Y Chapitre 19.
Le sablier s'écoulait lentement, grain par grain, comme si son diaphragme avait rapetissé par une force inconnue. Chaque seconde emportait Dipper dans les abysses de son malheur, mètre par mètre. Il ne luttait pas pour remonter à la surface. Il se laissait couler, se noyant dans sa solitude qui lui brûlait les poumons. Il avait besoin d'air mais son oxygène s'était évaporé comme par enchantement. Ses oncles, ses amis et sa sœur n'étaient plus là pour le maintenir en vie.
Qu'est-ce qu'il n'aurait pas donné pour les rejoindre ?
Dipper s'était cloisonné dans sa chambre, ne supportant plus l'idée de croiser ses oncles de pierre et le cadavre de sa jumelle au rez-de-chaussée. Quand il y allait, c'était pour grignoter quelque chose dans le réfrigérateur. Il détournait les yeux pour ne pas les voir.
Il se répétait en boucle la mort de Mabel, son étoile dans la nuit noire. Mais elle avait quitté le ciel, s'étant métamorphosée en étoile filante. La voûte céleste paraissait bien vide sans elle.
Sa perte l'avait beaucoup affecté, bien plus que la mort de tous ses proches réunis. Mabel n'était pas n'importe qui. Ce n'était pas une simple sœur. C'était sa jumelle, sa moitié. Ils avaient toujours tout partagé ensemble depuis leur plus tendre enfance. Ils dormaient ensemble, faisaient leur devoir ensemble, jouaient à toute sorte de jeu ensemble. Quand l'un se faisait embêter, l'autre le défendait et le réconfortait. Ils se protégeaient mutuellement quand le monde se retournait contre eux.
Ils ne s'étaient jamais quittés et Dipper avait toujours redouté le jour où ils deviendraient adultes, où ils rencontreraient leur âme-sœur et auraient peut-être des enfants. Il avait peur que leur relation se désagrégeât, qu'ils ne se virent plus aussi souvent, qu'ils firent leur vie chacun de leur côté. Il n'avait jamais osé lui en parler, il avait gardé ce doute au plus profond de lui.
Désormais, il ne la reverrait plus jamais. Il l'avait perdue et il ne pourrait plus la serrer dans ses bras, la rassurer quand elle se sentirait mal, la protéger des délinquants qui lui tourneraient autour. Elle qui rêvait du prince charmant, elle refusait de s'offrir à une personne qui n'éprouvait rien de plus que de l'attirance à son égard. Combien de fois s'était-il interposé entre ces brutes et sa jumelle, prêt à ajouter des coups dans leur échange, malgré le fait que tout le monde savait (lui le premier) que ses poings ne seraient jamais assez puissants pour tous les rétamer ? Combien de fois s'était-elle réfugiée dans ses bras pour oublier ses problèmes ?
Pourquoi n'avait-il pas été capable de la protéger d'une mort certaine ? S'il avait réfléchi plus sérieusement au sujet d'une élimination de Bill, s'il avait avoué plus tôt la renaissance de ce démon pour se préparer à la menace, peut-être aurait-il pu le tuer avant qu'il ne tuât sa sœur ?
La culpabilité le dévorait et il se créait des scénarios, s'imaginant comment cela aurait-il pu se passer s'il avait accompli telle ou telle action. Mais cela ne servait à rien. Il était trop tard et il n'avait pas le pouvoir de revenir en arrière. Les personnes qu'il aimait avaient disparu et il ne pouvait rien faire de plus que de s'en vouloir de n'avoir rien fait.
Il se dégoûtait. Il n'avait rien fait. Et il en payait les conséquences à ce jour. À cause de lui, ils étaient décédés. Il s'en voulut encore plus en constatant qu'il ressentait un besoin égoïste : leur mort n'était pas le problème. Ce qui l'était, en revanche, était qu'il se retrouvait seul au monde. Il ne pensait qu'à lui et à son bonheur. Au final, il se persuadait qu'il méritait les pires châtiments pour avoir pensé de la sorte !
Il n'avait même plus l'envie de rendre la monnaie de sa pièce à Bill. Sa haine s'était orientée vers lui-même. Un passé avec de bons moments et un avenir où ils ne pourraient pas en construire d'autres le démoralisaient. Il voulait simplement mourir. Rejoindre ceux qu'il aimait.
Dipper entendit alors des pas gravir les escaliers. Il se redressa, en position assise, attendant que l'inconnu - même s'il savait pertinemment de qui il s'agissait - ne daignât actionner la poignée de la porte.
