T Chapitre 14.

Assis sur le rebord de l'oriel, Dipper observait à travers la vitre de la chambre les hauts conifères qui se prolongeaient sur plusieurs kilomètres. Malgré la magnificence de la nature, son esprit était captivé par des pensées obscures.

Il repensait sans cesse à Wendy, à la façon dont le massacre s'était déroulé. Il avait assisté à toute la scène mais n'avait rien pu faire pour la stopper. Si seulement Bill n'avait pas volé son corps... Si seulement il ne l'avait pas mis en colère en tentant de récupérer son anatomie... Peut-être que les Corduroy seraient tous en vie ?

Les sanglots et les cris de souffrance de Wendy lui revinrent en tête comme un revers de boomerang. Il la regardait sans bouger. Elle s'accrochait comme à une bouée de sauvetage à la chemise de son père, le nez enfoui dans son col. Les larmes chaudes roulaient sur ses joues parsemées de taches de rousseur. Tout son corps renvoyait des signaux de détresse. Dipper aurait tellement aimé la prendre dans ses bras, la réconforter. Quand il s'était approché, elle s'était brusquement redressée, les vaisseaux sanguins rougeoyant dans la sclérotique de ses yeux. Elle avait l'allure d'une bête sauvage effrayée, et le garçon se sentait comme le coupable d'un acte qu'il n'avait pas commis. Dans son regard, il y avait la haine. Elle était prête à le dévorer pour ne laisser plus aucune trace du meurtrier de sa famille.

- Wendy... Je-

- Tais-toi ! Je ne veux plus te voir ! Dégage !

- Wendy... Laisse-moi t-

- J'ai dit : dégage !!! Monstre !!!

Son hurlement l'avait fait sursauter. Le qualificatif qu'elle avait choisi lui avait profondément fait mal. C'était injuste. Il n'avait rien fait et pourtant, elle reportait la faute du réel coupable sur lui.

- Écoute-moi... Ce n'était pas moi !

Elle s'était levée hâtivement et s'était précipitée sur lui, l'attrapant par le col. Elle l'avait soulevé de quelques centimètres. Il tenait désormais seulement sur la pointe des pieds. Elle était toujours plus grande que lui et à force d'aider son paternel à transporter les bûches de bois, elle avait développé une plus grande force physique que lui (avec un palmarès qui se résumait à ne soulever que des livres le plus clair de son temps). Pour ne pas trop laisser place à la douleur, il avait apporté ses mains à ses poignets afin de trouver une contenance. Il voulait continuer mais elle l'avait devancé, rageusement.

- Quelle connerie ! Tu crois réussir à me duper alors que j'ai assisté à toute la scène !!!? Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang !!!?

Avec force, elle l'avait repoussé jusqu'à ce que son dos heurtât le mur. Elle le fusillait du regard et crachait presque le cours de ses pensées.

- Réponds, bordel !!!

Il s'était pincé les lèvres. Elle n'aurait jamais accepté ses excuses, c'était certain.

- Ce n'est pas moi qui ai fait ça, avait-t-il répété, resserrant sa poigne autour de ses poignets.

- Ah !? Et qui d'autre !?

Elle ne tenait plus et lui avait donné une vive gifle qui avait fait rosir sa peau.

- Connard !!!

Elle l'avait attrapé par les cheveux et l'avait poussé pour qu'il se retrouvât à terre. Elle avait reculé de quelques pas, le regard méprisant. Dipper avait remarqué le mouvement furtif de son iris qui s'était dirigé vers l'arme du crime à quelques mètres de là. L'affect l'empêchait de raisonner. Si elle se calmait, elle pourrait l'écouter et comprendre l'ampleur du problème qui surplombait leur tête. Mais la rage la transformait en bête impulsive. Dans un coup de sang, elle avait pu le tuer. Et honnêtement, comment pouvait-il juger ? À sa place, il en aurait fait tout autant. À vrai dire, il la laisserait peut-être faire. Même si ce n'était pas lui qui avait assassiné sa famille de ses propres mains, la culpabilité lui répétait sans cesse qu'il en était à l'origine. Peut-être même que Bill stopperait son plan machiavélique s'il mourrait tout de suite ? Seulement, Wendy s'était éloignée, le laissant reprendre les pieds sur terre. Dipper caressa sa gorge en toussant comme un forcené. Même sans cette hache, elle aurait pu l'étrangler avec sa force incommensurable.

- Sors d'ici avant que je ne te fasse subir le même sort qu'à ma famille.

Elle s'était détournée de lui et avait commencé à s'éloigner en faisant les quatre cents pas. Elle avait soupiré longuement en passant ses mains sur son visage pour ensuite peigner ses cheveux de ses doigts en les ramenant en arrière.

- Je sais même pas ce qui me retient d'appeler les keufs. 

Dipper avait hésité entre obéir sur le champ à sa volonté de partir et tenter une ultime justification. Il s'y était risqué. Il n'avait même pas cherché à formuler une phrase cohérente. Un seul mot suffisait. Un seul nom.

- Bill.

Elle s'était retournée, le sondait longuement. Dipper avait accepté de se mettre à nu. Elle ne détenait aucun pouvoir télépathique à sa connaissance mais elle cherchait à s'immiscer dans les méandres de son esprit. Finalement, un rictus avait crispé le bord gauche de sa lèvre, le regard au bord des larmes. Elle n'avait pas encore libéré les vannes, mais cela ne saurait tarder.

