3) Joan : Les rumeurs se répandent aussi vite que le vent
La nuit avait été difficile, horrible pour être honnête. Je n'avais pas fermé l'œil alors que mon corps était épuisé d'avoir repoussé ses limites pendant plusieurs semaines non-stop. J'avais l'habitude des exercices physiques, du dépassement de soi et de la mise en situation extrême, c'était monnaie courante à l'armée et j'y étais depuis plus de 10 ans. En partant pour le petit déjeuner, je repensais à mon anniversaire qui allait tomber dans quelques jours. Mes vingt-neuf ans allaient commencer sur un échec, j'étais ravie...
Évidemment je n'allais pas être la seule à être refuser mais comment ne pas m'en vouloir à moi-même. l'ENFI était pour tous le monde la consécration. C'était la dernière étape d'une carrière professionnelle réputée et on aurait tout donné pour avoir une place toute prête, qui n'attendait que nous. La brigade avait été créée il y a quinze ans par le Général Kim Namjoon à la suite d'un attentat suicide visant le premier ministre. Les membres devaient être prêts à tout, qualifiés à n'en plus pouvoir et se renouvelaient en grande majorité tous les cinq ans.
Cette année, plusieurs supérieurs étaient partis en retraite anticipée, mort d'épuisement physique et mental. Cela avait laissé le champ libre à neuf nouvelles recrues, une opportunité majeure.
— Tu as vu s'il arrivait à marcher ?
Deux collègues d'examen venaient de sortir d'un couloir à ma gauche. Ils semblaient inquiets et particulièrement impliqués dans leur discussion.
— Il peut à peine poser le pied au sol. Dis toi que rien que les mouvements de la couette le font souffrir...
— Vous parlez de Hoseok ? Ma voix interpella les deux hommes qui se tournèrent vers moi.
— Ouai.
— Il va bien ? Est ce qu'il va pouvoir assister à la remise des résultats ? Demandais-je inquiète à mon tour.
La remise était une cérémonie importante et s'il ne pouvait pas s'y rendre, il ne serait sûrement pas accepté dans l'équipe. En plus de cela, c'était l'ocassion de faire la fête après autant de temps à se tuer la santé. Monsieur Kim l'avait décrit comme un grand bal rempli d'anciens de l'équipe qui revenait pour la nostalgie. Ça coulait de source que les selectionnés seraient aux anges, entourés de supérieurs mythiques et pouraient faire la fête jusqu'au bout de la nuit. Une sorte de soirée d'integration.
Pour moi, qui était déjà persuadé d'être recalé en grandes pompes, l'idée même de devoir garder la face devant tant d'hommes et de haut-gradés me faisait déjà mal au crâne. Je me voyais très bien, assise dans une chaise inconfortable, essayant de disparaître en regardant ces cons monter sur scène pour recevoir leur médaille d'admission.
— Il est toujours à l'infirmerie ? Il vont le transférer à l'hopitale ?
— De quoi ça parle par ici ? Une voix nasillarde s'éleva derrière nous tandis qu'on arrivait dans le réfectoire. Ne me dites pas que vous êtes encore en train de parler de cette tapêtte de Hoseok ? Joan vraiment ? Tu vaux mieux que ça...
Yoongi s'était penché en s'appuyant sur mon épaule, plaçant son haleine fétide juste devant mon nez.
— Putain tu saute l'étape brossage de dents tous les matins ou quoi ? Ça sent le Texas dans ta bouche, casse-toi de là.
Je repoussais son bras en grimaçant. Ma réplique fit sourire la queue qui était habituée à nos engueulades matinales, les attendant comme seule source de distraction. J'entendais déjà des "Ah les voilà enfin !" ou encore "Ca faisait longtemps qu'on les avait pas entendu c'est deux là !".
Avec ce type dans les parages, j'avais littéralement l'impression d'être le clown du service. Comment arrivait-il à être aussi immature franchement ? Même nos supérieurs s'étaient pris au jeu et nous regardaient de loin en prenant part aux railleries quand ils étaient de bonne humeur.
Yoongi qui avait, comme toujours, détester ma réponse, leva un sourcil et répliqua.
— Et toi, t'as oublié tes seins ce-
— Soldat Min Yoongi.
La voix glaciale du commandant Jeon coupa court à toute fin de phrase. Il était apparu de nul part, comme toujours, avait froncé les sourcils froidement de désapprobation et nous avait bousculé pour remonter la queue du petit déjeuner. Mes yeux le suivirent tout dû long. Sa carrure impressionnante sous son uniforme kakis le rendait encore plus inatteignable. Ce type, ce commandant, c'était bien le seul à ne jamais prendre part à quoi que ce soit. Je n'étais pas en train de dire qu'il me protégeait, loin de là. Il n'avait jamais réprimandé Yoongi pour ses commentaires plus que déplacés à mon égard, mais il n'avait pas non plus montré un quelconque signe d'approbation ou de rire.
De toute façon, il n'avait jamais vraiment ouvert la bouche pour m'adresser la parole. Si, une fois en fait. Quand je m'étais présenté pour m'inscrire. Il avait levé ses yeux noirs vers moi, les avait planté comme des crocs acérés et m'avait demandé mon prénom et si je ne m'étais pas trompé d'endroit car le service ménage n'était pas à cette heure là. La discussion que j'avais surpris hier soir prouvait bien qu'il n'était absolument pas différent de tous les autres. Il se contentait juste de se garder de dire ce genre de choses devant autant de monde. En bref, un connard discret. C'est ça que j'en retenais.
