chapitre 2
Camila observait Lauren du coin de l'oeil pendant que l'ingénieur son leur parlait, encore et encore, de choses qu'elles savaient déjà toutes. Après toutes ces années sur scène, il paraissait évident que faire ces rappels était inutile mais pourtant ils le faisaient systématiquement quand même. Le concert était dans moins d'une heure, leur laissant juste assez de temps pour se détendre un peu avant de se préparer.
Lauren était tellement belle sous le regard désireux de Camila. Elle n'avait même pas besoin d'essayer, et la plupart des filles la haïssaient pour ça, l'enviaient, la voulaient même. Ses longs cheveux noirs retombaient sur son visage et cachaient ses beaux yeux verts, mais Camila n'avait pas besoin de les voir pour savoir à quoi ils ressemblaient. Elle les connaissait par coeur, mieux que ses propres prunelles même.
Les deux jeunes femmes étaient devenues inséparables quatre ans auparavant, alors qu'elles n'étaient que des jeunes filles. Lauren avait toujours su trouver les mots et savoir comment agir avec Camila, et c'était la raison pour laquelle elle représentait tout ce que la plus jeune voulait à ses côtés. Elle adorait les trois autres filles, évidemment, mais Lauren avait ce petit quelque chose en plus qui fait qu'elle lui était indispensable. La situation actuelle tuait la brunette de l'intérieur, même si elle essayait de montrer qu'elle était forte. Elle ne l'était pas tant que ça, en réalité. Lauren lui en voulait, mais Camila ne pouvait pas choisir entre son bien-être ou elle. Et puis, son départ n'était pas la seule raison qui poussait la plus grande et plus âgée à développer une haine envers Camila tellement forte qu'elles ne seraient plus jamais aussi inséparables qu'avant, qu'il y a quatre ans, quand elles étaient jeunes. Lauren haïssait Camila parce qu'elle ne comprenait pas ses propres sentiments envers la petite Cubaine.
Ses quatres amies s'éloignèrent et Camila réalisa que l'ingénieur avait fini son speech. Elle regarda Lauren partir et ne put s'empêcher de penser que ce serait ça, la dernière image qu'elle aurait d'elle quand elles se quitteraient. Ses longs cheveux flottant dans son dos, alors qu'elle sortira de la vie de Camila.
Camila voulait dire la vérité à Lauren quant à son départ, elle le voulait vraiment, tellement. Elle rêvait de lui dire pourquoi elle quittait le groupe, la vraie raison de son départ. Mais elle n'en avait pas le droit, cela lui avait été interdit et elle doutait que le destin ferait preuve de clémence envers elle si elle fautait et laissait sortir quelques mots de trop. Quelques mots, qui ne sont peut-être rien sortis de leur contexte, mais qui, dans celui de Camila et de ses amies, pouvaient tout changer.
***
La porte de sa loge s'ouvrit brusquement en lui arrachant un sursaut, et une petite furie entra en faisant trembler le sol.
- Milaaaaaaaaaaa!
- Sofi, mais qu'est-ce que tu fais là? s'exclama-t-elle en riant alors que sa petite soeur se jetait dans ses bras.
- Maman m'a laissée venir te faire un bisou avant de retourner en coulisses.
Elle se sourirent et se regardèrent en silence pendant quelques instants, où Camila réalisa la chance qu'elle avait de l'avoir. Elle était tellement reconnaissante de la vie qu'elle avait, même si elle avait des soucis, elle estimait qu'elle n'avait à se plaindre d'absolument rien, parce que même s'il y a toujours mieux ailleurs, il y a aussi toujours pire, non?
- Je t'aime Sofi.
- Je t'aime aussi! rit la petite avant de lui claquer un bisou sur la joue et de sortir aussi vite qu'elle était entrée.
Camila secoue doucement la tête en affichant un demi-sourire où l'on pouvait lire une once de tristesse, de regrets ou peut-être alors de nostalgie face à cette innocence chez sa petite soeur qu'elle, elle avait perdu à tout jamais, qui sait? Nul ne le savait sauf Camila. Son esprit avait toujours été aussi scellé que son coeur, et quiconque pouvait lire en elle savait qu'elle était aussi mystérieuse qu'une brise et aussi vive qu'une tempête, bien qu'elle avait l'air aussi douce que le bruit de la pluie qui tombe doucement derrière la fenêtre par après-midi d'octobre.
Perdue dans ses pensées, elle arriva rapidement aux toilettes du bout du couloir, où elle voulait se rafraîchir rapidement avant de se faire maquiller d'ici quelques minutes. Elle entra dans les toilettes et referma la porte, puis avança à l'intérieur. Là, derrière le mur, se tenait Lauren. Camila ne s'attendait tellement pas à voir quelqu'un tapi là qu'un sursaut violent la secoua, la forçant à se retenir au mur pour ne pas tomber.
