6~ ... et un repos bien mérité.

L'écran s'éteint. Noir, il devient noir.
Puis d'autres éclairages s'allument pour éclairer la pièce. Les assistants se mettent à bruisser de tous les côtés, rangeant leur matériel sous le grésillement de la sono.
Les autres participants commencent alors à s'agiter sur l'estrade, impatients. Et moi, je vois le monde se déformer...

Gabrielle, ressaisis-toi ! C'est pas un peu de lumière qui va te tuer, merde !

Je ferme les yeux quelques secondes pour revenir à moi-même, puis les ré-ouvre sur un monde qui a retrouvé un plafond et un sol.
Eh bien voilà qui est mieux.

- Les filles ? appelle alors miss à la voix trop aiguë.

Je dois laisser passer un temps avant de réagir. Mes pensées sont embrouillées à cause de l'agitation ambiante, je n'arrive pas à les poser. Oui ? Je suis une fille, oui. Qu'est ce qu'il y a ?

- Veuillez me suivre.

Alors je porte mes pas vers elle, avec son chignon blond reconnaissable entre mille. Pas besoin de me le dire deux fois, je suis trop heureuse de quitter cette salle oppressante aux éclairages artificielles qui agressent mes rétines. Oh, l'éclat de la lune ou celui des bougies sont bien les seuls choses qui devraient mériter de pouvoir trancher l'obscurité.

La femme nous entraîne à l'extérieur, toujours du même galop énergique qu'elle n'a pas lâché de la journée. Je la suis plus à mon rythme, noyée dans la foule des participantes auxquelles je ne prête pas attention.
Oui, je n'aime pas les rassemblements. Ces visages et ces voix grouillantes tout autour de moi ont de quoi me donner la nausée. Loin de l'ambiance des bars, rien n'est chaleureux dans ce brouhaha fébrile.
Oh, je préfère largement des hommes saouls à ces jeunes filles volubiles. Les premiers sont incertains, mais ils ne réfléchissent pas. Les secondes pensent trop, c'est ça le problème.

- Mademoiselle Adama, mademoiselle Elya, mademoiselle Hyacinthe, énumère l'organisatrice en distribuant les chambres à l'étage.

Et les filles se retirent une à une du groupe pour filer à leur porte tandis que nous continuons à avancer.

En tant que Nuit, je me retrouve dans les dernières chambres. Loin de tout passages, ça me va très bien.

- Mademoiselle Fiona, et enfin, mademoiselle Gabrielle, finit la femme.

Dernière chambre même. Parfait !

- Le petit déjeuné s'effectuera de six à dix heure dans la salle à manger, au rez-de-chaussée, annonce ensuite l'organisatrice en revenant sur ses pas. Vous trouverez votre programme ainsi que toutes les informations relatives à votre séjour au Palais dans vos chambre. Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit mesdemoiselles.

Puis elle quitte le couloir dans un concert de cliquetis de talons et de claquements de portes qui tourmente mes sens. Je reste un instant face à cette pièce à rallonge, laissant les échos de bruit s'éteindre avant de m'activer à nouveau.

Je me retourne alors vers la porte de ma chambre pour la passer.

Et j'entre au paradis.

Mon regard court quelques instants sur le parquet ciré avant de se lever sur les deux femmes qui occupent le centre de la pièce, plantées comme des piquets sur un luxueux tapis brun. Je les étudie un bref instant avant de m'arrêter sur la brune, elle qui m'offre encore son éternel sourire aux yeux pétillants.

- Nora, soufflé-je de soulagement.

La couturière sourit à mon appel avant de s'incliner.

- Ravie de vous revoir, mademoiselle, fait-elle posément. Je serai votre domestique pour la durée de votre séjour au Palais.

Oh, une bonne nouvelle. Avec cette domestique à mes côtés, je me sentirai bien.
À travers cette femme, c'est toujours une serveuse de bar que je vois. Un personnage sain que je suis bien heureuse de retrouver ici. Un bout de mon ancienne vie dans ce monde de paillettes et d'artifices, ça fait du bien.

Puis la gentille femme esquisse un geste en direction de sa comparse. Je dévisage l'autre de haut en bas, me demandant ce qu'elle fait là. De son carré de cheveux noir jaie à la frange tombante sur ses grosses lunettes noires, jusqu'à la tenue lâche aux couleurs passées qu'elle a décidé d'aborder, elle ne me semble pas tellement à sa place. Enfin, jusqu'à ce que j'aperçoive la petite caméra qu'elle porte à la main.

- Enchantée mademoiselle, fait-elle d'une voix plate, plus en chuchotant qu'en parlant réellement.

Oh, je ne sais pas exactement à quoi elle sert, mais sa discrétion me parle déjà. Alors, à mis chemin entre la reconnaissance et l'agacement, je la laisse continuer d'un signe du menton.

- Je serai votre photographe attitrée pour votre séjour au Palais, m'explique-t-elle toujours aussi placidement. Je suis chargée de produire des articles sur vous. Je vous vous accompagnerai donc lors de vos activités et de votre temps libre pour prendre des photographies ou des films, afin de les ressortir au public.

