chapitre 9

Hey, bonne lecture et bonne journée
x, - ness

***

Dinah entendit la porte de la chambre se refermer et elle se retourna, perplexe. Elle vit Camila entrer dans la chambre, aussi trempée qu'il était possible de l'être. Elle allait parler et demander à son amie où elle était, mais Camila ne lui en laissa même pas le temps : sa main blessée s'enfonca dans le mur et lui arracha un cri de douleur, ses bras balayèrent la commode et envolèrent valser tout ce qui s'y trouvait, ses cris de colère emplirent la pièce et ses cheveux mouillés volèrent dans tous les sens alors que Camila cherchait ce qui serait sa prochaine victime.

Dinah se leva en hâte de son matelas et attrapa la Cubaine, qui se débattit avec force et envoya un coup de coude dans la mâchoire de la Polynésienne, qui ne bougea pas d'un millimètre. De sa haute taille et avec ses longs bras, elle parvint rapidement à maîtriser la jeune femme qui perdit toute colère et finit par s'effondrer dans les bras de son amie, ses sanglots devenant le seul bruit audible dans la chambre.

Au milieu de la pièce seulement éclairée de la lumière allumée de la salle de bains et des reflets de la ville à leurs pieds, Dinah resta longtemps sans bouger en serrant de toutes ses forces son amie qui était aussi seule que brisée. Seule, et entourée à la fois ; tellement seule, dans ce silence qui entourait son coeur mis à nu et repoussé avec froideur.

Tout son corps lui faisait mal : ses mains, sa tête, son ventre. Elle avait besoin de s'asseoir, mais elle n'en dit rien : rester debout et repousser ses limites la ferait peut-être s'effondrer au milieu de la chambre, et alors elle ne ressentirait plus aucune douleur, ni dans son corps ni dans son coeur.

Mais Dinah fut plus rapide qu'elle et à son grand regret, Camila fut entraînée à prendre place sur le matelas blanc ; et au diable toute l'eau qui tâcherait les draps. La blonde remarqua, d'ailleurs, l'état de Camila : ses bras nus dégoulinaient d'eau et son jean fin avait dû laisser la pluie atteindre ses os. Elle se leva sans un mot et disparut dans la salle de bains, pour réapparaître quelques secondes plus tard avec un pyjama chaud qu'elle aida Camila à enfiler.

Le pull, qui sentait l'odeur de son amie, rappela à Camila ses années d'amitié avec la jeune femme, et ses sanglots redoublèrent. Elle ne savait pas si elle pleurait de nostalgie face à tant d'innocence perdue ou de tristesse de devoir quitter le groupe ; mais elle pleurait. Elle pleurait sans pouvoir s'arrêter, et Dinah se prit à penser que toutes les larmes déversées depuis la veille avaient dû vider le corps de son amie de toute énergie.

Sans un mot, sans poser une seule question, elle prit Camila dans ses bras et l'attira avec elle dans le lit, la serrant fort entre ses bras jusqu'à ce que les sanglots de la Cubaine se taisent et que seul son souffle haché puisse être entendu dans la pièce. Dinah sourit faiblement et caressa les cheveux bruns qui dormaient entre ses bras en pensant que finalement, la petite Mila qu'elle avait connue au début avait bien grandi, mais qu'elle restait toujours un peu la même.

***

Les talons de la jeune femme claquant le sol accompagnaient ses pas alors qu'elle marchait, peu sûre d'elle, vers une chambre qui n'était pas la sienne. C'était leur dernière nuit à New York, et elle refusait de quitter la ville pour partir loin -à Atlanta- sans avoir dit ce qu'elle avait sur le coeur. Et c'est en essayant de se convaincre qu'elle prenait la bonne décision qu'elle laissa son poing s'abattre sur la porte 1117.

Elle attendit de longs instants avant de réitérer l'opération. Elle ne lâcherait pas, cette fois. Elle devait lui parler, et maintenant. Avant de partir et de ne plus pouvoir voir son visage durant des semaines, qui lui sembleront durer une éternité.

Elle allait taper une fois de plus, plus fort et plus longtemps, quand la porte s'ouvrit brusquement en laissant apparaître une grande blonde décoiffée et encore habillée. Les yeux plissés de la Polynésienne semblèrent analyser celle qui l'avait réveillée avec insistance, mais l'autre n'y prêta pas attention ; elle essaya du moins.

- Mais qu'est-ce que tu-

Dinah n'eut pas le temps de finir sa phrase que les lèvres de sa perturbatrice nocturne se plaquèrent sur les siennes. Elles avaient un goût mentholé, et Dinah eut énormément de mal de s'en détacher ; mais elle le devait. Elle le devait parce que tout était trop compliqué, parce qu'elle avait été claire en disant que tout était fini, parce qu'elle n'était pas sûre de pouvoir résister si le contact était trop long et trop fort.

Peut-être que Normani n'était pas vraiment venue pour parler, au fond. Elle ne voulait pas lui sauter dessus comme ça, elle voulait réellement avour une discussion ; mais voir Dinah comme ça lui fit comprendre que c'était la vision qu'elle voulait avoir tous les matins. Une Dinah à la voix erraillée, décoiffée, de mauvaise humeur et le visage encore rouge de sommeil -comme une enfant. C'était ça que la métisse voulait, et savoir qu'elle l'avait eu mais l'avait laissé filer entre ses doigts était atroce.

