Chapitre 4
Ynver
À la coupure d'électricité, les portes des cellules se sont ouvertes. J'ai couru, sans vraiment savoir pourquoi, vers le premier étage où l'explosion avait été déclarée. J'allais très probablement au devant des ennuis.
Je suis arrivé, il y avait une foule de curieux et de fuyards qui passaient en courant. Personne n'avait eu le temps de mettre des barrières de sécurité autour de là où les vitres s'étaient brisées, et dans la panique il était très facile d'y accéder. La clandestine était blessée, et elle se débattait pour s'arracher à la prise d'un agent de police. Elle a réussit, et comme elle s'enfuyait, l'agent a sorti son arme.
J'aurais pu partir, après tout le destin d'une clandestine ne me concerne pas. Mais j'avais peur de laisser mourir un être humain. Alors je me suis interposé. Comment est-ce que j'ai pu faire ça ?
Trois lasers sont entrés dans ma poitrine, en laissant de grandes auréoles fumantes sur mes vêtements. L'acide logé dans mes poumons a commencé à agir, coulant lentement dans chaque alvéole, dans chaque vaisseau sanguin, et détruisant tout sur son passage.
Mes nerfs ont été coupé, j'ai vu de loin mes jambes se plier et mon corps s'affaisser. Puis les composés volatiles sont remontés dans ma gorge, je crachais du sang. Tout est devenu sombre et rouge et noir.
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Volga
Un citoyen est entrain de s'écrouler à mes pieds, touché par trois missiles de sa propre police. Un citoyen du système, que je ne connais pas, vient de mourir à ma place. Ce n'est pas possible.
À peine quelques secondes après ça, les agents du système entrent dans le vaisseau, et l'attaquent au lance-flamme. J'espère que le monde entier sera au courant, ce genre d'arme est interdit par tous les traités internationaux de paix !
Trois membres du réseau sont parvenus à sortir de l'incendie, les autres sont piégés à l'intérieur. On ne peut plus rien faire, si ils réfléchissent un tout petit peu leur meilleure chance est d'ouvrir les bouteilles de gaz. C'est une mort moins douloureuse, au moins. Les survivants ont été capturés, nous n'avons plus aucun moyen de fuir. C'est la définition même d'un échec total.
Ils ont évacué leur jeune citoyen en premier, puis ils nous ont ramenés dans le bâtiment. Quelques minutes après, le courant a été rétabli et ils ont pu nous remettre en cellule. Quatre rebelles pour le prix d'un ! Avec ce genre de résultats, Fajer n'enverra personne pour retenter de nous sortir de là.
Le procès se tiendra ce soir. Je ne suis pas sûre que même d'ici là nous aurons le temps de comprendre ce qu'il nous arrive. Et encore, je ne savais pas qui était dans le vaisseau, je n'ai pas à faire de deuil.
Nack
La borne s'allume, sur un message du gouvernement.
"Un civil tué par un agent responsable dans l'attaque rebelle. Détails ci-joints.
Soyez prudent avec cette information."
Ça y est, ils l'ont dit officiellement à tous les responsables de secteur. On doit se débrouiller pour annoncer la mort d'un citoyen, tué par la police. Je suis sur le point de soumettre mon premier article, mais Tany m'arrête : le gouvernement pense qu'il est mieux pour lui que le peuple le voit comme un modèle de perfection. Moi, je pense qu'il vaut mieux dénoncer les problèmes avec la police au contraire, et les régler. Ils auront l'air plus honnêtes s'ils avouent leurs défaites, parfois.
Je ne suis pas forcément apte à changer d'avis, alors j'ai vite pris ma décision. Je préfère risquer d'être mal vu par mes supérieurs, car je crois vraiment à ce système de paix. En plus, avec un scandale pareil entre leurs mains les citoyens ne se concentreront pas avant longtemps sur les vrais écarts de notre fonctionnement.
Il est là le risque pour nous. Heureusement que seuls quelques marginaux s'en rendent compte, sinon le gouvernement n'aurait pas survécu longtemps.
Toom
Un policier a tué un civil en empêchant les rebelles de fuir. Des sanctions seront prises à son encontre par l'état, blablabla machin truc. Et les membres du réseau ? Vous n'entendez pas leur joli vaisseau entrain d'exploser dans tous les sens ? Et ça, ce n'est pas une explosion du moteur, c'est une explosion volontaire, provoquée à l'intérieur du cockpit. Mais bien sûr, les médias n'en parleront pas !
Un mécanicien est passé en courant devant moi, pour aller vérifier le tableau électrique. Il revient quelques secondes après. Pfff... Je ne suis pas un bon saboteur. La lumière se rétablit automatiquement, presque pour me narguer, et immédiatement après les ascenseurs reprennent du fonctionnement.
