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Mon corps est encore engourdi de crampes après ces deux jours d'entraînement intense, et nous sommes déjà mardi. Je m'étire encore plus loin, la tête touche presque mes pieds. Mes petits exercices d'étirement auraient pu paraître normaux si je ne les faisais pas en plein déjeuner. J'allonge ma jambe sur le fauteuil et pioche un petit kimbap. C'est la première fois que je mange seule dans ce restaurant coréen. D'habitude, je viens accompagnée de Noémie ou même parfois de mes frères. Ces fauteuils rouges me rappelle des moments joyeux, avant que nous commencions nos études. Dehors, il fait encore gris et j'ai l'impression que mon humeur suit la météo. Plus il fait gris, mieux je me porte ; et si il pleut, c'est presque l'extase. Je fixe les gouttes de pluies qui glissent le long de la vitre. Soudain, ma poche vibre. Je ferme les yeux. Oh non pas encore ! Ma mère m'a déjà envoyé une dizaines de messages en a peine cinq minutes. Mais lorsque j'allume mon téléphone, ce n'est pas elle. C'est Adil. Bien sûr...Son message est court mais direct : où est ce que tu manges ? Je souris, mon pouce au dessus du clavier. Je ne me pose pas trente six mille questions ; il n'est que 12h, il me reste encore du temps pour me prélasser à table. Je pianote rapidement un message et me penche en arrière, les yeux rivés sur le plafond noir parsemé de ronds rouges.
Quand je baisse la tête jusqu'à toucher mon ma poitrine avec mon menton, je vois Adil faire la grimace lorsqu'il baisse les yeux sur mon plat. Puis il regarde ma boisson, et froisse son nez droit. Je lève un sourcil et croise les bras.
- T'as un problème avec les restaurant asiatiques ? Je lui lâche en le fixant.
Il s'affale sur le fauteuil juste en face de moi. Puis, d'un geste brusque, il pioche une de mes baguettes et l'enfonce dans un des petits kimbap. Je me redresse, faisant craquer mes épaules. J'avoue que je n'aime pas lorsqu'il se comporte brutalement, comme si tout l'agaçait.
- C'est chelou, me dit-il. Et puis, je n'aime pas trop les sushis.
- Alors pourquoi t'es venu ?
Il me fixe d'un regard dur. Sa main lâche la baguette.
- Tu veux que je dégage ?
- Bah c'est toi qui vois hein, je lâche en buvant ma boisson verdâtre. Tu fais ce que tu veux.
Il pousse la table, visiblement vexé. Je ne bouge pas, et continue à boire en le fixant d'un oeil curieux. Je me rends compte qu'en vérité, Adil est encore un inconnu pour moi. Ces gestes brusques et incontrôlés cachent quelque chose. De profond. Ou alors je m'imagine des choses pour essayer de garder un certain contrôle sur notre relation. Comme d'habitude, Anna, comme d'habitude. Il se lève d'un coup et me tourne le dos.
- Hé ! Je l'interpelle et j'attrape précipitamment mes affaires.
Je regarde mon repas à peine terminer. Je ferme la boîte en carton et la fourre dans mon Eastpack noir. Je le suis dehors, après avoir bafouillé un "au revoir merci" à la serveuse qui m'a apporté mon repas. Il pleut assez fort dehors. Des grosses gouttes me tombent sur la tête soudainement. Je ne m'attendais pas à finir trempée au bout de quelques minutes.
- Adil attends ! Je crie, le voyant déjà loin.
Je trottine vers lui, qui a la capuche lui recouvrant le visage. La mienne s'envole toutes les trente secondes et je laisse finalement tomber. Il s'arrête tout à coup. Dans mon élan, je me cogne contre un homme, qui me crache des insultes à la figures. Puis il passe son chemin rapidement en me lançant un regard noir. Mes mains s'agrippent à mon sac comme une bouée de sauvetage.
