Chapitre V : Faire face et résister
Maureen Riger
Ormesel - rue marchande
Les habitants d'Ormesel savaient tous qu'un événement allait se produire d'ici peu, la nouvelle avait fait le tour du bourg en quelques jours. Les Rescapés étaient en route pour la ville du bois, et ils étaient prêt à détruire absolument tout ce qui pourrait leur barrer le chemin, afin d'atteindre la capitale. Les habitants avaient tous le même mot à la bouche : Rescapés. Ces pillards, ces barbares, ces monstres, ils terrorisaient les braves gens de la ville. Ils avaient réduit en cendres le petit village de Hirtas et ils allaient maintenant s'en prendre à Ormesel.
Depuis quelques jours, les coins étaient déserts, les marchés étaient presque vides et la crainte de voir arriver les Rescapés s'était profondément ancré dans la conscience collective. Le Comte d'Ormesel étant absent de sa demeure, le peuple n'était que plus inquiet. Mais la charge de repousser les Rescapés avait été confié aux Traqueurs, grands guerriers ayant déjà fait leurs preuves. La Reine avait fait signer une lettre, afin d'ordonner aux Traqueurs d'abattre l'ennemi. Les habitants tentaient alors d'avoir l'esprit tranquille.
Le jour allait bientôt tomber, et un souffle froid faisait frémir les feuilles des grands arbres de la ville. Maureen Riger se promenait dans l'un des nombreux marchés du bourg, accompagné de son frère Kodon et de Chapardeur. Profitant un peu de leur temps libre, ils observaient d'un œil attentif et parfois émerveillé les quelques différentes marchandises posées sur les étalages. Fruits, pains, galettes, tapisseries, plantes médicinales et jouets en bois, le marché attisait fortement la curiosité de Maureen. Mais les allées étaient déjà très sombres, elle manqua un instant de trébucher sur un pavé mal emboîté.
— Fais attention, sermonna Kodon. Tu ne voudrais pas te casser un os avant même avoir combattue les Rescapés.
— Certainement pas, rétorqua-t-elle. Je n'ai pas fait exprès, ce pavé est très mal enfoncé.
Un vieux commerçant à la chevelure blanche et dégarnie ayant entendu la discussion, se permit d'intervenir entre les deux enfants :
— C'est à cause des cavaliers, expliqua-t-il.
Maureen et Kodon se retournèrent, et firent face au vieil homme d'apparence courtois, qui se tenait derrière son étalage de fruits et de plantes.
— Les cavaliers, dîtes-vous ? Répéta la jeune fille.
— Oui, reprit le vieil homme d'une voix vibrante. Ils parcourent les ruelles au galop, leurs chevaux abîment les pavés. J'ai déjà eu des accidents de charrette à cause de ces gueux.
— Les cavaliers se fichent du bien commun, ajouta Kodon.
Le commerçant acquiesça, puis remarqua que quelque chose d'étonnant était accroché au ceinturon de Maureen : une arme dans son étui. Et il savait bien de quelle arme il s'agissait.
— Cette dague que je vois attachée à ton ceinturon, c'est bien...
- Une Miséricorde, fit Maureen en terminant la phrase du commerçant. C'est la dague que l'on utilise pour accorder le coup de grâce aux mourants.
— Je connais bien cette arme... Déclara le vieil homme d'une voix basse. Vous êtes donc des Traqueurs tous les deux.
— Oui, confirma Kodon bien qu'il était trop jeune pour combattre quoi que ce soit.
— J'aurais dû m'en douter avant. Voir deux jeunes gens cheminer dans les allées alors que la ville est plongée dans la terreur. Vos habits ne sont pas non plus ceux habituellement portés par les habitants.
— Et encore ! Ajouta le garçon. Nous n'avons pas mis la cuirasse et les spallières.
— Vous dîtes que la ville est plongée dans la terreur, poursuivit Maureen, pourtant vous continuez de vendre vos marchandises. N'avez-vous pas peur ?
Elle observa le commerçant qui esquissa un sourire en écoutant ses paroles.
— J'ai connu bien des craintes et des terreurs auparavant. Il fut un temps où les Rescapés auraient pu m'effrayer, mais les années m'ont endurci le cœur et l'esprit, maintenant je me contente de faire face et de résister.
Le silence se mit alors à régner, Maureen se demandait bien quelles atrocités ce vieil homme avait pu connaître, mais elle n'osa pas l'interroger sur son passé de peur d'empiéter un peu trop sur son vécu. Voulant briser le silence, elle commença à regarder les différentes marchandises que proposait le commerçant. Certains de ces fruits provenaient de l'île Torment, la seule île appartenant au Royaume de Norsque. Il s'agissait de fruits que seuls les plus aisés pouvaient se permettre d'acheter. Le regard de Maureen se posa ensuite sur un bouquet de plantes aux fleurs violacées et minuscules.
— De quoi s'agit-il ? Demanda-t-elle.
