Chapitre 9
Sa belle humeur venait de disparaître en une fraction de seconde. Ses prunelles rubis n'appréciaient guère ce qu'ils voyaient. Son penthouse était sens dessus dessous, comme si on avait essayé de la cambrioler. Seulement, la vampire savait parfaitement que rien n'avait été volé. Le carnage donnait davantage d'un avertissement punitif plutôt que d'un petit bandit à la sauvette. Ses canines grincèrent leur mécontentement devant ce bazar. Même si elle ne se souciait que de peu de ses biens matériels, cela restait sa propriété. Personne ne pouvait s'en sortir si facilement après avoir fait une telle idiotie. La noiraude se pourlécha les lèvres, comme si l'excitation la prenait.
— Une petite friture semble vouloir jouer au plus malin, souffla-t-elle, un rictus carnassier sur les lèvres.
Reïa tourna des talons, ses iris rouges devenant noires comme l'obsidienne. Ses canines s'allongèrent, alors que ses ongles carmin se glacèrent. Ses sens se développèrent. Son odorat captant une légère effluve piquante et ferreuse. Du sang avait été répandu pour brouiller les pistes, et une épice avait été mélangé à l'hémoglobine, empêchant son esprit à se concentrer sur les parfums plus subtils. La Royauté vampirique avait finalement décidé de lui sortir le grand jeu. Ils avaient envoyé, non pas un petit valet juste bon à trembler devant elle, mais un membre de leur honorable corps d'élites. Cela ne changeait pas énormément pour elle. Ils n'étaient tous que des petites vermines qui s'épuisaient à obtenir son attention. Elle glissa son regard de glace sur la silhouette qui l'attendait visiblement. La noiraude n'avait pas le temps de faire de la garde pour chien, enfin, en l'occurrence, chienne dans ce contexte.
— Tu sembles bien pressée, constata la louve en fronçant des sourcils.
Reïa passa à côté d'elle sans lui montrer le moindre signe d'intérêt. Ses talons claquaient sur le sol en marbre, démontrant son mépris à la brune. Angela grinça des dents, lui attrapant le bras d'un mouvement vif. La vampire lança un regard agacé et noir à la jeune louve. Angela relâcha sa poigne, cachant sa main derrière elle, telle une enfant prise en faute. Ses yeux se baissèrent, n'arrivant pas à soutenir les prunelles de la noiraude. Sa louve intérieure grognait sa désapprobation face à ce comportement soumis. La jeune fille n'arrivait plus à contrôler son attitude. C'était comme si une peur était ancrée en elle, à travers les prunelles obsidiennes de Reïa.
— Retourne dans ta niche, cingla-t-elle.
La vampire abandonna la louve paralysée. Chaque muscle tremblait, sous la tension que la noiraude dégageait. Angela lâcha un tremblant soupir, en venant se frotter les bras. Elle avait du mal à définir correctement ce qu'elle ressentait. C'était étrange. La jeune louve s'ébroua légèrement, relevant ses yeux sur la direction qu'avait prise la vampire. Elle se lécha les lèvres, suivant les pas de cette dernière. La brunette savait parfaitement que ce n'était pas une bonne idée de la poursuivre, mais il y avait cette chose magnétique qui l'appelait à vouloir le faire.
Angela s'était élancée, traversant les rues, avec son unique but en tête. Elle restait, cependant, discrète afin de ne pas éveiller de quelconques soupçons. La louve brune se glissa entre deux caisses abandonnées dans un coin de ruelle sombre. Ses sens en alerte, ses crocs et ses griffes à mi-chemin de sortir, elle sortit légèrement la tête afin d'avoir un aperçu de ce qui se déroulait.
La silhouette de la noiraude était remarquable dans ce lieu isolé et désert. Perchée sur un trône fait de glace et finement sculpté, elle respirait l'élégance, la grâce et cette arrogance qui lui sied. La louve changea souplement de côté, essayant d'avoir un meilleur angle de vue. En dehors de la vampire, et d'elle, la brunette ne voyait personne, mais elle sentait ces présences, nombreuses, semblables à un escadron de fourmis qui cherchait à atteindre un morceau de sucre.
Angela fronça des sourcils, en les sentant s'agglutiner en un point. Des picotements lui traversaient l'épiderme, créant la chair de poule. De la buée sortait de sa bouche, la température ambiante baissant drastique ment, créant une brume fait de poussières de glace. Angela écarquilla des yeux, en comprenant enfin ce qu'il se passait sous ce silence tranquille. La vampire tenait à distance ses détracteurs, s'amusant à leurs dépens, avant de les tuer dans une souffrance silencieusement atroce.
