avis de tempête
L'air est plus lourd. La mer claque plus fort contre la pierre. La brise change brutalement de direction, à chaque fois plus fort.
Ces changements, un être humain normal ne les ressentirait que trop tard. Moi, ça fait deux jours que je me prépare. Il faut juste que je finisse de sceller cette foutue porte! A chaque montée des eaux c'est la même chose... A chaque fois que j'ai fini de mettre la cire, il y a encore un trou et c'est ma bibliothèque qui prend l'eau... Je finis par repérer un creux que je n'avais pas remarqué avant. Je lève une de mes mains écailleuses pour appliquer la cire grâce au dos de mes serres. En plus, ça risque d'être une grosse tempête selon les prévisions... je repasse à nouveau mes mains pour être sûr. Encore un satané creux... Deux... Non quatre. Aaaah c'est sans fin! Je devrais partir le plus tôt possible à cause des perturbations plus haut... Je vais devoir voler à l'intérieur des nuages aussi, pour ne pas être vu... Le froid, la pluie... En plus à cause de mes ailes je vais rien pouvoir enfiler... Ah, mauvais pour moi, si j'attrape quelque chose...
Fini ! J'enfile mon pantalon par dessus mes pattes d'oiseau et je jette mon sac sur mes épaules. Je vérifie que la sangle de sécurité est bien mise, que mes ailes ne gêneront pas. Ça n'a pas l'air d'être le cas. Je m'élance, et en quelques battements d'aile j'arrive à me stabiliser et à rentrer dans les nuages. Il fait un froid de chien là haut ! Encore une fois je suis à moitié piaf, mais je peux dire que dans ce cas, j'aurais aimé être un oiseau complet ! Ma peau est à nu sur la plupart de mon corps et actuellement j'ai l'impression de sentir mon corps tomber en morceaux... Ah mes précieux pieds... Les vents me déstabilisent déjà pas mal, je dois rester vigilant.
Si mon GPS interne est toujours aussi précis, je devrais approcher la côte est de N.Port, une des grandes villes de ce continent. Je descend avec prudence pour voir si je suis près du port, avant de replier mes ailes pour plonger dans l'eau. Je rouvre mes yeux, qui me piquent à cause de la pollution de l'eau ici. Je remonte grâce à quelques brasses sur l'enrochement artificiel, et m'ébroue. L'avantage d'être un oiseau de mer, c'est d'être sec tout de suite. Je plie mes ailes soigneusement, tout en me baissant pour ne pas être vu par les dockers. J'enfile d'abord mes gants pour éviter de déchirer quoi que ce soit avec ces maudites serres. J'ouvre mon sac pour y sortir mon pull, que je passe ensuite par dessus mes épaules. Je contracte mes ailes au maximum... Ça fait mal... Finalement, j'arrive à les passer à l'intérieur. J'ai eu de la chance d'hériter des petites ailes de ma mère, celles de mon père traînaient jusqu'à ses pieds... Je me demande si un jour il a pu visiter le monde des hommes... Enfin, je met un manteau pour terminer mon camouflage. Oh merde les chaussures! Si les gens voient mes pattes de piaf dépasser ça va mal se passer! Je sors mes chaussettes rembourrées avant de les enfiler, tachant de trouver une position confortable. Une fois mes baskets lacées, je tente une première fois de tenir debout avec. Grand échec. Sous l'effet de panique, mes ailes tentent de m'aider à retrouver l'équilibre. Faute de marcher, ça fait mal. Je retente, en posant bien mes pieds à plat. Jackpot. En un petit saut, je me hisse sur le bitume du port. Personne ne m'a vu. Je prend la direction d'un quartier que je connais bien, en saluant les dockers qui avaient l'habitude de me voir passer-ils ne savent rien de moi.
J'aime N. Port. Ses quartiers, ses journaux, ses restos, ses artistes de rue... C'est peut être parce que mon espèce s'établit souvent dans la région, mais quelque chose me dit que si j'étais totalement humain, je vivrais ici. J'arrive devant un restaurant que j'aime bien. Mhm, un bon petit plat ça me ferait pas de mal...
-un fish and chips, avec un coca et un cupcake s'il vous plaît.
-ça fera 20 dollars.
