𝟑
— Mademoiselle Evans ! Je suis extrêmement déçu de votre comportement ! Vous êtes une élève si sérieuse, comment est-ce possible que vous soyez si souvent en retard ? Moi à votre âge je...
Monsieur Darkoff, il en fallait très peu pour le décevoir celui-là. Au lycée, il se faisait surnommer Mister-Perfect. Car il passait l'entièreté de son temps à sous-estimer chacun de ses élèves. Il nous détestait tous. Il fallait avoir près de 20 de moyenne pour mériter un signe de gentillesse de sa part. À chaque fois qu'il reprochait une chose à un de ses élèves, il fallait toujours qu'il se la ramène. «Et puis moi à votre âge...» Blabla. Il se considérait comme un modèle idéal, mais je il avait sûrement mal compris que les élèves de ce lycée ne rêvaient pas tous de devenir un proviseur aussi rabat-joie que lui.
Cela faisait maintenant près d'un quart d'heure qu'il me récitait son charabia sur le fait que je sois si souvent en retard et que c'était « plus que décevant, ma chère ! ». Je m'endormais pratiquement sur ses mots, mais quitte à rater mes deux heures de sciences humaines, pourquoi pas.
Mon proviseur reprit une grande inspiration, avant de se redresser.
— Mademoiselle Evans, si je vous convoque ici, ce n'est pas seulement pour parler de vos retards. C'est aussi pour discuter de l'équipe de natation...
Là, je tendis l'oreille.
Cela faisait bientôt six ans que je pratiquais la natation, et ce sport était devenu une passion. C'était d'ailleurs pour cette seule raison que j'étais allée dans ce lycée de Bourges. C'était le seul lycée privé de Glasgow à posséder une équipe de natation de haut niveau, en plus d'être très calqué sur le système anglais.
La natation était pour moi une façon de m'évader du monde de tous les jours, des problèmes et des émotions indésirables. J'aimais ce que me procurait le fait de nager et pour rien au monde je n'arrêterais de pratiquer ce sport. Alors ce n'était pas l'avis de ce vieux crâne d'œuf qui allait m'arrêter.
— Et après consultation de vos notes, nous avons pu remarquer que...
— Nous ? le coupai-je.
— Et bien, Mademoiselle Buckley et moi, bien évidemment, ma chère.
— Kate ? Mais qu'est-ce qu'elle a à voir là-dedans ? De quel droit se permet-elle de donner son avis sur mes notes, rétorquais-je. Cette fille me dét...
— Non Mademoiselle Evans, Kate Buckley s'inquiétait pour vous, ce que je peux tout à fait comprendre de la part du chef de l'équipe des Sharks. Nous avons donc pu en conclure, que vos notes sont en chute libre, et que vous ne pouvez pas rester dans l'équipe tant que cela ne change pas. Elle a fait ce qu'il fallait ma ch...
En un instant, une bouffée de chaleur m'envahit. À ce moment-là je me sentis rougir de colère et c'est sans réfléchir que je me relevai et donnai un coup sur la table, un peu trop osé. Je lui coupai la parole :
— Ah oui "mon cher" ?! Eh bien, vous direz à Mademoiselle BUCKLEY qu'elle peut aller se faire...
Je m'arrêtai net.
Je me rassis quand j'eus remarqué les yeux écarquillés de Monsieur Darkoff, littéralement sur le cul. Je n'arrivais pas à savoir s'il était en colère ou tout simplement outré de mon intervention. J'appréhendais sa réaction alors je décidai de m'excuser.
— Excusez-moi Monsieur, je...
Je m'arrêtai quand je remarquai qu'il était en train de noter quelque chose sur un papier que j'avais du mal à distinguer, quand je compris alors ce que c'était. Il me tendit le papier sur lequel il avait gribouillé.
— Voilà ce que vous avez gagné MA CHÈRE ! Deux heures de colle ! Pour votre retard et votre stupide insolence ! Et ce soir immédiatement ! Vous feriez mieux de vous tenir à carreaux et de remonter vos notes, jeune fille, ou vous pourrez dire au revoir à l'équipe de natation ! Allez-vous-en !
— Monsieur, je finis à 17 heures ! Je...
Il me coupa encore une fois.
— Et bien, ce sera 19 heures pour aujourd'hui ! Allez à la vie scolaire pour qu'ils enregistrent ça et qu'ils préviennent votre famille.
C'était bien la première fois que je voyais le proviseur dans cet état. Je compris donc que j'étais allée trop loin. Si j'en venais à quitter l'équipe je... Non, ce n'était pas envisageable.