- Tu m'as fait peur, elle souffla.
La jeune femme en face d'elle, complètement transformée en étoile montante de la musique désormais, arrêta de s'inspecter dans le miroir et se tourna vers la petite masse à quelques mètres d'elle, les sourcils froncés. Camila ne dit rien, se contentant de l'observer également. Leur tenue de tournée était magnifique, bleu nuit et pailletée, mais c'était à Lauren qu'elle allait le mieux, ou en tout cas aux yeux de Camila, c'était le cas. Elle s'avança doucement et sans même y réfléchir, des mots qu'elle regretta instantanément franchirent ses lèvres comme dans un souffle.
- On peut parler?
- Parler de quoi, Camila?
Sa voix était inhabituellement dure, comme si elle savait déjà que Camila lui avait menti, et la plus petite des deux déglutit difficilement face à ce regard déstabilisant et à ce ton qui avait fait trembler les murs qu'elle avait bâtis dans son coeur, et qui menaçaient maintenant de s'effondrer. Tout chez sa collègue l'intimidait, pourtant c'était la personne avec qui elle était le plus proche sur cette Terre.
- Laisse-moi juste m'exprimer, tu veux? elle demanda en se mordant la lèvre très fort, tellement qu'un goût métallique de sang se répandit rapidement sur sa langue.
L'autre ne répondit pas et n'eut aucune réaction pendant quelques secondes, puis elle finit par soupirer et s'appuya contre le rebord des vasques sans réagir, les yeux baissés vers le sol et les bras croisés, comme si Camila n'était même pas là.
- Je-
- Je ne comprends pas, Camila.
- Qu'est-ce que tu ne comprends pas? demanda la petite en fronçant les sourcils.
- J'ai essayé, pourtant ; vraiment essayé. J'ai voulu te pardonner, j'ai tenté de me mettre à ta place pour imaginer à quel point rien n'était facile pour toi. Mais je ne comprends pas. Pourquoi nous faire ça, pourquoi maintenant?
- C'est justement ce dont je voulais te parler, Lo, murmura Camila, ce qui provoqua l'intérêt de Lauren qui releva la tête pour la regarder.
- Explique-moi, j'aimerais comprendre ce qui t'a poussé à nous détruire.
Le coeur de Camila sembla s'arrêter dans sa poitrine, sa cage thoracique sembla s'immobiliser, alors qu'une douleur sans nom se propageait dans tout son corps comme si du verre coulait désormais dans ses veines. Elle ne savait pas ce qui l'avait le plus chamboulée ; la réalisation de la destruction qu'elle provoquait, ou qui elle détruisait. Ce "nous", était-il pour les quatre filles qu'elle laissait derrière elle, ou pour elle et Lauren, cette relation tellement passionnelle à laquelle elle mettait définitivement un terme?
- Parce que je..
Les mots s'embrouillaient dans son esprit, elle n'arrivait pas à affronter ce regard, le seul sur cette Terre à pouvoir lire en elle comme dans un livre ouvert. Et face à ces yeux d'une pureté et à la fois d'une colère extrêmes, la réalité frappa Camila comme un éclair, et elle comprit qu'elle ne pouvait pas faire ça. Elle comprit que le faire, dire la vérité et tout révéler à Lauren (qui attendait des réponses avec plus de hargne que personne d'autre), provoquerait un tremblement sans précédent pour le groupe, pour elles deux, pour elle. Et elle ne pouvait définitivement pas faire ça à Lauren, elle ne le ferait pas.
Les sourcils de celle-ci se froncèrent alors que Camila observait le cou de Lauren depuis une ou deux minutes, orné d'un collier qui ne la quittait jamais. La jeune femme fut distraite pour un court instant, mais c'est tout ce qu'il fallut pour que Lauren s'approche d'elle avec vivacité. Sous la pression, Camila recula et se retrouva collée au mur, sans échappatoire face au regard insistant de Lauren maintenant à quelques centimètres d'elle.
- Tout ce temps, je pensais qu'on te rendait heureuse. Je pensais pouvoir te rendre heureuse. Et tu m'as laissée y croire, longtemps, avant de lâcher que tu partais, que tu nous laissais, avant de laisser cette bombe détruire le groupe et tout ce qu'on a créé ensemble. Tu détruis toujours tout. J'ai essayé de te pardonner, mais je n'y arrive pas. Je te déteste, Camila.
