Chapitre II : Traqueurs de l'Est
Maureen Riger
Ormesel - auberge du Sanguinaire
Le soleil n'était plus. Le ciel, aussi noir qu'il ne l'avait jamais été, fut voilé sous l'épais feuillage des grands arbres de la forêt de l'Est. La brise de la nuit faisait danser les feuilles dans un sifflement aigu. La pluie commençait à s'abattre devant l'auberge du Sanguinaire.
Maureen, jeune fille au teint naturellement bronzé, aux cheveux bruns bouclés et coiffé en une tresse retombant sur son épaule, se tenait près de l'encadrement de la porte en bois. La tête appuyée contre la paroi en pierre, elle observait la pluie défilée sous ses yeux. Elle ne voyait rien d'autre, l'obscurité étant bien trop présent.
— On dirait que l'dragon blanc est passé par ici, annonça la propriétaire de l'auberge en s'approchant d'elle.
Le visage rond et les traits durs, elle astiquait une chope en métal avec un vieux torchon sale.
— Oui, confirma Maureen en levant la tête au ciel. La pluie s'écoule, le dragon blanc était bien là et je l'ai encore raté, Leoria.
La propriétaire de l'auberge Leoria se mit par réflexe à écraser à main nue un insecte venu se poser sur l'une des parois. Elle essuya les restes visqueux de la bête sur son tablier, sous les yeux écœurés de la jeune fille.
— Me regarde pas comme ça, grogna-t-elle, et pis' c'dragon personne l'a jamais vu. Ce sera pas toi la première.
Leoria s'apprêtait à retourner au comptoir, lorsqu'elle aperçut aux pieds de Maureen une créature de la nuit. Une robe de fourrure noire, pour des griffes acérées. Cette créature aux yeux émeraude reposait sur la terre froide et humide de l'auberge du Sanguinaire.
— Tu m'feras dégager cette bestiole, dit-elle en pointant le monstre du doigt. J'veux plus la voir devant chez moi.
— C'est Chapardeur, prononça distinctement Maureen, mon chat. On l'a recueilli à Batyse, il errait près des plaines. On raconte que les chats peuvent voir dans l'obscurité. On les appelle aussi les sorciers non-humains.
— Toi qui rêves d'être sorcière, se moqua Leoria, t'as bien trouvé ton maître !
Elle repartit à ses occupations avec un fou rire hystérique, tandis que Maureen soupirait et restait à sa place, passant sa main dans le pelage doux du chat qui ronronnait paisiblement. La pluie était apaisante, surtout après ce que les Traqueurs avaient endurés à Batyse. Le sang qui s'écoulait et la chair arrachée à cause des créatures monstrueuses qui rôdaient près de la ville.
Toutes plus féroces les unes que les autres.
De temps en temps, elle se tournait et observait la trentaine de Traqueurs s'amusant et festoyant dans l'auberge. Certains étaient blessés et avaient du mal à se déplacer, mais sans séquelles apparentes. Elle voyait sa mère, Mercelle, sous-chef de son unité, buvant, mangeant et s'exclamant comme un homme. Elle voyait aussi son jeune frère, Kodon, âgé de dix ans et discutant dans un coin avec Ruth, la fille de Leoria âgée de vingt ans. Elle était tout l'inverse de sa vieille mère. Elle avait les traits fins, le regard doux et une gentillesse exemplaire.
Maureen s'apprêtait à les rejoindre car le froid commençait à mordre de plus en plus fort et elle se lassait de la solitude.
Mais un cri strident lui glaça soudainement le sang. Son chat, Chapardeur, bondit et se mit sur ses gardes.
Il s'agissait de cris d'effroi, un appel à l'aide, une voix féminine qui hurlait au fin fond de la forêt de l'Est.
La jeune Traqueuse devint pâle, et son cœur se mit à battre de plus en plus fort. Les cris, étaient des cris de pitié et de douleurs. Hésitante, elle se mordit la lèvre ne sachant pas quoi faire.
Devait-elle prévenir son unité ?
— Ils ne voudront pas se déplacer pour aller secourir cette pauvre femme. Dit-elle en s'adressant à Chapardeur. Ils sont bien trop occupés à boire.
Devait-elle s'aventurer seule dans la forêt de l'Est, au milieu de la nuit ? Elle regarda son chat une dernière fois, et ce dernier semblait vouloir la suivre. Elle s'arma alors de sa lance de combat, et s'éloigna de l'auberge pour entrer dans l'immense forêt. Elle était guidée par les hurlements, il lui paraissait de plus en plus proche, mais ils ne dévoilait toujours pas de visage. L'herbe qui était épaisse, et la terre molle et boueuse, ralentissaient sa marche. L'obscurité voilait sa vision, elle n'avait pas de torche, alors elle essaya de se fier à son instinct et aux yeux de Chapardeur.