"Kate Buckley, tu as déclaré la guerre"
-
Cela faisait maintenant près de dix minutes que j'attendais devant la vie scolaire. La pause avait déjà commencé et le couloir était envahi de petits prétentieux. Glissez-vous dans une de leurs discussions et vous verrez que la seule chose qui les intéressait, c'était de parler du prix de leurs nouvelles chaussures ou de débattre sur la prochaine couleur d'ongles à faire à leurs innombrables rendez-vous chez l'esthéticienne. Oui, inintéressant.
Je ne dis pas que je n'aime pas faire du shopping ou prendre soin de moi, non. Simplement qu'ils en faisaient trop pour être un minimum jolis.
J'étais née dans une famille pauvre, ma mère n'était qu'une simple secrétaire chez Buckley Industries qui ne gagnait même pas le salaire minimum. Ah oui, Buckley, vous avez bien entendu. Buckley comme cette garce de Kate Buckley, exact. Ma mère travaillait en tant que secrétaire dans l'entreprise de son père. Dan Buckley, le plus grand homme d'affaires de toute la nation d'Écosse. Son entreprise, Buckley Industries, faisait des milliards de chiffres d'affaires. Et je peux vous dire que les jumeaux, eux, ne manquaient pas de le crier sur tous les toits.
Ils avaient beau gagner des milliards, ma mère elle, n'avait qu'un salaire à trois chiffres. Mon oncle m'a toujours dit que c'était à cause de ses origines françaises. Au début je trouvais ça très excessif comme raison et je n'y avais pas cru. Mais je n'en trouvais finalement pas d'autre.
Enfin bref, tout ça pour dire que je n'étais pas née avec la même valeur de l'argent que toutes ces personnes. Et même si aujourd'hui je grandissais dans la famille aisée de mon oncle, je préférais garder cette notion. Et puis, ne croyez pas qu'il fallait de l'argent pour pouvoir avoir du flow. Les personnes ici achetaient des pulls parce que c'était ceux de la dernière collection Dolce & Gabanna, peu importe la couleur hideuse ou la matière inconfortable. De mon côté, une belle écharpe de la friperie valait beaucoup mieux qu'un bout de tissu de chez Chanel.
Une fois que le surveillant eut enregistré ma colle, je décidai d'aller profiter du reste de ma pause avec Stan qui avait sûrement dû se demander où j'étais passée pendant ces deux heures. Je me dirigeai alors vers mon casier sur lequel Stan s'appuyait. D'après ce que je voyais, Stan n'avait pas non plus fait d'effort concernant sa tenue, et cela me rassurait de voir que nous étions deux dans la même merde.
— Ma petite poule en sucreee ! me moquai-je.
Il sursauta suite à mon intervention.
— Eh ! Arrête ça, t'es dingue, la honte... me répondit-il avant d'esquisser un grand sourire à la vue de mon état. Ma choupinettee adorée !
— Tu m'expliques, les lunettes de soleil ? lui demandai-je en pointant le bout de son nez. Hier il faisait beau mais aujourd'hui...
— Ah ouais euh... Cette aprem' ils annoncent un grand soleil apparemment.
— Mh... Si tu le dis, lui répondis-je perplexe, avant de lever la main afin de les lui ôter. Mais en attendant enlève-les, t'es au lycée gros.
Mais il me repoussa. Ce à quoi je ne fis pas attention, beaucoup trop occupée à fusiller Kate du regard. À cinq casiers de nous, elle et sa bande de pétasses rigolaient comme des poules. De vraies petites filles. Je fixais cette garce d'un regard sanglant. Et Stan avait déjà compris ce qu'il pouvait se passer à ce moment. Les rires perçants de cette poufiasse et de ses copines me montaient de plus en plus. Et après son sale coup, je me sentais obligée de réagir.
Je partis alors dans sa direction, ce qui n'avait pas vraiment plu à Stan. Et il avait bien raison de s'inquiéter. La dernière fois qu'on s'était adressé la parole, Kate et moi, on en était venues aux mains et on avait bien failli rentrer chez nous sans cheveux. D'ailleurs, ça nous avait couté quatre heures de travaux d'intérêts généraux, une horreur. Enfin comme vous avez pu le remarquer, Darkoff était aussi le roi des sanctions.
En arrivant à son niveau, je claquai brutalement son casier.
— Bravo Kate, tu es fière de toi ? Très ingénieux le coup des mauvaises notes.
Elle me regarda de haut en bas avant d'esquisser un sourire narquois. Je le détestais celui là.
— Tu t'es habillée dans le noir ma belle ? se moqua-t-elle, ce qui ne manqua pas à son troupeau de copines qui s'esclaffaient.
