses lèvres striées se pose sur les miennes. Des larmes impuissantes s'échouent à l'embrasure de nos bouches, tandis que je sens la délicatesse de sa main se propager dans ma chevelure, effleurer la tuméfaction bleutée qui couvre ma pommette. Son pouce éloigne le surplus de douleur qui s'échappe de mes yeux fermés, pendant que mon corps entier est parcouru d'un courant électrique étonnement doux. Mais il n'atteint pas mon cœur, toujours prisonnier de ce serpent sifflant le venin que je représente pour beaucoup.

C'est sur une note amère que j'abandonne la chaleur électrique de son baiser. Malgré tout, il ne se résout pas à me lâcher, et plaque son front contre le mien, me laissant goûter à sa respiration calme et posée.

— Et puis, pour tout te dire, il n'est pas vraiment en état de contester quoique ce soit, grogne-t-il en se laissant retomber lourdement sur sa chaise.

Il porte un poing à son front plissé par un sentiment indescriptible, mais qui s'efface dès lors qu'il repose son regard sur moi. Il se fend aussitôt d'un large sourire, une lueur enfantine dans le creux de ses yeux.

— Alors, tu es d'accord ?

— Je...

Les mots me manquent. Je n'en ai pas fini avec Black, notre accord ne prend fin qu'aujourd'hui, ou demain. Pour dire vrai, je ne sais plus vraiment où j'en suis. Mais une chose dont je suis certaine, c'est du risque que représente une transformation chez Adrien. Il a suffisamment perdu de chose comme cela, je ne veux pas lui causer d'avantage de blessure, même s'il ignore encore que j'en suis, malheureusement, capable.

— J'ignore quand ma mère reviendra, soupiré-je enfin, le poing crispé autour de la tasse, et je veux être là à son retour.

— Alors c'est moi qui viendrais ici.

Alors que le sérieux de ses traits oppressent mon coeur, il éclate d'un rire narquois, tandis que mes joues me brûlent presque autant que le thé brûle mes doigts.

— Non, non, sourit-il. Non, nous serons d'avantage en sécurité chez moi. S'il te plaît. Tu laisseras un mot comme elle l'a fait, et elle te contactera alors à son retour.

— Mon téléphone est cassé. Si elle veut prendre de mes nouvelles, c'est ici qu'elle va appeler. Je dois rester, Adrien.

Ma voix s'est durcie contre mon gré, mon regard s'est probablement assombrit, mais cela a au moins le mérite de faire réfléchir Adrien. Je laisse le thé brûler ma gorge, tandis qu'il se plonge dans de profondes interrogations.

— Je ne crains rien ici, je te l'assure, lui promis-je avant d'essuyer la commissure de mes lèvres des perles du liquide qui s'y sont logées.

Un faible sourire s'ébauche sur son visage pourtant tordu par l'inquiétude grandissante. Il se frotte le visage de ses mains, avant de soupirer longuement.

— Je comprends tes craintes, mais entends, s'il te plaît, les miennes. Ma maison est équipée pour résister aux mutants. Qu'a la tienne ? Elle s'effondrerait au moindre coup de coude de l'un de ces géants.

Je me fige aussitôt à l'entente de ces paroles. Géants. Le dernier mutant était digne d'un colosse mythique. Ceux qui vont suivre le seront-ils tout autant ? Ma respiration est parcourue de soubresaut, et la peur empoigne violemment mon cœur.

— Non. Je ne peux pas. J'ai... Non, je... Désolée, Adrien. Mais...

L'air manque à mes poumons crispés par l'effroi envahissant. Il coule sur mon échine et chasse la chaleur que m'a procuré le thé.

— Je te prêterais mon téléphone, et tu l'appelleras avec pour la prévenir de la situation, si cela peut te rassurer, s'empresse d'ajouter Adrien, comprenant la détresse dans laquelle je m'enfonce.

Il faut que je retrouve Black, et le plus tôt possible. Il faut que je résonne Rena Rouge et Queen Bee. Nous devons nous réunir au plus vite. Les choses sont en train de changer. Ce qui se préparait arrive. Et Maître Fu le sait.