Je fronce les sourcils, enregistrant rapidement ses paroles. Alors c'est elle qui fournira des info sur moi au pays ? C'est bon à savoir. Et si le fait d'être toujours sous le feu des projecteurs me dérange un peu, je suis contente de savoir qui tiendra la caméra.
Oh oui, je dois rapidement me la mettre dans la poche celle-là !

- La chambre est à vous, reprend Nora en s'inclinant encore. Ma compagne dormira près de votre porte, et je resterai à portée de clochette, indique-t-elle tout en désignant une fine ficelle terminée d'un pompon tombant près de la porte. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à nous appeler.
Sur ce, bonne nuit mademoiselle.

Et les deux femmes s'avancent vers la porte pour quitter le chambre, jusqu'à ce que j'ai le réflexe de les rappeler.

- Excusez-moi, lancé-je à l'adresse de la photographe.

L'appelée braque ses grosses lunettes sur moi, sans que je n'arrive à savoir ce qu'elle pense. Son expression est incroyablement neutre, rien ne vient déformer son visage renfermé. Elle est impénétrable.

Un bon comme un mauvais point.

- Vous vous appelez comment ? demandé-je simplement.

Ses sourcils se froncent un court instant. Ah, première réaction notable !

- Patrina, répond-t-elle finalement de sa voix morne quand son visage redevient impassible. Bonne nuit, mademoiselle.

Je hoche la tête.

- Bonne nuit, souhaité-je aux deux femmes tandis qu'elles sortent une bonne fois pour toute de la pièce.

J'attends que la porte claque doucement derrière elles pour me retourner, puis soupir de frustration en relâchant enfin mon sourire.
J'ai mal aux zygomatiques à force, la peau de mon visage n'y est pas habituée. Oh, c'est que j'en peux déjà plus de tout ça...

Mais haut les cœurs ! Ça ne me ressemble pas de me laisser abattre ainsi. Oui, mes nerfs sont plus solides d'habitude !

Je laisse alors mon regard serpenter dans la pièce pour se gaver de la richesse qui lui est présentée.

La chambre n'est pas spécialement grande, et n'est pas parée de la même richesse que le reste du palais. Mais ça ne l'empêche pas de respirer le luxe.
Devant les soyeux rideaux orangés rangés à l'identique de part et d'autre d'une fenêtre ouvragée menant au balcon, la richesse des meubles en bois sculptés et la grandeur du lit, je me sens dans un autre monde.
Mais je dois avouer que ça a quelque chose de plaisant.

Salle de bain personnelle, dressing personnel, tout est prévu pour mon confort. Et quand je me jette sur le matelas qui rebondit doucement sous mes fesses, je me dis que je passerai bien ma vie recluse dans cette chambre.
Fini les planches de bois et les petites polaires en guise de couvertures, bonjour le gros lit aux draps soyeux.
Un rêve éveillé... ça donnerait quoi ce genre de lit dans mon chez moi ? Entre la cuisinière et le canapé, pas sûr qu'il rentrerait.

Concentration Gabrielle, vas pas te laisser divaguer.

Alors je prends sur le bureau en bois sombre les papiers mis à notre disposition pour les lire distraitement.
C'est beaucoup de blabla pour pas grand chose. J'en tire finalement mon emploi du temps, grâce auquel je vois que je commence à huit heure demain matin, et songe avec un sourire cruel à tous ces petits nobles qui ont l'habitude des grasses matinées. Puis une migraine me prend à penser aux autres, et je dois retenir un gémissement.

Mais quelle fragile ! Tu vas bien te reposer et demain, tu iras gentiment côtoyer les autres participants Gabrielle. Que ça te plaise ou non !

Je laisse négligemment les autres documents traîner sur le bureau avant de finir le tour de la chambre. Tour de la salle de bain ultra moderne, tour des placards tous remplis de produits plus coûteux les uns que les autres. Et je constate que tout nous est donné, à croire que nous sommes des rois.

Je file ensuite me laver en essayant un savon d'une couleur rose plutôt inspirante, frottant ma peau pour enlever le maquillage tout en prenant soin de ne pas mouiller mes cheveux bouclés, puis me laisse traîner un temps dans la serviette moelleuse mise à ma disposition à la sortie de la douche.
Je vais ensuite trouver au fond d'un placard un pyjama noir extrêmement doux, l'enfile, puis vais me poster à la fenêtre.

Il fait nuit sur le parc, ça m'attire. J'ai envie de sortir, d'allez dégourdir mes jambes, de prendre l'air. Mais il est tard, et le château est en pleine effervescence. Ce ne serait pas raisonnable de m'exposer dans mon état.

Alors, faute de mieux, je vais chercher la grosse couverture blanche du lit pour l'étaller contre la porte vitrée. J'éteins ensuite la lumière et vais m'entortiller dans le drap soyeux, écrasant rapidement une larme rebelle sur ma joue.

Oh, le mal du pays peut-être. Mais je ne pensais pas qu'il y aurait quelque chose là-bas pour me manquer.

J'ouvre légèrement la porte vitrée pour que l'air de la nuit vienne carresser mon visage, puis je lève les yeux vers la lune.

Aussi blanche d'ici que d'Hiberna, celle-là...

Alors, ainsi couverte de la lumière paisible de ma seule amie, je me laisse fermer les yeux.

Et pour la première fois depuis de nombreuses années, j'arrive enfin à vraiment m'endormir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top