— Accroche-toi ma grande. Que la meilleure gagne, lui dis-je d'une voix emplie de haine.
— Tu penses faire peur à qui, chérie ? me demanda-t-elle d'une voix moqueuse, en sortant la lèvre.
« Chérie ! », son intonation résonnait dans ma tête. Une bouffée de colère m'envahit soudainement. J'allais péter les plombs.
J'vais la gifler, cette timpe.
Sans réfléchir, je levai la main pour aller lui coller la tarte du siècle. Mais c'est une main rude qui me stoppa dans mon élan en m'agrippant le poignet.
À ce moment-là, je me rendis compte de ce que j'étais sur le point de faire. Ma colère avait bien failli encore une fois prendre le dessus. Je n'avais pas su la gérer. Je pris alors une grande inspiration, avant de tourner la tête vers la personne qui m'avait stoppée. Cameron, bien évidemment. Le fameux « frère protecteur ». Je lui faisais maintenant face, et son regard bleu persistant me fit comprendre que j'étais allée trop loin, encore une fois. Je dégageai alors ma main et tournai les talons pour rejoindre mon casier où Stan restait bouche bée, et en avait carrément perdu ses lunettes.
— T'es cinglée ? me dit-il. T'as oublié tes mille et une leçons sur la gestion de la colère et tout le tralala ?
J'allais lui répondre, mais je remarquai le regard de Stan qui était maintenant à découvert, ce qui me coupa le souffle. Il avait les yeux tout bouffis, ils étaient rouges et soulignés par des cernes qu'on ne pouvait pas louper. On aurait dit, qu'il n'avait pas dormi depuis des jours.
— Stan ? Ils ont quoi tes yeux ? lui demandai-je.
— Oh ! Rien je... Merde, dit-il en ramassant ses lunettes qui étaient tombées à ses pieds. Ce n'est rien je... j'ai mal dormi.
Son excuse n'était pas très convaincante mais je décidai de ne pas plus creuser pour le moment, même si je commençais à m'inquiéter pour mon meilleur ami.
— Nan sérieux Em. Tu es de plus en plus nerveuse en ce moment, me dit-il, sûrement pour changer de sujet.
Mon plus grand défaut, c'était ma nervosité. Depuis mon plus jeune âge, il m'arrivait de péter un câble très souvent, et pour des choses qui n'étaient pas si graves que ça. Mais avec le temps et quelques séances chez le psychologue, j'avais su apprendre à la gérer. Mais je vous assure, qu'auparavant, j'étais une vraie tornade.
En classe de maternelle, j'avais déchiré le doudou d'une petite fille qui m'avait volé mon goûter, et en primaire, j'avais cassé le pouce d'un garçon qui m'avait lancé son ballon dans la figure. Enfin bref, vous avez bien compris, j'étais une nerveuse. Et ça m'avait bien coûté des heures et des heures chez le psychologue pour apprendre à gérer tout ça. Maintenant, cela faisait bientôt deux ans que je n'y allais plus. Ma psychologue avait jugé que ce n'était plus nécessaire de continuer, qu'à partir d'un certain âge j'avais atteint assez de maturité pour savoir ce qu'il était correct de faire ou non et que tant que je suivais bien ses conseils tout se passerait très bien. Mais depuis quelques jours, j'arrivais de moins en moins à me contrôler. Et ma nervosité à mon âge se traduisait par de l'insolence, accompagnée de légères violences.
Les cours allaient reprendre dans cinq minutes. Je me précipitai donc à mon casier pour récupérer mon livre de maths et ranger celui de sciences humaines qui ne m'avait finalement été d'aucune utilité. Mais j'avais oublié l'état dans lequel il était. Quand je l'eus ouvert, mes livres étaient encore une fois tombés à mes pieds. Dans un soupir, je me baissai pour ramasser tout ça avec l'aide de Stan, quand une feuille pliée, coincée sous le tas de livres attira mon attention.
Je la saisis, l'ouvris et lus ce qui y était inscrit:
˼͝ʹ͜∙͜͡ ˓𝑀𝑎𝑛𝑔𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑙'𝑎𝑖𝑙, ç𝑎 𝑟𝑎𝑗𝑒𝑢𝑛𝑖𝑡 𝑙'𝑜𝑟𝑔𝑎𝑛𝑖𝑠𝑚𝑒, 𝑒𝑡 ç𝑎 é𝑙𝑜𝑖𝑔𝑛𝑒 𝑙𝑒𝑠 importuns ..˓̇͜∙͡ʹ͜˻͝ ِ
V.H
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top