Le Billet doux de Mme Duguet (quatrième partie)
Dehors, il faisait un grand soleil confortable. De vastes rayons de lumière printaniers descendaient du ciel jusqu'aux rues et imprimaient le long des immeubles la marque d'ombres distinctes. Dans l'air, un vent léger et rafraîchissant invitait à de joyeuses gambades pour se réchauffer.
Mme Duguet profitait de tout. Au comble de sa métamorphose, elle aspirait à pleines gorgées les odeurs fugitives qu'elle retenait dans ses poumons comblés, en savourait dans son corps le parcours tonique et vivifiant et, pour cela, dilatait ses narines, dégageait sa trachée, gonflait ses bronches, et ainsi tout devenait senteurs, parfums délicats et fragrances subtiles.
Les hauts talons de ses escarpins noirs faisaient contre le trottoir un claquement sec et régulier qui évoquait le pas des chevaux sur les chemins de pierre, et ce son, un peu entêtant, retentissait d'une façon éclatante, conférant à Mme Duguet cette allure ferme et supérieure qui mêle grâce et aisance et dont les hommes, d'ordinaire, raffolent.
Elle était, d'ailleurs, épanouie et parée comme une rose. Le teint vermeil qu'elle avait donné à ses lèvres s'accordait parfaitement à sa robe, et le vent qui s'engouffrait aux endroits où le tissu n'adhérait pas en faisait frémir les dentelles, pareilles à des pétales relevés par un souffle doux.
Oh ! comme elle était heureuse ! Comme elle se sentait libre à présent ! Enfin elle s'ouvrait au monde avec confiance ! enfin elle pénétrait dans la vie avec facilité ! Combien elle avait éprouvé, dans le passé et tandis qu'elle marchait dans la rue, le poids des autres et l'affront de leurs regards incommodes... Mais tout cela était fini maintenant ! bien fini ! Elle n'avait plus à redouter leur mépris ou leur colère ! Qu'avait-elle à s'embarrasser de ces vaines turpitudes et de ces aigreurs sourdes quand il lui suffisait, comme maintenant, de s'envoler loin et de contempler les beautés d'un monde qui pouvait prendre, avec si peu d'effort, les apparences de tout ce que son cœur ravi lui dictait ?
Songeant à cela, elle raffermissait autour du billet la pression de ses longs doigts pâles.
Bientôt, elle gagna les rues pavées où se trouvaient les vitrines des magasins.
La lumière vive d'un franc soleil s'y reflétait avec de grands éblouissements argentés, et Mme Duguet devait plisser un peu les yeux ou couvrir son front d'une main pour apercevoir, dans une apparition soudaine, son reflet guindé qui la rassurait.
Aussi, à l'intérieur des vitrines, les centaines d'articles exposés éveillaient son désir et sa curiosité. Elle y admirait tout, tout l'exaltait, son imagination débordait de cette si excitante variété de choses qu'elle envisageait et convoitait avec délice, et néanmoins une sorte de pudeur mondaine l'incitait à retenir de tels débordements d'âme, comme s'il eut été d'une trop grande trivialité de laisser paraître cet émerveillement qui la saisissait et qui enflammait son cœur. C'est pourquoi, confondue entre l'extase qu'elle éprouvait et le détachement qu'elle voulait affecter, elle posait un regard vague et lointain sur des objets qu'elle brûlait pourtant de tenir, tantôt affichant son dédain en une moue hautaine et détournant les yeux, tantôt prenant plaisir à regarder un article très cher, mais sans l'inspecter davantage, comme si plus rien ne pouvait l'étonner.
Ainsi, Mme Duguet était aux anges. Elle avait le maintien et la prestance d'une duchesse, et il lui semblait qu'elle impressionnait même les gens les plus dignes qui, sur son passage, s'écartaient avec un air de respect. Tout en marchant, elle serrait le billet dans sa paume et, petit à petit, se laissait prendre à son jeu. Elle déambulait sur les pavés brillants sans but précis, le sourire aux lèvres et la figure luisante, tenant la pose, exhibant à chaque boutique la coquetterie de sa personne et les riches extravagances de sa robe pourpre. Elle jetait un œil ici et là, dans cette vitrine puis cette autre, revenait sur ses pas, semblait prendre une décision, faisait retentir plus fort le bruit de ses talons, contemplait, d'un air concentré ou las mais toujours emprunt de noblesse, une chose de l'autre côté ou bien complaisamment son image dans le miroir, et elle avait parfois, toute seule et sans raison apparente, de ces éclats de voix subits qui l'envahissaient par hoquets et qu'elle croyait faire passer, parmi la foule des badauds, pour des rires audacieux de minette fortunée.
Elle tourbillonnait littéralement dans la béatitude, et son rêve, n'ayant bientôt plus limite ni mesure pour freiner ses transports, se ternissait d'une nuance fiévreuse et malsaine.
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