Un hoquet de stupeur la prit quand une légère douleur lui frappa la cheville. Son regard se porta sur cette dernière, et des ronces de glace l'entouraient. Les piques percèrent sa peau, avant de la soulever et de la jeter à même le sol gelé. Elle serra les dents, évitant de se mordre la langue, et roula pour se mettre à quatre pattes. Les crocs sortis, les griffes raclant la couche de glace, Angela s'apprêtait à se transformer pour bondir sur l'ennemi le plus proche.
— Coucher.
Un simple ordre, et la brune sentit sa louve s'y plier, un couinement s'échappant de ses lèvres. Elle s'aplatissait le plus possible, cherchant à ne pas contrarier la puissance qu'était la vampire. Angela resta immobile, se battant contre la force qui la poussait à obéir à cet ordre dégradant. Un petit grognement monta dans sa poitrine, mais disparut plus vite qu'il n'était venu. La force écrasante s'était évaporée, ne laissant plus qu'une chaleur l'envelopper. Elle releva les yeux sur Reïa. Cette dernière se tenait debout, son trône ayant disparu. Elle repoussa ses cheveux d'un simple geste de la main, avant de reposer ses yeux sur Angela. Deux magnifiques rubis, intrigués par la louve.
— Tu es aussi insolente et agaçante que le clébard lépreux qu'est ton frère.
La louve ne répondit rien, se redressant sur ses jambes. Elle s'avança jusqu'à pouvoir atteindre la vampire en tendant le bras. Son regard vert se perdit dans le rouge sanguin. Une force mystique et puissante l'attirait à travers ses prunelles fascinantes. Elle n'y voyait pas que du rouge, il y avait comme des paillettes de cuivre, d'or rose et d'or. Une constellation, ou plutôt une galaxie, avait élu domicile dans ses iris rouges. Angela cligna des yeux, s'ancrant dans la réalité qu'elle admirait. Sa peur s'était évanouie, ne laissant place qu'à cette drôle de chaleur tendre.
— C'est étrange, souffla-t-elle, émerveillée.
— Qu...
La vampire n'eut pas le temps de répondre, que la louve avait déposé ses lèvres contre les siennes, les assaillants avec douceur. Elle les picorait, attendant qu'elle l'accepte. Reïa ouvrit à peine la bouche, et la langue de la brune vint caresser les canines de cette dernière. La noiraude ressentit un frisson, presque excitant. Elle attrapa la mâchoire d'Angela, et pilla son antre doux et humide.
Reïa relâcha finalement la louve, en inspirant doucement. Elle agrippa l'épaule de cette dernière, venant la coller à elle. Son regard rubis se plongea dans le sien, et elle vint caresser le creux de son épaule de son ongle. Ses canines la démangeait, voulant se planter dans la jugulaire de la jeune femme.
Instinctivement, Angela pencha la tête, offrant son cou à la vampire. Son souffle était erratique, son cœur battant à mille à l'heure, et son esprit était dans le coton. Louve ou vampire, elle voulait juste sentir ses crocs dans sa chair, mais uniquement ceux de cette personne. Ses doigts vinrent crocheter le bras nu de la vampire, un petit gémissement s'échappant de ses lèvres.
— Bonne petite, susurra Reïa.
Le souffle glacé de la noiraude caressa la peau chaude de la jeune brune. Cette dernière pencha un peu plus la tête, incitant la vampire à la mordre rapidement. Reïa lécha la zone, la titillant un peu, avant de mordre franchement dans cette veine offerte. Un petit gémissement traversa ses lèvres, alors que le sang se répandait dans sa bouche. Un nectar savoureux que peu de personnes avaient. Ce goût avait aussi un petit quelque chose de nostalgique, même si elle ne voyait pas en quoi. C'était doux, mais piquant.
Reïa se retira de la gorge de la louve, se léchant les lèvres pour ne pas perdre une goutte. Son souffle de glace vint colmater la blessures d'un voile de givre résistant, et comme la première fois, le blason de la vampire se forma sur la peau de la brune. Angela inspira et expira lentement, comme si elle sortait d'une séance de bien-être. Elle cligna des yeux pour les poser sur la vampire, la satisfaction se lisant dans ses prunelles.
— Qu'est-ce qui m'arrive ? chuchota-t-elle, le regard légèrement perdu.
Reïa esquissa un rictus amusé, venant caresser du bout des doigts la joue de la louve. L'état extatique de la jeune brune ressemblait à des premiers émois. Elle recula d'un pas, en secouant la tête, et partant dans un petit rire cristallin. Ses prunelles rouges avaient cet éclat galactique, encore plus intense que tout à l'heure.