Camila s'apprêta à répondre, mais aucun mot ne sortit et elle resta là, bouche bée, ses mots résonnant dans son esprit en y laissant des coupures indélébiles, alors que la douleur de la vérité qu'elle venait d'entendre lui donnait le vertige. Lauren s'éloigna brusquement, comme si le souffle de Camila la brûlait soudain, et arracha d'un coup sec son collier avant de le déposer dans la frêle main de Camila. Les larmes montèrent vite aux yeux des deux jeunes femmes, mais elles les ravalèrent alors que Lauren donna le coup final qui suffit à briser le coeur de Camila, ou en tout cas les débris qu'il en restait.
- Je croyais que tu étais la lune dans l'univers que j'avais créé dans mon esprit. Mais j'avais tort, parce que la lune ne me quittera jamais. Toi, tu n'étais qu'une météorite qui a tout cassé sur son passage.
Et elle sortit des toilettes en laissant Camila là, comme une idiote, le dos au mur. Elle baissa le regard vers le petit pendantif froid au contact de sa paume moite, et une boule se forma dans sa gorge, l'empêchant de respirer. Elle se laissa glisser jusqu'au sol pour se calmer et reprendre ses esprits avant de rejoindre sa loge. Personne n'avait besoin de la voir dans cet état, et peut-être même que personne n'avait besoin d'elle -tout court. Elle pouvait sentir la crise de panique arriver, alors elle prit de grandes inspirations et serra les poings en tenant fermement le collier, des souvenirs traversant sa mémoire, les larmes salées roulant finalement sur ses joues.
C'était un an et demi plus tôt ; un après-midi de juin, le jour de l'anniversaire de Lauren. Ses parents étaient à Cuba, et elle allait passer cette journée sans sa famille pour la première fois de sa vie. Malgré la présence de ses meilleures amies et leurs tentatives pour lui remonter le moral, elle était au plus bas. De plus, un stupide garçon venait de rompre avec elle et le label lui interdisait de montrer sa sexualité au monde ; elle n'était pas seulement intéressée par les garçons. Rien ni personne ne pouvait lui remonter le moral, et la journée fut très longue.
Le soir, alors qu'elles étaient toutes couchées et exténuées, Camila entendit un matelas dans la chambre bouger légèrement et malgré l'obscurité, elle put reconnaître cette silhouette qui s'avançait entre mille. Lauren. Elle s'approcha doucement du lit de son amie, sûrement par peur de la réveiller ou d'éveiller les autres, et se glissa aux côtés de Camila avec précaution. Elle ne pouvait pas voir que ses yeux chocolat étaient en réalité ouverts et qu'elle l'observait, essayant de deviner ses traits dans la pénombre. Soudain, la main de Lauren vint se poser délicatement sur les cheveux bruns de celle à ses côtés et elle se mit à les caresser avec douceur. Lorsqu'un faible reniflement déchira l'air et que Camila comprit qu'elle pleurait, elle décida de parler.
- Lauren?
La brune eut un petit sursaut et retira immédiatement sa main, reculant même de quelques centimètres en réalisant à quel point elle était proche de Camila physiquement.
- Cam-Camila? Tu es réveillée? elle souffla en réponse.
La plus jeune avança prudemment sa main et essuya la joue humide de larmes chaudes de sa meilleure amie. Lauren prit une inspiration sous l'effet de ce contact et posa sa tête sur l'oreiller quand Camila retira sa main. Celle-ci se retourna pour prendre son téléphone et alluma le flash, avant de le placer entre elles deux au niveau de leur poitrine pour leur donner un peu de lumière.
- Pourquoi tu pleures? elle demanda doucement en prenant la main de Lauren.
- Je ne suis pas heureuse, Camz. J'essaie, je le jure, mais je n'y arrive pas. J'ai l'impression que je ne pourrai jamais l'être.
Une nouvelle larme coula sur sa joue et l'autre l'essuya immédiatement de sa main libre, son coeur se serrant légèrement à ses aveux.
- Pourquoi tu dis ça?
- Je ne sais pas... C'est comme si tout et tout le monde autour de moi allait bien, mais moi, j'ai l'impression de tomber dans un puits sans fond à longueur de journée, comme si je serai toujours dans cet état. Ni sur mes pieds, ni complètement brisée, juste... tombant à l'infini.