- Alors, il n'y a plus aucun espoir.

Au final, il avait perdu une précieuse amie pour des raisons dont il n'était pas le responsable. Après cela, elle s'était dirigée vers la cuisine pour se servir un verre d'on ne sait quel alcool fort. Elle l'avait englouti cul sec, avait reposé bruyamment son verre sur le comptoir et déclaré qu'elle ne voulait plus le voir, qu'elle ne voulait plus voir personne. Dipper avait tenté de la raisonner, mais c'était peine perdue. "Dégage", a-t-elle craché. Il avait quitté la maison sur ces mots, non sans un regard triste en arrière. 

Ce fut sur ces sombres pensées qu'il descendit rejoindre ses oncles et sa sœur. Ils étaient dans le salon comme à leur habitude. Oncle Stan regardait la télévision tandis que son frère griffonnait dans un carnet des informations sur la table basse. Mabel, quant à elle, jouait aux cartes avec Dandinou. Contre toute attente, c'était le cochon qui gagnait la partie.

- Salut mon garçon ! interpella Stanley, le bras levé.

Dipper lui sourit, le visage crispé par un vent malfaisant. Il observa le petit monde puis se rendit compte que quelqu'un manquait à l'appel.

- Il est où, Soos ?

Son oncle haussa les épaules, les yeux rivés sur l'écran qui diffusait un film de cow-boys.

- Il doit avoir des occupations. Il est souvent en déplacement.

- OK. Je vais faire un tour dehors.

- Ne vas pas trop loin, surtout, avertit Oncle Ford qui le sondait d'un œil inquiet.

- Ne t'en fais pas. Je vais juste regarder les écureuils.

Il ferma la porte derrière lui, plaça ses mains dans les poches de son blouson, rattrapé par la fraîcheur de l'extérieur. Cela lui faisait presque étrange de retrouver les sensations du vent et des rayons du soleil contre son visage. En étant à l'état spectral, il était immunisé contre ces impressions qui permettaient aux êtres humains de se rendre compte qu'ils étaient vivants.

Il passa les premiers arbres et continua sa route. Il se décida à s'arrêter quand il repéra un tronc d'arbre à l'horizontal figé au sol. Il s'approcha dans l'optique de s'y installer mais il sentit comme une présence derrière lui. Il pensa tout d'abord à une créature sylvestre mais quand il sentit deux bras l'entourer par derrière, il comprit de qui il s'agissait.

- Ah..., soupira la personne. Tu m'as tant manqué, Pinetree.

- Ce n'est pas réciproque, Bill.

Il sentit un menton se réfugier sur le haut de son crâne tandis qu'une main s'amusait avec les bouclettes de ses cheveux bruns. Il le laissa faire, ne se sentant pas de taille à le confronter. Il était épuisé, le moral à zéro. Les souvenirs de sa séparation avec Wendy lui revenaient sans cesse, fissurant son cœur déjà bien amoché. Les deux bras le libérèrent et Bill se déplaça jusqu'à se retrouver face à lui, un large sourire aux lèvres.

- Comment tu me trouves dans ce corps ? Je te plais ?

En effet, il était très séduisant. Sa silhouette rappelant les grands magiciens, son visage fin et son regard perçant lui faisaient de l'effet. Toutefois, en se faisant observer de la sorte, dans l'attente d'une réponse, Dipper se sentit presque mal à l'aise.

- Qu'est-ce que ça change, que tu sois attirant ou pas ?

L'homme lui faisant face s'approcha doucement, se voulant d'une allure féline, et passa son index sous sa mâchoire.

- Pour mieux te troubler, mon enfant.

La référence à ce conte prononçait par le Grand Méchant Loup le rendit fébrile. Que lui voulait-il, au juste ?

- Je venais simplement pour t'avertir que j'ai récupéré mes forces et que désormais, mes pouvoirs sont à la même puissance qu'il y a six ans.

Son sourire suffisant inquiéta Dipper qui s'efforça de rester de marbre. Et quand il remarqua que son visage se rapprochait dangereusement du sien, il eut un mouvement de recul de la tête. Ils se dévisagèrent longuement, comme hypnotisés par les prunelles de l'autre.

- Mais même si cela ne signifie pas qu'ils sont à leur apogée, je suis capable de tout maintenant.

S'il le prévenait, cela signifiait qu'il avait des projets et cela ne le rassura pas du tout. Toujours souriant, Bill s'éloigna. Il lui tourna le dos et continua sa route à travers les bois.

 - Au fait !

Il pivota pour le regarder une dernière fois, un air malsain voilant son visage.

- Ça ne t'inquiète pas, la disparition soudaine de ton ami ? Mmh... Comment s'appelle-t-il déjà... ? Ah oui ! Soos Ramirez ?

Un soubresaut le prit de cours. Alors son absence n'était pas prévue ? La panique le submergea et il fit volte-face, fonçant au Mystery Shack, entendant toujours dans son dos le rire machiavélique du démon.

La situation était catastrophique. Il devait absolument en parler aux autres. Si jamais il ne le faisait pas...

...ils allaient tous mourir.

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