— Ce sont des sauvages sclarées. En décoction elles ont un goût amer, mais elles stimulent la mémoire, calment la douleur et purifient contre les nuisances occultes.
Voyant les yeux fascinés de Maureen pour ces plantes aux effets médicinales, le vieil homme décida de lui en offrir un bouquet.
— Prends-donc, tu en auras probablement besoin. C'est un grand combat qui attend les Traqueurs, et il menace d'arriver très bientôt.
— Je vous remercie, déclara la jeune fille en prenant le bouquet que lui tendait le commerçant.
— Et toi manges-donc cela, ajouta l'homme en lançant une pomme rouge à Kodon, un homme doit prendre des forces.
— Eh bien, merci ! Dit-il en faisant sauter la pomme d'une main à l'autre.
Chapardeur voyant le fruit rond en mouvement, sauta sur Kodon afin de l'attraper. Maureen eut le temps de prendre le chat dans ses bras avant qu'il ne s'en prenne à son frère. Après avoir remercié une fois de plus le vieux commerçant, ils quittèrent le marché afin de retourner à l'auberge du Sanguinaire.
***
La nuit était presque tombée, Maureen et Kodon marchaient pourtant tranquillement dans la ruelle menant à leur auberge. Ils passèrent devant un bordel qui était assez réputé dans la ville, et Maureen savait que nombreux étaient les Traqueurs qui rendaient visite aux filles de joie qui s'y trouvaient. Elle ne pouvait s'empêcher de grimacer en marchant devant l'épaisse porte en bois. Elle espérait qu'en grandissant son jeune frère ne fréquenterait jamais ces endroits. Au même instant, la porte de la bâtisse s'ouvrit bruyamment, faisant s'hérisser les poils de Chapardeur qui sauta hors des bras de Maureen.
La jeune femme vit sortir du bordel Teri Horaus, fils de Rick Horaus, chef de l'unité des Traqueurs de l'Est. Jeune guerrier au visage impassible et aux cheveux couleur ténèbres, Teri s'avérait être un Traqueur presque aussi redoutable que son père. Maureen en serait presque impressionnée s'il n'avait pas en plus un côté fourbe, cruel, et malsain qui ressortait souvent au grand jour. Lorsque Teri tourna la tête pour apercevoir Maureen et Kodon, son visage afficha un sourire étrange.
— Viens Kodon, se précipita de dire Maureen.
Elle voulue attraper la main de son frère, mais Teri la tira brusquement par l'épaule afin de la plaquer contre la façade du bordel.
— Ne part pas si vite, fit-il en collant son front contre celui de la jeune femme. On a des choses à se dire.
— Ne la touche pas ! S'écria Kodon.
Mais d'un geste violent de la main, Teri fit taire le garçon. Ce dernier vacilla, puis tomba au sol avec une lignée de sang s'écoulant de sa bouche. Chapardeur se plaça près de lui. Tous deux observèrent la scène impuissants.
Dans certaines unités, les Traqueurs préféraient se marier entre eux, il n'y avait ainsi pas d'enrôlement pour les futures générations. Les plus forts avaient le droit de choisir la personne qu'ils convoitaient le plus, sans que celle-ci n'émette aucune objection. Et Teri Horaus convoitait avec ardeur Maureen, cette dernière le repoussait avec cette même ardeur.
- Je ne veux pas que tu t'approches de moi... Déclara-t-elle en essayant de se dégager.
Néanmoins, Teri n'était pas homme à se laisser faire. Il laissa échapper un rire éraillé, et renforça son étreinte autour du bras de Maureen. Il glissa ensuite sa main droite le long de son visage, puis sur son cou. Elle frissonna malgré elle et lâcha un soupire tandis qu'il commença à refermer ses doigts autour de sa gorge.
- Et moi, murmura-t-il, je veux que tu m'appartiennes.
Maureen écarquilla les yeux et sentit la rage et l'aversion monter en elle. Mais la peur l'empêcha de s'exprimer. Teri était bien plus fort et imposant qu'elle, et ses doigts glacés et enlacés autour de son cou la mettait en position de faiblesse.
— Je ne serais pas Traqueur toute ma vie, tenta-t-elle de dire.
- Oh, mais si, répliqua-t-il en resserrant son étreinte. Je ne te laisserais pas devenir une traînée de sorcière.
De l'animosité se faisait ressentir au travers de son étreinte, Maureen commençait cruellement à manquer d'air. Elle était incapable de lui faire face et de lui résister, elle n'était pas prête à combattre ce genre de monstre.
Alors elle lâcha prise, se laissant tomber le long de la façade pour rejoindre le sol. Teri sourit de plus belle, profitant de l'obscurité naissante pour lui dévoiler son plus sombre côté sous les yeux épouvantés de Kodon.
[Carnet de notes - Sauvage sclarée : Plante se consommant en décoction, au goût amer et aux effets bénéfiques. Elle stimule la mémoire, calme la douleur et purifie des forces occultes.]
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