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Il n'a de cesse de me fixer, depuis le comptoir de la boutique, tandis que je surveille du coin de l'œil la ruelle désormais déserte. J'entends cette petite voix me crier qu'il est temps d'enfiler le costume, mais une partie de moi ne peut s'empêcher d'apprécier la situation quelque compliquée, pour une transformation.
Je ne cherche même pas d'excuse bidon à lui adresser, afin de m'éclipser, ni même la moindre parole à prononcer. Je me contente de me cramponner à cet abri, que je ne veux surtout pas quitter. La culpabilité me ronge de trop pour que je trouve la force d'accomplir ce devoir qui m'a été confié, et la peur m'étouffe à un point que j'ai l'impression de délirer.
Un tel Enfer peut-il réellement exister ? Peut-on nager dans autant de noirceur, à dix-sept ans déjà ? J'ai l'impression d'être dans un de ces cauchemars, dont ne se réveille jamais. Où la réalité se mêle aux songes les plus obscures, comme cette soirée où le Marchand de Sable avait frappé. Mais maintenant que j'y pense, ces derniers mois passés en la compagnie de ces mutants difformes et inhumains sont plus effrayants que les paroles qu'Adrien avait prononcé. Ou du moins, celui de mes cauchemars.
J'aimerais tellement pouvoir ouvrir d'avantage les paupières, pour ne voir que la part de vérité dans toute cette histoire. Je voudrais retrouver Chat Noir, là, maintenant tout de suite. Je voudrais qu'il me tende sa main et qu'il me jette un de ses regards vantards avant de m'entraîner dans la nuit, et rire de ses propres blagues. Je voudrais voir d'obscurs papillons virevolter autour de nous, et entendre les acclamations de la foule, en bas, qui voit en nous la naissance d'un avenir plus sûr.
Je voudrais prendre mon père dans les bras, en rentrant, éreintée par l'humour de mon coéquipier, m'endormir le cœur lourd de sentiments pour un Adrien valide, rire de ma vie d'adolescente. Je voudrais seulement que les choses redeviennent comme avant.
Quelques sanglots parviennent à s'échapper d'entre mes lèvres closes, mais dans un reniflement lamentable, je parviens à les ravaler péniblement. Ma gorge est terriblement nouée par l'indécision écrasante. Je devrais m'en aller, crier le nom de Tikki, mais à chaque fois que j'y pense, je sens à nouveau les coups me marteler la peau jusqu'à l'os, et le goût de fer imprégné sur ma langue brûlée par ces mots qui me rongent depuis trop longtemps.
– Marinette, tu ne devrais pas rester aussi près de la vitre, me fait remarquer Adrien
Son regard fuit le mien, mais parvient tout de même à blesser mon cœur. Quelle ignoble personne suis-je devenue ? Ce garçon est juste blessé, et tout ce que j'ai trouvé à faire a été de penser qu'il n'est qu'un menteur, qu'il simulait. Et aujourd'hui, il s'en veut autant que moi. Le seul véritable monstre n'est pourtant que moi !
Je ne peux m'empêcher de frapper l'un des murs de mon poing. Si seulement ça pouvait être moi. Si seulement je pouvais briser cette facette de moi-même d'un seul coup-de-poing, comme l'on brise une glace. Puissent les choses être si faciles ? Je crains que non, et ça me torture l'esprit.
– Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète Adrien.
Il essaie de ramper jusqu'à moi, alors que je bondis sur mes pieds, brûlante d'une rage douloureuse, qui essaie de ronger l'obscurité de mon âme avec ses flammes ardentes. Mais j'ai l'impression que sa fumée ne fait que détruire le peu de lumière qu'il me reste. S'il en reste.
Ça me tue de me voir, d'observer l'impacte que j'ai sur mon entourage. Et je commence même à croire que c'est de ma faute si mon père est tombé malade. Après tout, j'ai été un nombre incalculable de fois en contacte avec ces monstres. Peut-être est-ce moi qui l'est contaminé en rentrant à la maison, souillée par ce virus ? J'ai... J'ai peut-être tué mon père.
