63~ ... récolte la tempête !

Les souffles étouffés. Le bourdonnement des caméras. Des spots. Et mon cœur qui bat à la chamade.
Le monde ne se résume plus qu'à ça.

Je... je l'ai dit.

Devant sa famille, les rebelles, les conseillers. Devant le pays tout entier.

Merde, je l'ai dit !

Et comme si une bombe menaçait d'exploser, toute la salle retient son souffle.

Il règne un silence lourd, un silence bruyant. Un silence chargé d'électricité qui n'attend qu'une petite étincelle pour tout embraser. Comme des soldats sur un champ de bataille, chacun retient son souffle avant que tout explose pour de bon.

Alors, Eliam finit par se lever. Puis il se tourne vers le public, les yeux aussi plissés que son sourire nonchalant est étiré. Et il fait taire toutes les interrogations qui doivent les agiter en trois mots :

— C'est vrai.

Sa déclaration souffle une seconde fois l'assistance. Même moi, j'en reste bouche bée.

Il l'admet ? Sans même se défendre, il le reconnait ?

... il ne se bat même pas ?

— J'ai tenté de tuer la voleuse qui nous menaçait, complète-t-il en se retournant vers moi, les yeux plus brillants que jamais. Et dieu sait que j'aurais dû aller jusqu'au bout...

Sa voix est devenue chuchotement. Pourtant, elle fait vibrer mes tympans plus fort que le tonnerre.

Il m'accuse. Oui, il m'accuse d'avoir menacé la compétition ! Il dit que tout est de ma faute !

Non mais vraiment !!

Et avant que je ne puisse répliquer, une vague d'agitation parcourt la salle. Surprise, je me tourne de suite vers le public pour m'enquérir de son motif.

Oh merde...

Les poils dressés sur tout le long de ma peau, je vois une bonne dizaine de gardes aux armes dégainées, pointant tous leurs pistolets sur la famille royale et sur les conseillers.

Je vois la mine sombre du roi, les yeux écarquillés de la reine, les traits tombants d'Hydena, le regard résigné d'Athelios... Tous dans le viseur des rebelles. Et les rebelles eux-même dans le viseur des autres gardes, prêts à tirer.

Il y a l'ours appuyant le canon de son arme sur la tempe de Théo. Il y a Kav, debout, un pistolet braqué sur le public sans que je ne sache exactement qui il peut viser.

Le moindre coup de feu et on est tous finis.

Trois secondes, c'est le temps que je passe à détaille la scène avant de me retourner vers Eliam.
Oui, c'est avec lui que tout se joue désormais.

— Arrête-ça ! exigé-je fermement.

Qu'il les ramène à la raison !

Le garçon laisse rouler sa tête vers moi, les yeux plissés et le sourire toujours plus étendu sur ses lèvres.

— Je crois que je n'en ai pas le pouvoir cette fois, remarque-t-il nonchalamment. Discutons plutôt, tu veux ?

Et dans ce climat aussi glacial que brûlant, le garçon fait crisser ses chaussures pour se placer face au public.

Il rajuste ses manches, fait tourner ses épaules comme pour s'étirer et relève la tête, regardant droit vers cette assemblée à deux doigts d'exploser.

Droit devant Marath tout entier.

— Gabrielle a tué des citoyens, dit-il sur un ton bien trop léger pour la gravité de sa déclaration. Plus que d'être une simple employée à l'usine, c'était une experte dans le domaine de la trahison, du vol et du meurtre. Elle était pire qu'une machine.

Alors là... j'ai de quoi tomber de haut.

Non mais sérieusement, il me trahit aussi simplement que ça ?

Mes joues bouent de rage, je reste totalement abasourdie par ses paroles.

— Tu es bien placé pour parler de trahison ! m'écrié-je. Dis-moi, cher prince, tu en as tué combien des gens pour défendre la cause des Loups-Gris ?

Un nouveau frisson parcourt l'assemblée. 
Ça y est, tout le monde est au courant. Tout le monde sait que notre prince est un putain de traître !