La chaise se renverse et je m'effondre sous la douleur. Sans les pouvoirs des Miraculous, je ne peux rien faire. Il faut qu'Adrien s'en aille. Ne serait-ce qu'une heure ou deux. Mais qu'est-ce qui pourrait bien l'occuper autant ? Le silence que m'impose mon subconscient m'enfonce davantage.

— Marinette, qu'est-ce qu'il y a ?

Je me redresse, le coupant dans son geste. Il repose calmement les béquilles au sol, les mains croisées sur l'incompréhension qui scie douloureusement sa glabelle, creusant un profond sillon entre ses sourcils blonds, parfaitement taillés. Je secoue la tête, chassant brusquement cette image qui n'a nullement sa place dans mon esprit. Pas pour le moment.

— Je...

En m'appuyant contre la table, je manque de justesse de renverser le tas de lettres qui somnolaient paisiblement dessus. Les brumes de mon esprit sont aussitôt chassées, la clarté arrache à ma bouche des paroles inespérées :

— Je veux juste rester ici ce soir. Seulement ce soir, s'il te plaît.

— D'accord. Seulement ce soir. Et je reste avec toi.

Tandis que sa méditation sur ma proposition aura été prompte, la réflexion que je porte à ses mots n'en est que trop longue. Si bien que lorsque j'émerge de mes pensées, je le découvre avec un sourire terriblement séduisant au coin des lèvres et une subtile lueur d'incompréhension dans la malice du bleu de ses yeux.

— Quoi ? lâche-t-il dans un rire timide.

Mon souffle se coupe lorsque ses doigts enlacent une énième fois ma main tremblante.

— Je... D'accord, soupiré-je, les yeux grands ouverts sur la délicatesse de son visage.

Le nœud de mes pensées revient abruptement encombrer mon esprit, paralysant mes gestes. Malgré la chaleur douloureuse que répand la tasse dans mes doigts crispés autour d'elle, je ne bronche pas d'un poil, mon regard perdu dans les motifs captivants de ses yeux cruellement profonds et envoûtants.

La douleur s'estompe, la peur cesse de battre dans ma poitrine, le doute s'échappe dans un sifflement lointain, et ne subsiste désormais qu'une chaleur grondante dans le creux de mon être, là où je pensais que tout était gelé. Alors que son souffle puissant et dévastateur ne se trouve plus qu'à quelques centimètres du mien, un appel à la réalité violente soudain mon corps, le débarrasse des frissons qui l'avaient envahis.

Je me cambre, le souffle coupé, les joues enflammées, des larmes acides dans le fond de ma gorge. Adrien passe aussitôt une main dans sa chevelure, fuyant du regard le malaise que je viens de poser brusquement entre nous.

— Je vais aller préparer ton lit, suggéré-je pour apaiser le rouge de mes joues.

Adrien fait aussitôt volte-face, la bouche entrouverte sur des mots qui semblent ne pas lui venir. Les joues roussies et cette expression béat ne lui ressemble aucunement, et, pourtant, c'est bien lui que j'ai en face de moi.

— Je... Non, non, laisse tomber.

Il secoue brusquement la tête et porte la tasse d'un geste vif à ses lèvres tremblantes d'un sentiment indescriptible. Trop vif. Il s'étouffe, ou se brûle – ou bien les deux –, crachant le liquide sur la table, avec une grâce qui lui est particulièrement singulière.

Son regard honteux croise furtivement le mien, tandis que ses mains tremblantes cherchent désespérément à essuyer le fruit de sa précipitation étrange. Au lieu de lui tendre un chiffon, j'éclate d'un rire profond. Un pansement qui apaise le martyre de mon cœur.

D'abord déconcerté, il m'observe un long moment, indécis. Puis il rit nerveusement, le visage enfouit dans sa main, l'autre tendue vers un chiffon posé sur la table.

— Désolé, murmure-t-il, cramoisi.

Lorsque sa bêtise est enfin lavée, son regard se fige sur moi, et le mien sur lui.

— Tu es tellement belle, ainsi.

Mon cœur hurle dans mes tympans, semble même sur le point de traverser ma poitrine tant elle est étroite, pour ses battements puissants. Je me hisse sur ma jambe valide, le souffle coupé, le regard rivé au loin. Loin de celui d'Adrien. Celui qui me dévie de l'opportunité qu'il vient de m'offrir.