Les appels à l'aide étaient tout près, elle en était sûre. Maureen allait y répondre commençant à sortir un son de sa bouche. Mais une main se saisit violemment de son visage l'empêchant de parler et étouffant son cri de surprise.
— Pas un mot ! ordonna cette personne, ou l'Appeleur te tuera.
Elle reconnu la voix cassée de sa mère, elle tenait une torche enflammée laissant paraître sa figure illuminée par les lueurs orangées vacillantes. Mercelle était éclairée de grands yeux ardents et sauvage, ses cheveux étaient courts et désordonnés. Elle tenait fermement le poignet sa fille, l'entraînant le plus rapidement possible en dehors de la forêt.
Maureen ne comprenait pas, elle observait juste le visage furieux de sa mère.
— Que se passe-t-il ? interrogea-t-elle, quelqu'un demandait du secours...
— Tais-toi, Maureen ! Coupa Mercelle. Tu n'avais pas le droit de te rendre seule dans la forêt, tu es trop faible.
Tu es trop faible.
Ces derniers mots résonnèrent douloureusement dans sa tête, elle sentait la frustration monter en elle. Elle baissa son regard, ne voulant pas faire face à celui de sa mère.
Elle se retrouva de nouveau devant l'auberge du Sanguinaire, son frère l'attendait devant la porte, l'air inquiet.
— Je voulais simplement secourir quelqu'un, souffla Maureen.
— Ce n'était pas quelqu'un, corrigea Mercelle, c'était un Appeleur. Ces créatures imitent la détresse pour capturer leur proie. Je te pensais assez intelligente pour ne pas tomber dans le piège, Maureen.
— Je... n'avais pas pensé à ça, maman...
— Sous-chef ! Interrompit-elle.
Maureen se contenta d'acquiescer fébrilement et alla rejoindre son frère. Il était assis près de l'entrée de l'auberge, s'occupant avec une balle en bois. Le chat la prenant pour une proie se hâta de s'en emparer, La jeune fille laissa involontairement échapper un rire.
— Si tu ris, fit Kodon en se relevant, c'est que maman ne t'as pas trop torturé.
— Le sous-chef tu veux dire.
Elle passa le pas de la porte, suivi de son frère. Sa mère était de nouveau en train de boire à s'enivrer avec les autres traqueurs. Elle trouvait cela dénigrant pour quelqu'un de son rang. Mais n'ayant point son mot à dire, elle soupira, puis alla s'asseoir près de Ruth. Cette dernière fit un mouvement de la tête pour la saluer.
Personne mis à part sa mère et son frère ne semblaient avoir remarqué son absence.
— Et on les nomment Traqueurs... Marmonna-t-elle.
— Tu as dis quelque chose ? Demanda calmement Ruth.
Maureen fit un signe négatif de la tête. Au même instant, un homme portant une cape sombre vint frapper à la porte déjà ouverte de l'auberge, afin de faire remarquer sa présence. À sa vue, tous les Traqueurs firent silence, cet homme de faible allure était un messager, il tenait une lettre dans sa main qu'il tendit.
— De la Reine Noire, pour les Traqueurs. Dit-il simplement.
Un Traqueur se leva, il s'agissait du chef Rick Horaus. Un homme d'une carrure imposante, des cicatrices couvrant son visage. Il marcha jusqu'au messager, et prit la lettre.
— Tu peux t'en aller, dit-il en ne quittant pas la lettre des yeux.
Le messager acquiesça puis quitta les lieux, son cheval partant au galop se faisait entendre. Maureen était curieuse et impatiente de connaître le contenu de la lettre, car il était rare que la Reine elle-même demande un service aux Traqueurs.
— Ouvres-donc cette lettre ! S'exclama Mercelle.
Le chef commença alors à lire, et au fur et à mesure qu'il avançait dans sa lecture, un sourire de plus en plus grand se traçait sur son visage. À la fin, il émit un rire rauque, presque effrayant.
— Les Rescapés arrivent à Ormesel ! Annonça-t-il. Et nous devons les abattre jusqu'au dernier !
[Carnet de notes - Appeleur : Créature malfaisante qui se manifeste par des cris ou des appels à l'aide. Conduit à la mort celui qui y répond.]
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