Mais ça n'inquiète toujours pas le principal interessé.
Oh, je crois que de toute façon, rien n'arrivera jamais à le préoccuper...

— Ça n'a pas d'importance, balaye-t-il d'un revers de la main, comme si c'était le moins signifiant des détails (après tout que sont quelques morts pour sa cause ?). Vous savez, Gabrielle n'a jamais voulu participer à cette compétition. Vous avez devant vous une voleuse qui n'a intégré le Better's Game que pour l'argent !

Ce n'est même pas la vérité ! Enfin, à moitié...

Mais pourquoi il invente tout ça ?!

Il cherche à m'entraîner dans sa chute, c'est ça ? Il cherche à me faire couler avec lui ! Oh mais si il croit que je vais me laisser faire !

— Eliam nous a tous dupé, du début à la fin, asséné-je en me tournant à mon tour vers le public. Il souriait aux caméra pour nous maudire en silence, il participait à la compétition de jour et planifiait la rébellion la nuit ! Libre à vous de croire ma parole —celle d'une voleuse, c'est vrai. Mais je peux vous jurer que notre prince nous a toujours menti !

Tout le monde me dévisage, soufflés.
Et malgré le poids de leurs regards plus critiques les uns que les autres, je ne ploie pas.

Non, je ne ploierai pas !
Ce n'est pas eux qui m'importent aujourd'hui.

Si Eliam veut un règlement de compte, il va en avoir un !
Alors, que dit-il de ça ?

... il n'en dit rien, comme d'habitude. Quand je me retourne vers lui, furibonde, c'est pour constater qu'il est toujours en train de sourire.

Oh mais est-ce trop lui demander de prendre cette histoire un minimum à cœur, merde ?!

— Il a même tenté de m'assassiner ! répété-je, bouffée de fureur. Moi, la fille qu'il embrassait !

— C'est vrai, concède encore le garçon en inclinant la tête. Et dans les deux cas, je dois dire que tu t'es toujours bien défendue.

Il fait quelques pas, traversant l'estrade avec une telle légèreté qu'on le croirait voler. Tout à son aise devant ce chaos, insouciant devant l'effondrement de sa vie.

On dirait presque que ça l'amuse ! Non, même lui ne peut pas aimer ça tout de même... ?

Son masque explose devant tous... et soudain, je comprends.

Notre prince s'est toujours caché. À tout le monde. Et aujourd'hui, il dévoile enfin son vrai visage. 

Aujourd'hui il ne ment plus. Aujourd'hui, Eliam est Eliam. Un fou furieux avec soif de justice et peu importe ce que les autres peuvent en penser.

Aujourd'hui, il est juste lui-même.

— Gabrielle s'est forcée à rester dans la compétition, dévoile-t-il en relevant le menton. Depuis le début, elle nous détestait tous. Elle qui n'a jamais connu que la misère nous haïssait, nous, nobles prétentieux pour lesquels elle était forcée de tout donner. Comme tous les Nuits, elle était en colère contre ce gouvernement qui l'exploitait. Ce gouvernement qui l'abandonnait à son triste sort sans rien faire pour changer les choses...

Sa voix vibre d'une rage contenue. C'est à se demander pour qui il parle réellement.

Ses paroles reprennent seulement mes pensées ou mélangent-elles celles de tous les Nuits qu'il a connus ? Ne sont-elles destinées à n'accuser que moi ou visent-elles aussi tous les nobles qui nous exploitent sans broncher ?

Autant de questions sans réponses.
Et cette fois, je n'ai rien à rétorquer. 

Je le laisse donc parler, ne sachant foutrement pas où il veut aller.

— Et puis votre voleuse est entrée dans notre monde. Le monde de la richesse et du pouvoir, celui des Aurores. Oh Marath, vois maintenant comme elle a changé !

Le prince se tourne vers moi, les membres aussi lâches que raides.

Je le scrute, perdue.
Je ne sais pas, mais alors pas du tout ce à quoi il peut penser. Merde, mais qu'est-ce qu'il fabrique exactement ?

