E Chapitre 13.
Non non non.
Comment était-ce possible qu'il se retrouvât derrière lui, ayant pris l'apparence d'un humain adulte ?
Dipper eut des difficultés à respirer avec la main gantée qui lui masquait la bouche et le nez. Les yeux grands ouverts, il s'efforçait à se calmer, sachant pertinemment qu'il ne serait pas capable de se libérer. Les larmes lui montèrent, la gorge nouée. Il chercha désespérément à prendre de longues inspirations mais cela lui semblait si difficile qu'il s'étouffait presque. Il crut mourir.
Malgré lui, ses épaules tremblaient. Il ferma les yeux, n'osant plus regarder la réalité en face. Si c'était bel et bien Bill dans son dos, collé à lui, il serait alors dans un bien malheureux pétrin.
Dans ses souvenirs, ce triangle démoniaque avait mentionné le fait qu'il n'avait pas récupéré la totalité de ses pouvoirs, or une transformation en demandait une quantité considérable. Avait-il finalement réussi à recouvrer toutes ses forces et était-il ainsi devenu une aussi grande menace que par le passé, six ans auparavant ?
Il devina les lèvres de l'homme derrière lui s'étirer en un grand sourire. Il ne pouvait pas le voir, et il ne le voulait pas, alors il maintint les yeux clos.
- Je sais qu'une kyrielle de questions t'assaille et je me ferai un plaisir de te répondre, mais pour l'heure, je préfère rester discret.
Il parlait à voix basse. Il devait certainement redouter le réveil de Mabel. S'il se mettait à crier, peut-être qu'il s'en irait ?
- Je t'avais prévenu que je serai rapidement de retour. Maintenant, sache que je ne te ferai pas de cadeaux.
Parce qu'il avait été clément jusqu'alors ? En quoi avoir exterminé toute la famille de Wendy avait-il été un acte de bienveillance ? Rien que d'y repenser, il se sentit hagard, plus lourd.
- Tu ne peux plus m'arrêter. Je suis bien trop puissant pour de simples mortels comme toi et ta famille. Et plus le temps passera, plus ma force décuplera.
Le bras qui le retenait par la taille relâcha sa pression pour passer sous le t-shirt de Dipper et caresser son ventre tendu à l'extrême.
- Ils vont tous mourir par ta faute, Pinetree.
La sentence le fit flancher. Son corps fut comme paralysé, mais il sentait bien que ce n'était pas dû au pouvoir de Bill. La chaleur oppressante qui l'entourait laissa place à la fraîcheur de la fin de soirée comme si on venait d'ouvrir la porte, frappé par un courant d'air. L'homme derrière lui n'était plus à ses côtés et son cœur se mit à battre plus vite jusqu'à pulser dans ses oreilles. Brusquement, il se mit à haleter, comme éjecté d'une terreur nocturne. Les mains à la poitrine, il se recroquevilla dans ses draps et tenta désespérément de retrouver son calme. Cela lui prit une bonne dizaine de minutes avant de se rendormir. Cette apparition avait eu l'effet d'un assommoir. L'angoisse retombée, il fut expédié dans un rêve plus réparateur que le précédent.
- Dipdip ? Tu vas bien ?
Finalement, la peur s'était propagée plus insidieusement qu'il ne le pensait et Dipper s'était réveillé au bout de trente minutes. Il restait là, fixant le mur, n'osant plus se retourner. Et si jamais il venait à retrouver dans l'autre lit le cadavre cramoisi de sa jumelle, les yeux écarquillés à la suite du défilé solennel de la Mort ? Il était resté dans cette position durant trois longues heures, attendant que quelqu'un vînt le sortir de sa torpeur. Sa sœur s'était approchée dès qu'elle fut sortie du lit. Elle avait tout de suite repéré l'aura sombre planant autour de son frère qui jouait les statues.
- Dipdip ? Je vois bien que tu ne dors pas.
Il se retourna vers elle, las. Ses yeux lui piquaient. Il avait mal partout. Mabel s'installa sur le rebord du lit, là où se trouvait Bill quelques heures plus tôt dans la nuit. Elle posa une main rassurante sur son épaule, le regard attentif.
- Que s'est-il passé, hier ? Tu n'as pas voulu en parler quand tu es rentré.
Oh. Le massacre des Corduroy ? Il avait presque oublié ce détail, bien macabre cependant. Non, ce n'était qu'un prologue, un avant-goût. La preuve, il ne s'en était pas directement pris à Wendy mais à sa famille pour qu'elle se mît à le détester à la place du vrai coupable, Bill, le démon sans-cœur. La prochaine fois, il n'irait pas par quatre chemins : il briserait tous ses proches, engloutissant leur âme savoureuse. Un frisson de peur le parcourut et il culpabilisa de nouveau pour toutes les choses qui l'avaient mené à cette situation désastreuse. S'il n'avait pas autant insisté pour revenir à Gravity Falls, s'il ne s'était pas rendu dans la forêt, seul, dans un endroit qu'il ne connaissait pas, il n'aurait pas trouvé la statue du démon scellée. Et enfin, il n'aurait pas commis la maladresse de lui prendre sa main tendue vers le ciel.
Une poussée de courage traversa furtivement son esprit et il voulut tout lui raconter. Que Bill était de retour. Qu'il avait été sous son emprise. Qu'à cause de lui, Wendy était devenue orpheline.
Mais il se ravisa. Tout le monde allait paniquer. Et ce déchaînement n'allait que les affaiblir. Bill en profiterait pour mettre son plan à exécution. Toutefois, d'un autre côté, était-ce une bonne idée de les laisser dans l'ignorance ? Dans ce cas aussi, ils seraient vulnérables.
Que faire, alors ?