C'est une orange sans pulpe, sans jus, qui est pressée dans le fond de ma poitrine. Seul un liquide acide s'en écoule, pour dévorer les tréfonds de mon être, et m'enfoncer plus bas encore que je ne le suis déjà. Bientôt, je serais si bas que je me retrouverais en haut, puis je retomberais à nouveau, plus vite, plus douloureusement, plus brutalement que la première fois. Et je m'écraserai infiniment, sur le sol de ma propre déception. Mes ombres me dévoreront lentement, avant de me renvoyer dans le ciel, pour que je retombe, une nouvelle fois, pour toujours.
Pourrais-je seulement essuyer ce que j'ai fait aujourd'hui et hiers ? Une telle chose, est-elle seulement possible ?
– Marinette, qu'est-ce qui te prend ?
Il est terrifié, ses pupilles en tremblent. Mon regard croise mon reflet. Enfin, celui du monstre qui lui fait tant peur, avec ses cheveux mouillés par sa démence, ses poings crispés sur son humeur délirante, sur cette justice qu'il traîne derrière lui, comme Achille a traîné le corps d'Hector derrière lui. Est-ce par prurit de vengeance que je me comporte de façon inique à l'égard de tous ?
Encore un poignard que je m'enfonce seule dans la poitrine. Parce que je n'ai aucun contrôle sur les autres que j'essaie comme je le peux de le garder sur mon corps, en le blessant seule, sans l'aide de personne, en me convainquant que je suis la seule responsable dans cette histoire. Non, ces mutants n'y sont pour rien. Je suis juste une incapable. Une justicière indigne du pouvoir qui lui a été conférée.
Jusque-là, la seule chose dont j'ai été capable, c'est d'attiser la haine que chacun éprouve à l'égard de mon équipe, et jouer avec le seul héros qui soit réellement apte à protéger Paris.
La porte se fracasse soudain, des bouts de verres s'échouent à mes pieds, et j'hésite plusieurs secondes à en prendre un, ne serait-ce que pour marquer ce corps infirme, comme l'on marque un jouet cassé.
Je ne serais pas mesurer l'intensité du soulagement qui s'empare de mon être lorsque mon regard se plante dans le noir frémissant de celui de Black. Ses doigts s'enfoncent presque dans son bâton, ses pupilles de félin s'embrase sous la colère dévorante.
Une infime larme naît au creux de mes yeux rougis par la démence grandissante, par l'impuissance étouffante, et meurt doucement au coin de mes lèvres étirées en un rictus de soulagement. Tue-moi, pensé-je. Libère-moi de cette folie, je t'en prie.
Il semble comprendre, puisqu'il m'attrape le poignet, et m'entraîne à l'extérieur, en poussant des grognements féroces. Adrien essaie de se redresser pour nous suivre, mais Black conteste :
– Reste ici, Adrien. Je reviens aussi vite que je le peux.
Nous nous éloignons dans les hauteurs. Bientôt, je pourrais m'envoler loin de ces terres où je n'ai aucun contrôle sur ce qui s'y produit. Lorsque Black m'aura fait pousser mon dernier soupire.
Nous atterrissons brusquement sur un toit, et il me plaque au sol. Je ne peux réprimander un rire de soulagement. J'attrape sa clochette, et, sur son air ébahis, souffle mon souhait.
– Tue-moi.
– Mais qu'est-ce qu'il te prend ?
Il me repousse violemment, passe une main sur son costume, comme si en le touchant, j'étais parvenu à le contaminer.
– Marinette, reprends-toi, si tu ne veux pas perdre tes Miraculous !
Son grognement dévale les ruelles sourdes de Paris en un écho transcendant, mais n'atteint pas cette raison disparue, qui m'habitait autrefois, lorsqu'elle dominait la violence. Il me gifle, mais n'attise aucune flamme dans le fond de ma poitrine. Mon cœur semble s'être vidé de vie, d'envies. J'ai juste envie de cesser de tomber. Mais pour cela, il faudrait m'empêcher de me relever, en m'achevant une bonne fois pour toute.
Je le fixe, le regard voilé de larmes, et porte mes doigts à mes boucles d'oreille. Depuis le début, j'aurais dû le faire.
Hey ! Voici le chapitre tant attendu de Black ! ... Enfin, vous l'attendiez, n'est-ce pas ? ;^;
Désolé de ne pas être très actif en ce moment, je tiens le programme des deux prochaines semaines, puis j'essaierais d'être d'avantage là :) la fin est rédigée, faut juste que je bouche les trous...T_T... bonne lecture !
J'aurais dû... J'aurais dû donner mes Miraculous à Black.
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