— Ignorante petite chose. Trouve la réponse toi-même, souffla-t-elle, en se retirant de la prise de la louve.
Angela eut juste le temps d'étirer ses doigts, que la vampire disparut. Elle était partie, la laissant seule avec ses émotions troubles et ses pensées en vrac.
* * *
Ignis esquiva d'un simple pas sur le côté, avant de poser ses yeux sur le cadavre d'un verre en cristal. Il lâcha juste un soupir, en revenant sur la silhouette rageuse de son ami Alpha. Il glissa ses fins doigts à travers ses mèches argentées, essayant de trouver les mots justes pour calmer cet idiot de loup.
— Ce n'est pas en cassant ce qui te tombe sous la main que cela va t'aider, lança-t-il, en dressant un mur invisible entre lui et le projectile.
Kadhir respirait bruyamment, essayant d'évacuer sa colère. Ses muscles étaient tendus, son aura s'amplifiait par vague. Il n'arrivait pas à réprimer sa fureur. L'idée que sa sœur et cette vampire se soient... la simple pensée le rendait furieux. Il glissa un regard vers le sorcier, ses prunelles d'un or en fusion.
— Pourquoi ?!
— Ta question est vague, et je l'ignore sincèrement. Il y a peut-être eu une étincelle entre elle...
Un grondement le coupa. Ignis haussa un sourcil, devant le comportement exhaustif du loup. Sa colère commençait à l'aveugler et ce n'était jamais arrivé, ou du moins, plus depuis un bout de temps. Les iris aubergines se mirent à scintiller doucement, et l'alpha se retrouva paralyser, incapable de bouger, seulement de parler. Ignis s'approcha finalement, en faisant attention à ne pas marcher sur du verre. Il allait devoir faire quelques courses plus tard. Ce loup n'avait vraiment aucune notion du respect des affaires d'autrui.
— Je vais me renseigner, quant à toi, reprends ton calme. Je n'ai pas envie d'épuiser mes ressources pour ça.
— Elle est à moi...
— Je sais que tu ne t'attendais pas à ce que ta sœur entre dans le jeu de cette manière, mais je doute que Reïa puisse développer un quelconque sentiment envers elle, si ce n'est qu'une poche de sang sur pattes.
— C'est de ma sœur dont tu parles, grogna le loup.
— Cette femme n'affectionne même pas sa propre espèce, sauf exception. Elle ne considère même pas les Variants comme des animaux de compagnie. Les sorciers ne sont qu'une bande d'insectes sans intérêt. Et elle exècre, plus que tout, les loups. Quand aux humains, de la nourriture appréciable. Tu n'as rien à craindre pour ta sœur.
Ignis sentit un craquement dans sa magie, et il fut soudainement plaqué au sol, les crocs de l'alpha à quelques centimètres de son visage. La rage de Kadhir n'avait rien de compréhensible pour lui. Il savait qu'il n'appréciait pas qu'on vienne jouer sur son terrain de chasse, mais ce n'était pas une raison. Ce loup appréciait même un peu de concurrence, même si ce fut sa sœur. Le sorcier fixait les prunelles d'or de l'alpha, cherchant des réponses à ses interrogations.
— Ce n'est pas Angela que tu veux protéger de Reïa... tu ne te soucies pas que cette femme se joue de ta sœur, souffla-t-il étonné.
— Elle. Est. À. Moi, répéta-t-il en détachant chaque syllabe.
Le sorcier repoussa le loup avec force, l'envoyant quelques mètres plus loin. Il se releva, en se secouant un peu et lâchant un soupir. Si le loup tombait dans son propre piège...
— Je suis le seul à qui peut la rendre vulnérable, déclara-t-il, avant de quitter la maison par la fenêtre ouverte.
Ignis regarda la place vide que le loup avait laissé. Il se massa les tempes, sentant les maux de tête venir. Le loup semblait ne pas se rendre compte de son comportement possessif qu'il commençait à avoir quand cela concernait sa « proie ». Seulement, il devait d'abord se concentrer sur Angela. Il n'était pas normal que la jeune louve agisse de cette manière. Elle était pire qu'une adolescente pré-pubère, qui avait les hormones tourneboulées par les phéromones d'une tierce personne...
— Merde... elle a pas fait ça quand même..., marmonna le sorcier, en se dépêchant de prendre sa veste et de sortir de sa chambre.
Il devait absolument voir la jeune louve pour confirmer ses pensées. S'il touchait juste, une catastrophe arriverait certainement dans les prochains jours, et cette idée le terrifiait. Deux puissances écrasantes entreraient en collision, et de gros dommages collatéraux surviendraient... et il n'était pas sûr que la vampire soit la plus déplorée des deux.
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