- Mani, je..

- Laisse-moi parler, tu veux? elle demanda doucement en coupant Dinah, qui se contenta de hocher la tête en s'appuyant contre le chambranle en bois.

Normani ferma les yeux et prit une profonde inspiration, prête à se jeter à l'eau. Elle avait déjà, une centaine de fois, dit à Dinah combien elle l'aimait et combien son coeur battait grâce au sien. Mais le faire alors qu'elle n'était plus sûre que ses sentiments soient réciproques demandait un courage hors-norme ; courage qu'elle ignorait avoir, mais espérait pouvoir trouver au fond d'elle. Elle rouvrit les yeux et les plongèrent dans ceux de Dinah, et se lança sans y réfléchir plus :

- Je t'aime, Dinah Jane. Je t'aime tellement que ça me tue de te voir chaque jour et chaque soir, de t'entendre, de te toucher, de faire comme si il n'y avait rien. Je t'aime tellement que la seule chose que je veux, c'est que tu m'aimes. Et tu l'as fait, avant. Tu m'aimais. Et en un jour, plus rien. Pourquoi tu n'y arrives plus?

Dinah faillit s'effondrer à l'entente de la voix, d'habitude si joyeuse, désormais torturée de Normani. Elle pouvait y entendre un mélange de déception et de supplice. Elle aurait voulu crier à Normani qu'elle l'aimait, lui dire toutes ces choses que son coeur gardait enfouies. Elle voulait la prendre dans ses bras et ne jamais la laisser repartir. Mais elle ne le pouvait pas, malgré toute sa bonne volonté.

- M'aurais-tu serrée plus fort si tu avais su que c'était la dernière fois?

Les mots de Dinah frappaient contre les parois du crâne de Normani, qui comprit dans cette simple question que la blonde avait feint de ne plus aimer Normani. Elle comprit que Dinah l'aimait toujours, et qu'elle lui avait menti en disant que ce n'était plus le cas. Elle avait menti pour que Normani ne puisse pas la serrer plus fort dans ses bras pour l'empêcher de partir. Elle avait dit qu'elle ne l'aimait plus, pour être sûre que Normani la laisse s'en aller sans la serrer une dernière fois. Fatalement.

La gorge de Dinah lui brûlait et les mots qu'elle prononça quelques secondes plus tard lui parurent étrangers à ses lèvres, comme si elle les entendait de loin, comme dans un écho. Comme si ce n'était pas elle qui les disait, comme si ce n'était pas à Normani qu'elle les infligeait. À cette belle jeune femme qui se tenait face à elle les yeux pleins d'espoir et de tristesse, cette belle jeune femme qu'elle aimait à en mourir.

- Pars, s'il te plaît.

Les yeux de Normani se remplirent d'eau en quelques secondes, mais la jeune femme déglutit et ravala ses larmes aussi vite qu'elles étaient montées. Forte, elle l'était. Courageuse, davantage. Amoureuse, plus que quoi que ce soit d'autre.

Le jour où ça lui était tombé dessus, où elle avait compris, elle avait d'abord essayé de se convaincre qu'elle se trompait. Comment elle, hétéro au possible, pouvait-elle regarder sa coéquipière avec autant d'envie, de tendresse? Comment pouvait-elle s'imaginer dans ses bras, la nuit, après un cauchemar? Normani avait voulu se persuader qu'elle avait tort, mais ce n'était pas le cas. Ces sentiments nouveaux étaient bien réels, bien là.

Elle regarda celle qu'elle aimait et s'apprêta à répondre, quand une autre voix l'interrompit.

- Dinah?

La concernée se retourna vers l'intérieur de la chambre et répondit doucement à la voix effrayée qui l'avait appelée :

- J'arrive, Chancho.

Le coeur de Normani sembla se remettre à battre à l'entente de ce surnom, qui lui apprit que ses craintes étaient infondées : Dinah ne l'avait pas trompée. À considérer que Dinah lui appartenait toujours, et elle savait que ce n'était pas le cas. Mais malgré ça, une pointe de jalousie la piqua : Camila était toujours passée avant elle. Et même si c'était mal de penser ça dans cette situation parce qu'elle savait que Camila avait besoin de ses amies pour traverser cette épreuve, Normani ne put s'empêcher de se rappeler toutes les fois où Dinah avait inconsciemment fait passer sa meilleure amie avant sa copine.

Toutes ces fois, elles ne se comptaient même plus. C'était Chancho et Cheechee, elle ne pouvait rien y changer. Alors Normani ravala ses mots et pour la centième fois au moins, elle laissa Dinah courir auprès de Camila pour la délaisser, elle, qui n'avait que son oreiller sur lequel pleurer. Elle fit un pas en arrière et sans rien dire, regarda Dinah dans les yeux une dernière fois avant de repartir dans le sens inverse à celui de l'arrivée, seul le bruit de ses talons accompagnant ses pas jusqu'au bar, où elle passerait le restant de la nuit.