— Celle qui ne parlait que pour trahir s'est mise à parler pour vous aider. Celle qui ne voulait pas jouer a commencé à prendre la compétition à cœur. Elle s'est mise à défendre sa caste, à défendre les pauvres, à défendre son peuple... Et elle a finalement décidé de donner tout ce qu'elle était pour vous servir.

Les lèvres tremblantes, je ne peux que observer Eliam en silence tandis qu'il se retourne vers moi, mains tendus pour me présenter à bout de bras.

— Tu ne crois pas que c'est trop héroïque pour toi, Gabrielle ? Tu donnes quand même beaucoup aux autres pour fille qui ne doit se préoccuper que d'elle-même...

Oh si je m'attendais à ça !

— Alors je vais vous donner une leçon, Marath, reprend Eliam en se tournant vers le public, inspirant un bon coup pour continuer :

— Les gens changent. Ils affrontent tous des épreuves et en sortent tous différents, défigurés. Ainsi va la vie !

Il fait quelques pas en avant et nous désigne tous deux d'un geste vague de la main.

— Regardez, vous avez devant vous une ancienne Nuit qui a commis les pires crimes et un ancien prince auquel vous vouiez toute l'admiration du monde. Maintenant, dites-moi : lequel de nous deux mérite de gagner ces jeux ?

Tout le monde retient son souffle, anéantis par ses paroles.
Oh, c'est dingue comme un simple prince peut marquer les esprits à ce point !

Eliam perd tout. Il tombe, il s'écroule devant nous. Mais il s'écroule en beauté ! Dans un spectacle qui restera à jamais ancré dans nos mémoires.

Si il démolit sa vie, il s'érige par la même occasion le plus grand des mausolées.

— Eliam combattait pour nous, déclaré-je alors, prise d'une inspiration aussi soudaine que stupide sans doute. Notre prince a décidé de trahir sa famille et son héritage pour nous venir en aide à nous, de simples Nuits. Saviez-vous seulement que c'était possible, qu'un noble puisse nous donner autant ?

Les mots sortent seuls de ma bouche, ce n'est qu'en les ayant prononcés que j'en prends réellement conscience.

Mais c'est la vérité ! Et je ne m'arrête pas :

— Je détestais le gouvernement, admetté-je en serrant les poings. Je les détestais tous, Aurores privilégiés qu'ils étaient. Ils me prenaient tout ce qui comptait pour moi ! Ils me laissaient pourrir dans la misère et me rendaient contrainte des plus terribles crimes. Oui, exactement comme vous tous ! Mais jamais je n'avais pensé... jamais je n'avais imaginé toute la pression qu'ils avaient en réalité à supporter. 

Je m'avance de quelques pas, plus déterminée que jamais à faire passer mon message.

— Nous ne sommes pas les seuls à exister, vous savez, sermonné-je. Et tandis que nous nous morfondons sur notre sort, eux, ils donnent toute leur vie pour nous gouverner du mieux qu'ils peuvent ! Non, je n'exagère pas, ils donnent vraiment tout pour vous. Regardez deux secondes ce second prince même pas destiné à gouverner trahir toute sa famille pour vous venir en aide et osez me dire que je me trompe ! 

Mes derniers mots raisonnent dans la salle.
Je reprends difficilement mon souffle, bouleversée par tout ce que je viens de dire.

J'ai changé, tellement changé ! Je ne suis que l'ombre de moi-même, le pouvoir m'a tout pris. Alors je défendrai ceux qui se sacrifient comme moi. Que le peuple voit, qu'ils voient tous qu'ils n'ont jamais été seuls !

Eliam se retourne vers moi, surpris. Et son sourire monte jusqu'à ses oreilles quand il reprend la parole :

— Voyez comme elle nous défend ! pouffe-t-il, amusé, avant de baisser les yeux vers moi. Gabrielle, j'ai détruit ta chaire et ton cœur. On t'a pris tout ce que tu étais. Cesseras-tu un jour de tout nous pardonner ?

Je secoue la tête, la poitrine gonflée d'émotions plus brûlantes les unes que les autres.

Non, il se trompe. Et il me reste encore des choses à dire. Alors j'avance à côté de lui, les pas aussi légers que si je marchais sur des nuages.

