Chapitre 3
Je n'essuie même pas la rosée qui luit sur la selle de mon vélo et m'éloigne à grands coups de pédale. Avoir un peu d'alcool dans le sang me donne l'impression d'avoir beaucoup de force et c'est plutôt positif face à la côte qui m'attend.
Le point négatif, c'est que ce sentiment d'invincibilité n'est bel et bien qu'une impression, qui s'évapore comme par magie dès le début de la montée. Positionnée en danseuse, je m'échine à lutter contre la gravité. Les arbres défilent bien moins vite dans ce sens-là, c'est sûr. Désolée, mamie, mais mon prochain achat sera un vélo électrique.
Tout à coup, la nuit change de bruit. Un véhicule que je connais trop bien arrive derrière moi. Je serre les dents. La lueur des phares se pose sur moi, puis étire mon ombre petit à petit. Il approche rapidement, alors je mouline des jambes telle une enragée. C'est plus pour évacuer ma colère que pour le semer puisqu'il me reste deux cents mètres avant d'arriver. C'est donc inévitable, le gros engin puant me rattrape, conduit par le type que je déteste tant. Et qui roule comme un taré !
La route est étroite, mais il ne ralentit même pas. Je me serre sur le bas-côté avec une pointe d'angoisse quand une pensée me traverse l'esprit. A-t-il la même à ce moment précis ? Oui, il lui serait si facile de se débarrasser de moi. Juste un coup de volant, et zou ! Jeanne dans le ravin, ni vu ni connu ! Je me pousse encore, mon pneu mord sur le bas-côté et je manque de m'y jeter comme une grande, dans la pente raide. Le voilà qui me double en me rasant. De trouille, je perds l'équilibre et manque de me vautrer.
— Abruti ! je hurle après les feux rouges qui s'éloignent.
Mon vélo rentrerait largement dans la caisse arrière de son pick-up, mais ce mec ne s'est jamais arrêté pour proposer de me déposer en haut. En plus, cette teigne m'a coupé tout mon élan, me voilà obligée de continuer à pied, en maugréant.
Quelle poisse, quand même ! Boussolins est au fond d'une vallée et cernée de reliefs, ça en fait des kilomètres de côteaux disponibles. Mais non, il a fallu que ce type soit mon voisin !
À sa décharge, il n'a pas choisi puisque c'est un logement de fonction de l'ONF*. Homme des bois n'est pas uniquement son surnom, c'est aussi son métier. La bonne nouvelle c'est que n'étant pas du cru, lui, il repartira à sa prochaine mutation. Ça fait déjà deux ans qu'il use ma patience plus que de raison. Deux de plus et l'un de nous deux tuera l'autre, c'est certain. Je ne sais pas pour lui, mais moi j'ai plein d'idées.
Une fois au sommet, il tourne à droite, encore une cinquantaine de mètres et il est chez lui. Quant à moi, je continue tout droit et franchis le portail de ma ferme, celle de la famille depuis trois générations. Ce sont de vieux bâtiments en pierres disposés en U, avec l'exploitation au centre, la maison de mes parents d'un côté et la mienne en face, dans l'ancienne grange retapée. Tout est éteint chez ma mère, normal à minuit passé. Je dépose le vélo contre le mur et suis accueillie par une boule de poils qui me saute dessus.
— Hey, mon Plouf. Tu as été sage ?
C'est mon border collie noir et blanc, un peu foufoumais fidèle, lui. Je lui parle parce que je passe plus de temps avec luiqu'avec n'importe quel être humain.
* Office National des Forêts.
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