***

- Désolée de t'avoir laissée, souffla Dinah en reprenant place près de Camila dans le grand lit.

- Désolée de t'avoir interrompue, c'était qui?

Dinah se réinstalla confortablement dos à Camila, prenant la petite brune entre ses bras en position cuillères. Elle songea à dire la vérité à son amie, mais à quoi bon? C'était fini de toute façon, tout était fini.

- Personne d'important.

Camila leva les yeux au ciel en soupirant avant de légèrement tourner la tête de façon à rencontrer le regard de son amie dans la pénombre de la chambre. Elle savait pertinemment que c'était quelqu'un d'important. Elle le savait depuis longtemps, et essayait de se dire que sa meilleure amie le lui avait caché pour la même raison qu'elle avait caché ses sentiments pour Lauren : tout était compliqué. Seulement elle se trompait, rien n'était compliqué en fait. Tout était juste tellement facile qu'elles se mentaient à elles-mêmes, à la recherche constante d'excuses et de beaux mensonges à raconter.

- Je sais que c'était Mani, murmura Camila en regardant toujours Dinah.

Celle-ci soupira et détourna le regard, faisant comprendre à Camila qu'elle préférait ne pas avoir à la regarder. Alors la Cubaine se remit en position initiale, en laissant son regard se perdre dans le noir de la chambre. Dinah, elle, avait fermé les yeux : elle ne voulait plus rien voir, ni l'obscurité de la pièce ni celle de son âme. Elle voulait juste fermer les yeux et ne plus les rouvrir, pas dans cette vie-là. Pas comme ça, pas ici.

- Pourquoi tu lui as dit de partir?

Dinah retint son souffle. Avait-elle une quelconque réponse à apporter à cette question? En réalité : oui ; mais ce n'était pas une possibilité envisageable de la donner à sa meilleure amie. Elle ne pouvait pas lui dire, pour la même raison qu'elle ne l'avait pas dite à Normani : elle avait peur, et elle ne voulait pas leur transmettre cette émotion horrible qui ne l'avait pas quittée depuis des mois déjà. Elle préférait garder la vérité pour elle, bien au fond de sa tête, là où personne n'irait la chercher. Parce que contrairement au coeur, où tout était facilement accessible, Dinah avait choisi de laisser la vérité s'endormir dans un coin de son cerveau, où la raison l'empêcherait de tout révéler, où ses sentiments ne pourraient pas aller.

Mais malgré le silence de sa meilleure amie qui signifiait qu'elle ne comptait rien dire, Camila comprit. Elle comprit parce qu'elle sentit ce sentiment de peur qui émanait de Dinah : elle ressentait le même tous les jours, toutes les nuits. Elle le reconnaîtrait entre mille, ce sentiment horrible.

- Tu peux tout me dire, Dinah, dit doucement Camila en caressant avec tendresse la main de la blonde qui était posée sur son propre ventre.

- Je sais, Mila.

Et à cet instant, Dinah voulait vraiment lui dire. Elle voulait vraiment tout dire parce que la vérité, cachée dans un coin de sa tête, était en train de ronger son cerveau comme l'acide ronge la peau. Son coeur était déjà meurtri ; était-il nécessaire d'aussi perdre la raison? Elle ne disait toujours rien, mais Camila acheva de la convaincre en énonçant une énième vérité que Dinah savait même déjà :

- Je te promets de ne rien dire, si c'est ce que tu souhaites.

Bien sûr que Dinah le savait, qu'elle pouvait tout dire à sa petite Chancho et que celle-ci ne révélerait à personne son secret. Dinah savait déjà tout ça, mais elle avait incroyablement peur. Peur de tellement de choses, et de si peu à la fois. Elle n'avait pas peur de perdre ses amies et sa famille ; elle avait seulement peur de les laisser.

Les deux amies étaient confrontées au même dilemme, en fait ; il avait juste pris deux formes complètement différentes. Deux situations tellement différentes, et tellement similaires aussi. Un dilemme de taille face à un destin qui ne leur laissait finalement pas le choix : partir, rester? Elles devaient partir, toutes les deux. Mais la chose qu'elles désiraient le plus était de rester. Un destin tragique, vengeur, destructeur, fatidique.

Un destin qui, en une seule journée seulement, avait détruit deux vies de la même manière. Partir, rester? Tel était le dilemme sans réel choix auquel les deux meilleures amies étaient confrontées.

Dans l'obscurité de la chambre, Dinah comprit tout ça. Une larme roula sur sa joue, et elle comprit que ce destin était sans appel. Alors dire la vérité, la sortir de son trou, n'était peut-être pas aussi ravageur qu'elle le pensait. Et dire la vérité à Camila, qui se battait tout autant qu'elle contre le même sort tragique, la rassurait. En resserrant son étreinte, elle décida d'énoncer une vérité claire et limpide, pure et sans détournement. Une vérité qui ferait mal sur le coup, mais qui comme un pansement décollé, serait vite oubliée. Elle prit cette décision en quelques instants, et elle se contenta finalement de souffler :

- Je suis en train de mourir, Camila.

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