Bill apparut avec ce même sourire qui l'énervait. Pour autant, cette fois-ci, cela ne l'agaça pas. Il ne parvenait pas à éprouver quoi que ce fût à son sujet. Il était profondément détruit. Bill avait accompli sa vengeance avec succès.
- Bonjour Pinetree ! salua-t-il joyeusement, s'aidant vaguement de sa canne pour se déplacer jusqu'à lui.
Dipper ne répondit pas, le regard vide. Il se fichait de savoir la raison de sa venue. Il désirait simplement se retrouver seul le plus tôt possible. Il préférait ruminer son malheur dans son coin, seul.
- T'as l'air dans le mal, p'tit gars.
Comme si ce n'était pas évident ! Il se contenta de le fixer d'un œil morne. Il n'avait pas la motivation de rentrer dans son jeu. Bill soupira en se laissant tomber sur le lit, à ses côtés.
- T'es pas marrant, aujourd'hui.
Il lui lança un regard ennuyé. Mais Dipper s'en fichait. Il n'était pas d'humeur.
- Rends-toi utile pour une fois. Et achève-moi.
Il lui avait demandé cela avec un mélange de dédain et de fatigue dans la voix. Ils échangèrent alors un long regard. Dipper ne céda pas. Il voulait simplement mettre un terme à ce poids qu'il avait dans la poitrine et qui l'affaiblissait petit à petit de jour en jour. Mais Bill ne parvint pas à garder son sérieux et éclata de rire.
- Toi ? Je te rappelle que si tu meurs, personne ne pourra m'arrêter. Je deviendrai le nouveau maître de ce monde !
- Parce que tu crois que je pourrai t'arrêter, moi ?
Le démon fit mine de réfléchir, tapotant son index contre son menton.
- Mmh... Tu as raison. C'est juste que tu es mon jouet préféré, alors ça me fait bizarre que tu me fasses une demande aussi insensée.
Bill se leva, abandonnant le lit derrière lui.
- Et moi qui te croyais d'une détermination sans faille, prêt à me stopper par tous les moyens !
Dipper pensait aussi être ce genre de personne. Mais une fois en situation de crise, on révèle notre vraie facette. Et dans son cas, il se dégonflait. Il ne pouvait rien faire pour le stopper alors à quoi bon s'acharner en connaissant à l'avance l'issue qui en résulterait ? Soudain, Bill se tourna vers lui, tout sourire.
- Je te propose un marché.
Dipper plissa les yeux, loin d'être convaincu par ce qui allait suivre.
- Je peux ramener à la vie tes oncles, tes amis et ta sœur, si c'est ce que tu veux.
Une lueur d'espoir traversa les prunelles assombries de l'adolescent qui l'observa avec grand intérêt. Mais une phrase passa furtivement dans son crâne.
"Ne fais confiance à personne."
Il se souvint du premier pacte qu'ils avaient passé. Il l'avait trahi en le manipulant à sa guise.
- Tu dis n'importe quoi. Comment veux-tu que je te fasse confiance ?
- Tu doutes de mes pouvoirs, Pinetree ?
- Non, je doute de tes intentions.
Son petit sourire fripon lui donna raison.
- Oh mais en échange, il faudra que tu répondes à mes conditions.
Le garçon fronça les sourcils. Il allait encore lui jouer un sale tour. Mais l'enjeu l'intéressait au plus haut point. Retrouver Mabel, Oncle Stan et Oncle Ford ? Rien ne pouvait plus le captiver. Il s'accrocha à ce seul espoir quand il demanda :
- Qu'est-ce que tu veux en échange ?
Ravi par sa question, Bill plissa les yeux en passant sa langue sur ses lèvres.
- Je ramène tout le monde et je m'engage à ne leur faire aucun mal. En échange, je veux que tu deviennes mien.
L'adolescent haussa un sourcil, ne comprenant pas en quoi consistait cette demande.
- Pour faire simple, tu te lieras à moi. Si je meurs, tu mourras avec moi. Et j'exige que tu répondes à tous mes désirs.
L'enjeu était trop grand. Il savait qu'en acceptant, il conduirait le monde à sa perte. Toutefois, il prit le temps de réfléchir sérieusement à la question. Son seul souhait était de retrouver sa jumelle et ses oncles. Et il avait une chance que ce souhait se réalisât.
Comment refuser ?
Bill tendit sa main qui s'enflamma d'une braise bleue éclatante, son sourire cynique ourlant ses lèvres.
- Alors ? Qu'est-ce que tu en penses, Pinetree ? À prendre ou à laisser ?
Il fixa sa longue main avec grand intérêt, manquant de se brûler la rétine par tant de clarté. Son choix était fait.
Il leva sa paume à son tour et la referma autour de la sienne, déterminé.
- Marché conclu.
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