Mabel se pencha vers son frère qui était toujours sur le dos, n'ayant cessé à aucun moment le contact visuel. Il était pris entre deux feux. Tout ça à cause de lui. Elle posa ses mains sur ses deux joues, accentuant leur jeu de regard.
- Tu peux tout me dire, tu sais ?
Il ne savait pas quoi dire, ni que faire. Le dilemme était trop lourd à supporter pour lui. Son mutisme résigna la jeune fille qui soupira en quittant son lit.
- Je suis à ta disposition quand tu veux, Dipper. Tu nous rejoins rapidement pour le petit-déjeuner ?
Elle referma la porte de leur chambre commune et il se retrouva en tête-à-tête avec la solitude. L'angoisse renaquit en lui. Il appréhendait l'apparition du démon qui obstruait toutes ses pensées.
En fin d'après-midi, Soos attendait debout devant la porte fermée de l'autobus, les bras chargés de sacs en carton remplis à ras-bord de boîtes de conserve et produits alimentaires en tout genre. Le véhicule approchait de l'arrêt de bus où il descendit. Il salua le conducteur qui reprit la route dans le sens opposé. En faisant face au Mystery Shack, il se retrouva confronté à un grand homme à la fine silhouette. Il portait un costume extravagant de couleur jaune, s'accordant parfaitement avec sa chevelure blonde tirant vers le noir de jais. Mais ce qui intriguait davantage Soos était son haut-de-forme qui surplombait toute sa splendeur. Le jeune homme le regardait dans les yeux, l'un d'entre eux masqué par un cache-œil.
- Tiens, il doit sacrément aimer la piraterie, pensa innocemment Soos.
Il lui sourit gentiment et le salua :
- Bonjour Monsieur. Vous avez besoin de quelque chose?
- Effectivement. Pour tout avouer, j'aurais besoin d'aide. Est-ce que vous êtes du personnel du Mystery Shack ?
- Tout à fait. J'en suis même le responsable. Que puis-je faire pour vous ?
Il frotta ses mains gantées l'une contre l'autre, un petit sourire poli pointant sur ses lèvres.
- Je chercherais une âme charitable qui pourrait me conduire au Lake Gravity Falls. Voyez-vous, avec cette forêt dense, j'aurais peur de m'égarer. Est-ce que cela vous dérangerait de m'y conduire?
Soos, en sa grande bonté, ne chercha pas plus loin et lui adressa un grand sourire.
- Bien sûr ! Je serais ravi de vous être utile. Laissez-moi poser ces sacs à l'intérieur et je suis à vous. Attendez-moi là.
Sur ce, il retourna précipitamment au Mystery Shack pour ranger les ingrédients fraîchement achetés, ravi de pouvoir rendre service. Très vite, il rejoignit l'homme excentrique et lui désigna l'entrée de la forêt d'un geste théâtral comme le ferait un serviteur à son maître.
- Je vous prie de me suivre.
Son sourire idiot rompit le charme de la situation mais l'inconnu ne sembla pas s'en soucier. Il le remercia et le suivit docilement à l'orée de la forêt.
Ils marchèrent durant de longues minutes en silence. Soos ne voulait pas trop s'introduire dans sa vie privée de peur de le brusquer. Pour ne pas se prendre la tête, il observa les petits animaux qui se cachaient dans leur terrier dès qu'ils s'apercevaient de leur présence. Cependant, au bout d'un moment, Soos se rendit compte que quelque chose n'allait pas. Il connaissait la forêt comme sa poche, surtout parce qu'il pêchait quotidiennement au Lake Gravity Falls. Alors pourquoi les environs ne lui rappelaient rien ? Et il ne pouvait tout de même pas dire à l'homme qu'il accompagnait qu'ils s'étaient perdus ?
- Vous semblez soucieux. Quelque chose ne va pas ? demanda innocemment le borgne, frottant négligemment son costume pour se débarrasser du dépôt de pollen qui s'était installé.
- Rien du tout ! Nous sommes bientôt arrivés.
Hélas, les minutes s'écoulaient et le lac n'était toujours pas à portée de vue. Cela inquiéta Soos qui eut l'impression de n'avoir jamais connu cette forêt, comme si les arbres avaient changé de place après toutes ces années. Il se trouvait au beau milieu d'un dédale d'arbres, un labyrinthe empoisonné. Il comprit qu'il ne s'en sortirait pas sans la coopération de son acolyte. Il se tourna, prêt à lui avouer qu'il ne trouvait plus ses repères, quand soudain, il se rendit compte que personne ne le suivait. Il sentit un semblant de peur se diffuser dans son esprit.
- Monsieur !? Où êtes-vous !?
Aucune réponse. Peut-être l'avait-il perdu en route? Il revint sur ses pas, interpellant le grand blondinet, inquiet qu'il se retrouvât confronté à une bête sauvage. Les lieux n'étaient pas sûrs, notamment dans cette partie de la forêt qui lui était totalement étrangère.
Soudain, son pied s'enfonça dans un tas de feuilles et il dégringola de plusieurs mètres sous terre. Il poussa un cri de surprise et quand son corps entra en collision sur la terre cabossée, une grande douleur le saisit. Il resta paralysé quelques instants avant de prendre conscience de ce qu'il venait de lui arriver. Il regarda vers le ciel. Il était tombé dans un trou.
- Bien profond, en plus de ça, geignit le pauvre Soos, qui avait dû se briser le tibia.
Sa chute aurait pu lui être fatale mais il avait survécu. Il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou non.
- Ho hé !!! Il y a quelqu'un !!!?
Personne ne le retrouverait. Il allait finir par mourir de faim, et son cadavre se confondrait avec les racines des arbres qui cachaient sa prison souterraine.
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