Yoongi me laissa tranquille après ça. Il ne voulait pas énerver un commandant juste avant la fin de l'examen et partit s'asseoir manger loin de moi. En avalant un café, je me promis de passer voir le blessé après avoir fini, pour le convaincre de venir à la cérémonie.
— Est ce que je peux m'asseoir ?
Le commandant Kim pointa la place face à la mienne, un sourire adorable aux lèvres. Il avait troqué l'uniforme pour une tenue confortable complètement noire.
— Bien sûr commandant, si vous n'avez pas peur des rumeurs...
Ma tête devait être ignoble vu comment il me fixait sans détourner le regard. Ses cheveux courts mais soyeux retombaient courtoisement juste au-dessus de ses sourcils épais et moi je devais avoir des cernes aussi larges que le lac supérieur.
Son attitude décontractée contrastait avec l'ambiance tendue qui régnait entre certains de mes collègues. Le commandant Kim semblait préoccupé par autre chose que les ragots ou les conflits.
— Je voulais simplement m'assurer que tout allait bien pour vous. Je vous ai remarqué concentré lors des exercices. Ses yeux m'observaient avec une attention sincère.
J'étais surpris par sa prévenance, mais aussi un peu mal à l'aise. Habituellement, les conversations avec les supérieurs étaient soit strictement professionnelles, soit gorgées de critiques ou de moqueries.
— Tout va bien, commandant. Rien de grave. Merci de vous en inquiéter.
Mon ton était cordial, mais j'étais pressé de changer de sujet. Les murmures persistaient autour de nous, alimentés par la présence du commandant à mes côtés.
— Vous savez, Joan, dans ce milieu, les rumeurs circulent plus vite que le vent. Ne prêtez pas attention à tout ce qui se dit.
Son ton était calme, presque rassurant. Il semblait avoir l'habitude de ces ragots incessants.
— Je ne m'en préoccupe pas vraiment. J'ai appris à faire la sourde oreille à ces bruits de couloir.
J'essayais de paraître assuré, même si l'ambiance générale ne me donnait guère de réconfort.
— C'est une bonne stratégie. Mais si jamais vous avez besoin de parler ou si vous rencontrez des difficultés, n'hésitez pas à m'en faire part. C'est mon rôle aussi.
Je fus étonné de sa proposition. Avoir un supérieur qui se soucie réellement du bien-être de ses subordonnés était inhabituel, mais cela me toucha malgré tout.
— Merci, commandant Kim. Je le garde en tête.
Son plateau rempli à ras-bord de petits pains français, de confiture et de toutes sortes de sucreries attira mon regard. Je me mis même à me demander comment il pouvait avaler autant de choses.
— Vous en voulez ?
— Non pas du tout merci, je n'ai pas très faim.
— Je vois ça...
Il laissa sa phrase en suspens alors que je serrais mes mains autour de l'unique tasse de café en face de moi.
Ma tête retomba face à face avec celle de Monsieur Kim Taehyung, toujours en train d'analyser mes faits et gestes minutieusement, sans jamais détourner le regard. Il passa une main sur sa barbe naissante et délaissa finalement mes cernes pour son plateau. C'était facile de deviner qu'il s'empêchait de dire ce qu'il pensait.
Ne vous inquiétez pas, il en faudra plus pour m'achever. Achevais-je.
— Je ne m'inquiète pas, loin de là. Serez-vous présente à la soirée de remise ?
Sa voix glissait douloureusement dans les graves, réfrénant d'ajouter quoi que ce soit. Plus le temps passait, plus les soldats autour de nous se retournaient pour voir notre petite entrevue.
— Oui, du moins j'essaierais d'y rester assez longtemps pour paraître respectueuse. Sur ce, si vous voulez bien m'excuser.
Je me relevais et poussais ma chaise.
— Soldat Joan.
Une silhouette immense d'un bon mètre quatre-vingt venait de s'arrêter aux côtés de monsieur Kim en me saluant. Très surprise de le voir de si près et d'avoir entendu sa voix prononcer mon prénom pour la seconde fois depuis un mois, il attendait que je lui réponde en levant les sourcils.
— Commandant Jeon.
Il tenait d'une main un plateau rempli à ras-bord de fruits et toutes sortes de vitamines avec dans l'autre une tasse de café très noir. Son air supérieur me tendait. Je n'aimais absolument pas le dédain qui émanait de lui à des dizaines de kilomètres. Il était le cliché même du militaire froid et intransigeant. Celui qui remplissait son t-shirt de muscle à le faire craquer et qui se tenait debout en tenant la ceinture de son uniforme. Le même qui observait de loin avant d'agir et qui avait réussi sa carrière professionnelle brillamment.
Il ne rajouta rien et s'assit à ma place en tirant de nouveau la chaise que je venais de ranger.
Le commandant Kim souffla et me fit un petit sourire d'au revoir comme pour excuser le comportement de l'énorme doberman qui venait de débarquer dans notre discussion.
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