Quelqu'un fini par venir me chercher, pour m'éloigner. Il m'explique ce qui vient de se passer avec des mots très simples, des métaphores, comme si j'étais encore un petit bébé. Je suis là parce que mon oncle est mort ! Je n'ai pas besoin qu'on ne me dise pas ce qu'il se passe.
Mon audience est reportée à demain, à cause des problèmes administratifs. En attendant, je suis complètement perdu. On m'a dit d'aller en bas, avec les autres, et de ne pas partir. Je suis allé en bas, et je ne suis pas parti. Mais ça ne m'aide pas, je ne sais toujours pas ce que je dois faire. En bas il y a tous ceux qui étaient venus pour demander de l'aide, certains se sont même déjà remis dans les files d'attente, comme s'il ne s'était rien passé. Je crois que j'ai pitié pour eux.
Eagler
Je ne dois pas perdre de temps, sinon je vais commencer à douter de ce que je fais. Mes parents ont raison, c'est mieux pour moi, et puis comme ça, en plus d'être en sûreté et protégée, je m'assure un avenir. Ce n'est pas de refus. Dans quelques années, je me trouverais stupides d'avoir tenté de me convaincre moi-même.
Le mur à gauche des guichets est entièrement fendu, par endroits même il ouvert en immenses crevasses. Le contraste est étonnant avec le brillant du sol et le lumineux du plafond, on dirait l'illustration d'un cours d'Histoire.
Puis il y a les tâches de sang devant le mur, les panneaux de rouille derrière. Le beau vaisseau des rebelles est parti en fumée, emportant probablement ses occupants que nous ne connaîtrons jamais. Je ferais en sorte d'empêcher ça, je peux le faire.
Une hôtesse arrive enfin devant moi. Elle s'excuse pour l'attente, il y a de lourds déraillements logistiques à cause de la panne de courant. Pourquoi est-ce que je suis venue ? J'aimerais bien lui répondre que je veux prouver que le système n'est pas capable de se gérer lui-même, donc je me propose pour l'y aider. Je vais tout de même éviter de m'attirer des ennuis. Alors je montre simplement quelques plans que j'ai apportés, et j'explique à son joli sourire que je suis venue offrir mon aide au gouvernement. Je ne sais pas si elle est impressionnée, ou si elle n'y comprend rien, mais elle scanne mes papiers et me demande de patienter dans une chambre à part.
La salle est vide, il y a une borne au milieu et des banc contre les cinq murs. Pas de fenêtres, mais un éclairage placé dans les angles qui donne environ le même effet. Et puis au bout de quelques minutes, quatre ou cinq soldats entrent par une autre porte, en me faisant remarquer en plaisantant que j'ai mal choisi mon jour.
Je n'ai pas très envie de plaisanter, pour moi tout se joue maintenant.
Zavy
Ogmor a éteint le radar du D36. Ça doit faire au moins cinquante ans que nous n'avons pas connu d'échec aussi cuisant. Quatre membres capturés, neuf abattus. Il s'appelaient Duvun, Eliz, Guel, Mi, Renren, Tolino, Arad, Kteo et Nywln. Ils faisaient partie des meilleurs.
Leur enterrement, ainsi que probablement celui de ceux qui seront condamnés au tribunal, aura lieu à Duntag, comme d'habitude. Leurs familles ne seront pas là, comme d'habitude, hormis pour ceux qui sont nés au sein du réseau, c'est-à-dire Mi. Il y aura Fajer, sûrement, Rid, Dania, Jref, Ogmor et moi, l'équipe au complet. Peut-être même des membres d'autres équipes, à travers le pays.
Au-delà de la perte humaine, c'est une perte lourde de sens qui s'est produite aujourd'hui. Les rebelles ne sont pas capables d'assumer leurs rêves. C'est une catastrophe.
Il faudrait aller avertir les autres, mais nous restons là, médusés devant l'écran de commande. Nous avons juste envoyé le signal d'alarme à Fajer. Ça aurait pu être nous, ça aurait pu être moi. Si le hasard l'avait voulu, qui sait qui d'autre aurait pu être dans le vaisseau ?
Rid dit que je suis trop sensible, parfois, peut-être que je ne devrais pas pleurer. Je ne pleure jamais les représentants du système, souvent c'est moi qui les tue. Je ne pleure plus les civils, je ne les connais pas. Je pleure rarement un camarade, il faut garder le courage. Où est mon courage ? Je viens d'en perdre treize ! Ogmor, lui, il ne dit rien, il ne frappe pas des poings sur le bureau, il ne maudit pas le système en hurlant. Il sait que rien de tout ça ne les fera revenir.
Nous finissons par prévenir le reste de l'équipe. Tout le monde est nerveux. Maintenant que nous ne sommes plus que cinq dans une base construite pour la plus grande armée de tout le réseau, impossible de nous défendre correctement en cas d'attaque. Il faut se faire discrets, silencieux, et passer notre deuil en silence.
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