- J'suis venu simplement parce que je voulais te voir, lance Adil d'un ton morne, les mains dans les poches. J'avais même pas faim d'ailleurs. Et puis, je savais très bien que c'était un restaurant asiatique. Je suis venu pour toi, ajoute-t-il plus bas.
Je le pousse doucement sous un arrêt de bus, le cœur ballant. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce qu'il me sorte une confession pareille. Il baisse sa capuche. Je plonge mon regard dans le sien.
- Je n'ai jamais dis que je voulais que tu dégage, je lui assure d'une voix neutre. Je t'ai juste exposé les faits : tu viens, alors tu fais ce que tu veux. C'est tout. C'est comme ça que je vois les choses.
Puis sans prendre le temps d'attendre sa réponse, je sors ma boîte de kimbap et en fourre un dans ma bouche. Je vois, du coin de l'oeil, Adil esquisser un petit sourire. Puis il en pioche un, et nous restons pendant un moment là, sur le banc de l'arrêt de bus, sous la pluie battante.
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- Et puis là, j'ai sauté tellement haut que j'ai cru que je n'allais jamais redescendre. Enfin, pas entière tu vois. 'Pis y a eu une bosse, puis deux, et je me suis ramassée comme une vielle chaussette sale. Je me suis pas mal écorchée. Mais le pire c'est que j'étais vraiment fière de moi. Parce que j'ai battu mon propre record. Et ça, c'est génial.
Il est presque 13h mais je continue à parler inlassablement. Adil m'écoute avec une attention enfantine. J'aime bien voir ses yeux s'agrandir puis briller, au rythme de mes récits d'aventure farfelues. Ça m'apaise. Puis, une fois sans mot, je me tourne vers lui.
- Aller, à toi maintenant ! Raconte une anecdote.
Son visage se referme lentement et il détourne la tête. A chaque fois que j'évoque sa vie, son passé ou ses émotions, il se referme comme une huître.
- Tu dois aller en cours, lâche-t-il. T'es déjà en retard.
Je soupire. Il a raison mais pour une fois, je me sentais bien avec quelqu'un d'autre que Noémie ou mes frères. Je n'avais pas peur de dire quelque chose de travers ou d'en dire trop.
- Je serais prête à sécher les cours, je lui assure. Ça ne sera pas la première fois.
- Va y, insiste-t-il, c'est important ta première année. Surtout pour des études de médecine.
Deuxième soupir. Je referme mon sac d'un coup sec. Mais je ne me lève toujours pas.
- Juste une phrase, je continue. J'sais pas raconte quelque chose que je ne sais pas sur toi.
Il se décale, creusant un écart entre nous. Je me rends compte qu'il s'est encore plus tendu. Il semble retenir sa respiration.
- Ça te sers à quoi Anna ? Murmure-t-il en croisant ses bras.
- A mieux te connaître, je lui répond. Oh sérieux quoi, je t'ai raconté l'une de mes chutes à vélo les plus extrêmes, j'ajoute en plaisantant.
Je me rapproche de lui, jusqu'à presque le toucher avec mon épaule.
- Je suis bipolaire, lâche Adil d'un ton grave. De type maniaco-dépressif.
J'ouvre la bouche, puis la referme, à court de mot. Je regarde mon téléphone. 13h24. Je ne bouge toujours pas. Qu'est ce que...?
- Tu ne me regarderas plus de la même façon n'est ce pas ? Bafouille-t-il en secouant ses mains.
Je les fixe. Je n'ai toujours pas compris pourquoi il tremble autant des mains. Il doit sûrement prendre un traitement. A moins qu'il fume ou se drogue ? Wow Anna on se calme !
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je suis malade Anna, continue Adil en se tournant complètement vers moi. Pour ne pas dire fou, je suis atteint d'un trouble du comportement qui dérègle aussi mes émotions. Ça ne sert à rien de lutter, quand le combat est déjà fini.
Il reste un moment à me dévisager mais je n'ose pas croiser son regard. J'ai peur de trahir mes propres pensées, mes propres émotions. Et, lorsqu'il se lève, je n'essaye même pas de le retenir.
Bordel...Bipolaire ?!
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