Passée la colère, je suis à présent calmée.
Et je sais ce qu'il me reste à faire.

— Si tu crois que je vous pardonne, tu te trompes, dis-je en haussant les épaules. Non, je ne vous pardonne pas. Par contre, je vous comprends. Vous ne faites peut-être pas les meilleurs choix mais vous faites ce qui vous semble juste, et ce même si... c'est au dessus de vos forces. Ça, on ne peut pas vous l'enlever.

Puis je me retourne vers le public, prête à tout déballer.

— C'est le conseil que les Loups-Gris cherchent à faire tomber, poursuis-je sans réfléchir. Des "élus" qui s'arrangent pour que tout aille dans leur sens et qui s'appuient sur votre soutient pour faire passer des lois débiles. Helina, Théo, lancé-je alors en direction des deux conseillers. Combien de discours viennent réellement de vous ? Dites-moi, vous avez déjà parlé par vous-même depuis que vous avez gagné le jeu ?

La première baisse les yeux. C'est la dernière à avoir été recrutée, celle qui craque le plus facilement. Son collègue par contre reste digne, même si je sens à sa colère un peu trop forcée que j'ai visé juste.

Qu'Eliam a visé juste aussi. Et quand le prince prend ma main pour la serrer dans la sienne, je n'ai aucune envie de me dégager.

Nous faisons face à ces tyrans ensemble. Avec le peuple. Pour le peuple. Nous feront tomber les menteurs et guérirons notre pays.

— Vous vous trompez ! jure Théo, les joues rouges de colère.

Et je presse la main d'Eliam dans la mienne, certaine pour ma part que nous ne nous trompons pas.

— Alors laissons-les choisir, proposé-je avant de me tourner vers la caméra. Donnons-leur le choix pour une fois, un vrai choix. Oui Marath, parce que vous en avez le droit ! Vous avez le droit de choisir votre métier, de choisir votre vie et plus que tout, de choisir qui va vous gouverner. Alors votez ! D'Eliam, d'Adama ou de moi, qui voulez-vous vraiment comme nouveau conseiller ?

Ma proposition les laisse tous bouche bée. Loups-Gris, aristocrates et conseillers, tous restent abasourdis face à mes paroles.

Quoi ? Ils n'avaient jamais pensé à leur laisser le choix ?

Je penche le menton, rivant mon regard dans l'œil attentif de la caméra qui retransmet mon discours au pays tout entier.

— Alors dites-nous, vous voulez une nouvelle marionnette ou vous voulez changer les choses ? demandé-je en souriant. Vous voulez camouffler vos plaies ou les guérir ? Rester asservis ou vous soulever ? Aujourd'hui, c'est à vous de choisir !

Oh, je ne sais pas du tout ce que pourra donner ce sondage. Je ne sais foutrement pas dans quoi je viens de me lancer ! Par contre ce que je sais, c'est que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rendre la justice. 

Oui Marath, j'ai décidé de te sacrifier ma vie. Alors fais le bon choix !

Eliam sert ma main à la broyer. Un soutient sans faille, un garçon fier de moi plus que jamais. 
J'ai respecté sa volonté. Du plus profond de son être, il approuve mes mots tout comme ma proposition déjantée.

Lui qui n'a pas voulu me tuer, moi qui n'ai pas voulu le trahir. Deux fous furieux qui se livrent corps et âme à leur pays.
Pour la justice, oui. Pour la liberté et pour la justice !

Aujourd'hui, nous donnons à notre peuple une opportunité de faire changer les choses. De mettre les Loups-Gris d'accord avec le gouvernement, de leur donner un élu et d'abolir les castes.
Nous les rendons libres.

Alors les gens votent.
Et le décompte se lance.

Bientôt apparaîtra le classement, leur choix final. Bientôt, les cendres de l'explosion retomberont.

Tout bougera, de n'importe quelle manière.
Nous rattraperons nos erreurs, nous changerons comme il le faudra.
Oui, nous sommes prêts pour tout ça.

Alors Marath, dis-nous. 

Qu'est-ce que tu décideras ?

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