-mhm d'accord...
Ouh là, mon budget va devenir serré avec une dépense pareille... Oh, c'est probablement la seule chose que je vais payer à part l'hôtel, ça devrait aller. Je sors le billet de mon sac.
-merci, voilà votre numéro de commande.
Je fais un signe de tête pour remercier la caissière avant de m'éloigner rapidement, ayant remarqué qu'elle fixait mes yeux. Je m'asseois dans un coin, et je rabat ma capuche pour que personne ne remarque à nouveau leur couleur rouge-marron. Mon numéro de commande est le 74, le 65 vient juste de sortir. Ça devrait aller. Je branche discrètement une de mes batteries sur la prise au mur. Pas d'électricité sur mon rocher, je recharge un peu à la sauvette quand je sors. 66. Je sors mon portable. 67. Je met mes écouteurs.68. 69. Mes ailes se décrispent. Je vais mieux. 70. 71. Je tape le rythme de la chanson contre la table. Mon doigt sonne un peu sec pour un humain. 72. 73... Somewhere in South End when you were fun
You took my hand and you made me run
Up past the prison to the seafront
You climbed the cliff edge and took the plunge...
-74!
-oui !
Je me lève pour récupérer mon plateau. Je met mon cupcake et mon coca dans mon sac, avant de m'attaquer à mon fish and chips. Je mange peu, pour en garder. Je me lève pour partir direction de l'hôtel. Quand j'entre à l'intérieur, il y a quelqu'un que je ne connais pas-je ne l'ai jamais vu- à l'accueil. Je lui souris.
-bonjour, j'ai réservé une chambre pour les deux prochaines nuits, au nom de Mike S.
-exact... Ce sera 140.
Aïe... J'ai plus d'argent du tout après ça... Je vais devoir retourner aux petits boulots...
-vous êtes un régulier ?
-on peut dire ça, j'habite sur une petite île pas loin, je viens ici à chaque fois qu'il y a une tempête ou si je veux me rapprocher de la société un moment.
-oh ça doit être bien ...
-ça l'est, il faut juste aimer être seul.
Je coupe mon échange en prenant la clé. Je me sens mal à l'aise si je leur parle trop longtemps. C'est bizarre pour moi de me sentir à l'aise quelque part alors que c'est moi le monstre. A la fois j'aime cette ville mais je la déteste. Je rentre dans la petite chambre, je met ma multiprise pour brancher toute mes batteries. Je descend les rideaux avant de mettre le miroir contre la fenêtre. Puis je commence à enlever mon déguisement.
Je retire d'abord mes baskets et mes chaussettes, pour laisser sortir mes pattes d'oiseau à trois doigts et aux écailles noires. J'enlève mon manteau, puis mon pull, révélant ma peau bronzée parsemée de cicatrices. Mon nez est un peu crochu, mes yeux sont ceux d'un oiseau, rouge, peu humain. Mes cheveux sont en réalité des plumes, une sorte de duvet que l'on retrouve aussi sur mes épaules, ma poitrine et mes coudes-jonction de la peau et des écailles de mes mains. Mes ailes sont petites. Celles d'un Gavia Stellata, gris brun avec une sous couche blanche. Elles ne sont pas exactement placées sur mes épaules, un peu plus bas sur mes omoplates. Je retire mon pantalon. Mon intimité est cachée par le même duvet que sur le reste de mon corps. Dans le bas de mon dos, des plumes et non du duvet pousse. J'ai peur que ce soit signe d'une deuxième paire d'ailes en train d'apparaître. Il ne reste sur moi que les gants sur les mains. J'hésite. Je les retire. J'ai cinq doigts, très longs, et une très petite paume. Mes doigts sont assez ressemblants à ceux d'un humain, juste un peu plus osseux et... Écailleux. Au bout de ceux-ci, je possède des serres, longues et crantées, tranchantes comme des lames. Des armes porteuses de l'odeur de la mort... J'en sais quelque chose. Je m'allonge sur mon lit, d'où je n'ai pas prévu de bouger pour les deux prochains jours.
Je me retourne vers le miroir où je vois mon corps. Dans d'autres circonstances, je me serais trouvé beau. Mais là... Je ne vois qu'Elflamm le monstre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top