Camila ne répondit pas tout de suite, assimilant ses paroles. C'était la première fois que Lauren était si vulnérable, même avec elle. Elles savaient toutes ce qu'elle traversait, elles savaient que c'était dur, elles le voyaient. Mais Lauren n'avait jamais avoué le ressentir comme ça, et l'entendre fit tellement de peine à la petite Cubaine qu'elle eut l'impression d'elle-même sentir sa douleur, physique et émotionnelle. Elle finit par murmurer, leurs mains toujours emprisonnées l'une dans l'autre avec leurs doigts entrelacés :
- Tu sais, c'est normal de ressentir ça parfois. Il n'y aucun mal à ça, Lo. Tu as le droit de ne pas être une dure à cuire tout le temps, tu as le droit de te sentir mal et de demander de l'aide autour de toi. Ça ne veut pas dire que tu n'es pas forte. Être forte, c'est reconnaître ses faiblesses et apprendre à les surmonter, seule ou pas.
Elle marqua un petit silence, cherchant les bons mots qui pourraient faire comprendre à Lauren ce que Camila essayait de lui dire depuis tellement longtemps.
- Si tu n'arrives pas à être heureuse en essayant seule, alors laisse-nous t'aider. Laisse-moi t'aider, Lo.
Elle hocha doucement la tête, un petit sourire se dessinant doucement sur son visage. Lauren avait l'air tellement mal, les cheveux collés sur le front, les joues humides, le nez rouge et les yeux plissés. Camila pouvait lire la douleur dans ses prunelles vertes. Elle les connaissait tellement bien, ces yeux.
- Merci, Camz, elle souffla.
Camila sourit avant de lui embrasser le front et de la prendre dans ses bras pour la réconforter. Elle était si bien. Elle allait s'endormir, quand elle se rappela de quelque chose qui lui était complètement sorti de l'esprit.
- Ton cadeau.
- Tu me l'as déjà donné, répondit Lauren avec un brin de confusion dans la voix.
Son amie rit doucement et l'éloigna de son étreinte, alors que Lauren lâcha son tee-shirt auquel ses mains étaient accrochées, comme une enfant apeurée. La jeune fille se leva doucement du lit et se dirigea vers son sac dans le coin de la pièce, d'où elle sortit un petit paquet rouge avec un mot accroché dessus. Elle se rapprocha à nouveau du lit et s'assit dessus, et Lauren l'imita en fronçant les sourcils avant de se frotter les yeux, qui étaient encore embués.
- C'est un cadeau un peu plus spécial que des vêtements, cette fois.
La plus âgée pencha légèrement la tête sur le côté comme un petit chaton, et cette vision adorable arracha un sourire à Camila. Elle lui tendit le paquet et Lauren en décrocha d'abord le mot qu'elle lui avait écrit, qu'elle lit en murmurant.
"Pour toutes les fois où je ne serai pas là, regarde la lune et dis-toi que je la vois aussi d'où je suis. Comme ça tu sauras que je serai quand même toujours avec toi. Joyeux anniversaire. -C"
Camila observait Lauren, décelant un éclair de bonheur dans ses yeux alors que son sourire s'aggrandit. Elle releva ses yeux verts vers elle et la regarda quelques secondes, comme figée dans le temps.
- Ouvre-le, souffla Camila.
Elle hocha la tête et baissa le regard vers le paquet, qu'elle ouvrit sans faire de bruit, avec lenteur. Ses yeux devinrent encore plus étincelants quand ils se posèrent sur le petit cadeau que sa meilleure amie lui avait fait. Lauren attrapa le collier avec précaution et approcha le pendantif de son visage pour mieux l'observer.
- Un croissant de lune, elle sourit.
Camila hocha la tête et l'attrapa avec douceur, lui faisant signe de se retourner pour qu'elle puisse lui accrocher. Une fois le collier mis, Lauren relâcha ses longs cheveux et se tourna de nouveau vers son amie, avant de la prendre dans ses bras et de souffler au creux de son oreille :
- C'est magnifique, Camz. Merci.
Camila sourit et lui frotta le dos quelques secondes de manière réconfortante avant de s'écarter d'elle.
- Allez, il est temps de dormir, Lo.
Elle hocha la tête et elles s'allongèrent toutes les deux, avant de s'endormir ensemble, le sourire aux lèvres.
Tous ces souvenirs revinrent hanter la mémoire de Camila alors que les larmes roulaient sur ses joues, ses poumons comme bloqués. Elle rouvrit la main et regarda le collier, les yeux flous à cause des larmes. En le caressant, elle ne put s'empêcher de penser que tous ses secrets causeraient inévitablement sa perte et celle de tous les êtres qui lui sont chers. Elle allait les perdre, elle le sentait, le savait. Elle se retrouvait même déjà seule, à pleurer là sur le carrelage des toilettes pour femmes à New York. Des secrets, des secrets, toujours et encore plus de secrets.
Si la lune pouvait parler, elle en aurait des choses à dire.
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