— Je commence à être fatiguée, feinds-je dans un bâillement.

J'étire longuement mes muscles ankylosés au-dessus de mon visage pour appuyer mes propos, toujours mon regard orienté en direction de la salle de bain, là où sommeille Tikki.

J'ai conscience d'avoir puisé une grande partie de ses forces, mais ce qui se trame n'attendra pas qu'elle aille mieux pour nous tomber dessus. Je dois agir le plus tôt possible.

***

Une plume délicate sur les épines de mon cœur. Un oiseau magnifique, pris dans les filets cruels qui broient le ciel, réduisent la lumière à l'inexistence. Pourtant, malgré la douleur, malgré le poignard que j'agite sous sa gorge, il est là, ses bras autour de mon corps secoué par d'impétueux sanglots muets. Une Marinette en a rêvé toute sa vie, de ce moment. Celle que je suis aujourd'hui s'interroge seulement sur les séquelles qu'elle va infliger à ce garçon trop gentil, trop doux pour aimer une personne comme elle.

Le noir qui s'est insinué dans chaque recoin de mon être semble impénétrable. Même le sentiment qui me fait tourner la tête ne saurait pas chasser complétement le froid de mon cœur vide, creusé d'une plaie béante. Le pansement n'a pas survécu à la réalité.

Il est tôt. Le soleil se lèvera d'ici une heure ou deux. Alors, sans plus attendre, je me défais de la tendre étreinte d'Adrien, pour me glisser dans mon costume, apporter innocemment par ce même garçon, désormais paisiblement endormi... Dans les draps qui me tiennent chauds depuis d'innombrables années. Je devrais être chancelante à penser de la sorte, ivre d'un sentiment qui a toujours su me couper le souffle, mais il n'en est rien. Je ne lui adresse même pas un seul regard en quittant la chambre. Ce serait inutile, une torture dont je peux me passer. Dont je dois me passer, au vu des circonstances et de la raison qui m'a poussé à le convaincre de me laisser dormir ici. Je rejoins la salle de bain d'un pain titubant, bien que la douleur semble s'être endormie. D'un délicat baiser, j'arrache Tikki au monde de ses rêves.

Dès lors qu'elle ouvre ses grands yeux noirs sur moi, son corps entier frémit et un voile d'effroi s'éprend de ses pupilles dilatées de terreur.

— Wayzz... souffle-t-elle, accablée par une pensée qu'elle ne parvient pas à formuler. Il n'est plus... Il... le cercle... il n'est plus dans le cercle !

Je plaque aussitôt deux doigts sur ses lèvres baignées de larmes, suppliant qu'Adrien n'est rien entendu. La douleur à la cuisse me revient, la fatigue ayant été dissipée par la détresse de mon amie. Je me laisse glisser contre la porte, la petite créature effarée dans le creux de mes mains.

— Tikki, calmes-toi, murmuré-je calmement, quoique terriblement pressée par la situation. Ressaisis-toi, on reparlera de tout cela quand j'en aurais fini avec... quelque chose.

Malgré son étrange mutisme et la terreur qui luit dans son regard, j'inspire profondément avant de prononcer les mots fatidiques, retrouvant un usage correct de ma jambe. Cependant, mon cœur est terriblement lourd. Lourd de larmes, d'indécisions.

J'expire bruyamment, chassant toutes ces pensées tumultueuses, afin de faire place à la seule chose qui doit m'importer pour le moment. Dans un silence inouïe, je rejoins le tout du bâtiment, et laisse la lumière morbide de la lune se déposer sur mon corps peinant à faire face au chemin qui s'esquisse sous mes yeux aux motifs de coccinelle.

— Il est tant pour Ladybug d'être digne de ses Miraculous.

Sur ces derniers mots, je m'efface telle une ombre dans l'obscurité des ruelles désertes de Paris, m'offrant au danger qui y sommeille probablement...



Chapitre 35... Bientôt le Final ! Alors, quelques hypothèses sur le plan de Marinette, sur la suite des événements ? =} J'espère que ce - long - chapitre vous aura plu ! N'hésitez pas à laisser un commentaire, ça fait toujours plaisir :)  et à trèèèèès bientôt !

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